Les algorithmes de Facebook sous le feu des critiques

Le réseau social aux 1,71 milliard de membres communique à tout va pour fêter les dix ans de son célèbre fil d’actualités (newsfeed), qui, grâce à des algorithmes complexes, organise ce que chacun voit sur sa page. Mais la grogne des éditeurs de contenus, qui s'estiment trop dépendants à Facebook, ainsi que les polémiques récentes sur sa politique éditoriale et sur la neutralité de ses algorithmes, gâchent la fête. De passage à Paris, Chris Cox, le directeur des produits de la firme californienne, a tenté d’éteindre l’incendie.
Sylvain Rolland
Le choix et la hiérarchisation des informations publiées sur le fil d'actualités de Facebook, qui fête ses 10 ans, entraînent de nombreuses critiques.

Joyeux anniversaire ? Depuis une bonne semaine, Facebook ne lésine pas sur les moyens pour fêter la dixième bougie de son fameux fil d'actualités, ou Newsfeed pour les anglophones. Une occasion en or pour la firme de Mark Zuckerberg de s'offrir un peu de publicité, en rappelant à tous quel point Facebook a révolutionné Internet.

Effectivement, le fil d'actualité est le pilier de la croissance de Facebook. Avant son apparition, le 6 septembre 2006, les utilisateurs devaient aller sur la page de chaque "ami" pour prendre connaissance d'éventuels nouveaux posts. Un processus lent, fastidieux et peu pratique. Puis, tout d'un coup, des algorithmes ont fait ce travail à leur place, en organisant pour chacun un fil d'actualités personnalisé et remis à jour en permanence, comme l'explique ce site lancé par Facebook en fin de semaine dernière. Ces algorithmes, évidemment secrets, ont permis de renforcer drastiquement les interactions entre les membres, et donc leur engagement, c'est-à-dire le temps passé sur la plateforme. Avec le temps et au gré des multiples évolutions du fil d'actualités, les utilisateurs se sont mis aussi à "aimer" et à "partager" des publications d'entreprises, de célébrités et de médias, ainsi que des nouveaux formats (photos, vidéos).

Le dynamisme du fil d'actualités permet à Facebook d'attirer toujours plus de membres et de renforcer ses revenus publicitaires, qui ne cessent de dépasser de nouveaux sommets. Ainsi, au deuxième trimestre 2016, le réseau social aux 1,71 milliard de membres a engrangé 6,2 milliards de dollars de revenus publicitaires, pour un chiffre d'affaire global de 2,1 milliards de dollars, en progression de 186% sur un an.

Les éditeurs de contenus sous tension

Roi du mobile (86% de ses membres consultent le réseau social sur un smartphone), Facebook tend à devenir, grâce à son fil d'actualités, le premier accès à l'information sur Internet. Selon le Reuters Institute, plus de la moitié des internautes s'informent par le biais des réseaux sociaux. Et notamment via Facebook, qui totalise 45% des renvois vers les contenus des éditeurs, contre seulement 30% pour Google. "Chaque personne pourrait être confrontée à 2000 posts chaque jour mais en voit seulement 200 en moyenne", estime Chris Cox, le directeur mondial des produits de Facebook, que La Tribune a pu rencontrer lors de son passage à Paris, lundi 12 septembre:

"C'est un problème, car on ne peut pas tout voir. Les algorithmes doivent donc prioriser le contenu qui sera le plus susceptible de vous intéresser, et nous faisons de notre mieux pour équilibrer les posts venant de vos amis et ceux des médias", poursuit-il.

Mais plus Facebook devient incontournable, plus les éditeurs de contenus se considèrent pris à la gorge. L'audience énorme de Facebook est une source de trafic -et de revenus publicitaires- non négligeable. Désormais, la grande majorité des médias américains, comme français (Le Parisien, L'Equipe, 20 Minutes, Libération...) utilisent aussi Instant Articles, l'outil qui autorise Facebook à héberger directement des articles sur sa plateforme pour accélérer le temps de chargement (les éditeurs reçoivent, en contrepartie, la totalité des revenus issus des publicités présentes dans leurs articles). La plateforme a aussi lancé Facebook Live, un nouvel outil destiné aux éditeurs de contenus, qui leur permet de créer directement des vidéos pour Facebook.

Modification des algorithmes

Les éditeurs dépendent donc beaucoup de la visibilité que leur accorde Facebook. Or, l'annonce, en juin dernier, d'une modification des algorithmes du fil d'actualités pour privilégier les contenus publiés par des proches, ravive toutes leurs craintes. "Nous ne comprenons pas les algorithmes de Facebook, ils sont un filtre entre nos contenus et les internautes", a regretté Alan Rusbridger, l'ancien rédacteur en chef du Guardian, qui accuse par ailleurs Facebook d'avoir absorbé 20 millions de livres de revenus digitaux au titre...

Chris Cox se justifie. "A cause de la part toujours plus importante des médias sur le fil d'actualité, de nombreux utilisateurs avaient l'impression de rater des posts de leurs amis. Or, Facebook dépend avant tout des interactions personnelles". Une déclaration qui montre bien que les intérêts de Facebook et ceux des médias qui en dépendent de plus en plus ne sont pas toujours alignés.

Pour les rassurer, Facebook a donc fait un geste. Désormais, les éditeurs pourront intégrer davantage de publicités, sur davantage de formats, dans leurs articles publiés via Instant Articles. Le réseau social a également accédé à la volonté des éditeurs d'insérer des publicités dans les vidéos de Facebook Live. "Nous voulons aider les éditeurs à gagner de l'argent avec leurs contenus", a expliqué Dan Rose, le vice-président des partenariats. Reste à savoir si cette invasion publicitaire plaira aux internautes...

"Nous ne sommes pas parfaits"

Lors de son passage à Paris, Chris Cox s'est aussi expliqué sur l'affaire de la censure de la célèbre photo de la petite fille brûlée au napalm lors de la guerre du Vietnam, en 1972, qui a resurgi la semaine dernière. "Cela nous a surpris nous-mêmes que des utilisateurs la signalent. Elle a été supprimée car la nudité de la petite fille allait à l'encontre de nos règles". Suite à la polémique, née à partir du coup de gueule d'un journal norvégien, le réseau social a ré-autorisé sa publication. "L'esprit de notre charte éditoriale a été revu car la photo a évidemment un caractère historique. Nous ne sommes pas parfaits, nous nous ajustons au jour le jour", affirme-t-il.

Ce n'était pas la première fois que Facebook était attaqué de la sorte. Le manque de transparence de ses algorithmes et de sa modération (effectuée en partie à partir de logiciels de reconnaissance de contenus) suscite souvent l'incompréhension. Le problème vient de la nature même de Facebook. C'est un réseau social qui revendique sa neutralité, mais en triant et hiérarchisant l'information, il se comporte comme un média. En prenant position dans la campagne électorale américaine au profit d'Hillary Clinton, en affirmant ses idées pro-chiffrement dans la lutte anti-terroriste, il s'engage aussi politiquement.

Sans surprise, le camp républicain a donc accusé en mai dernier Facebook de favoriser Hillary Clinton... Ce que conteste fermement Chris Cox, qui garantit la "neutralité des algorithmes". Pourtant, d'anciens employés de Facebook ont confié au site spécialisé Gizmodo que l'entreprise se cache derrière ses algorithmes pour effectuer de véritables choix éditoriaux, au détriment de Donald Trump. Pour éloigner la polémique, Facebook a annoncé, fin août, que les sujets "populaires" mis en avant sur la plateforme seront désormais choisis uniquement par des algorithmes.

Sylvain Rolland

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