Loi Macron : pourquoi réguler Google est un casse-tête

Par Sylvain Rolland  |   |  1137  mots
Le député Lionel Tardy (Les Républicains) estime que "les questions de monopole et d'information des utilisateurs doivent être traitées a minima au niveau européen
Alors que les députés, qui examinent en deuxième lecture le projet de loi Macron, devront trancher sur un amendement polémique adopté par le Sénat visant à encadrer l’activité des moteurs de recherche, l’économiste Pascal Perri explique que la régulation de Google permettrait de créer 15.000 emplois supplémentaires dans le secteur de l’e-commerce. De quoi relancer le débat ?

Google va-t-il finalement passer au travers des mailles du filet ? Au moment de l'examen de la loi Macron au Sénat, mi-avril, la sénatrice Catherine Morin-Desailly (UDI) avait fait voter un amendement contesté, visant à obliger les moteurs de recherche ayant un "effet structurant" sur le marché - Google, donc -, à proposer trois autres moteurs de recherche sur sa page d'accueil, dont au moins un Français.

L'objectif : favoriser une concurrence "loyale et non-discriminatoire" entre le géant américain, qui capte 95% du marché de la recherche en ligne en France et qui est accusé par la Commission européenne d'abus de position dominante, et ses minuscules concurrents.

Cet amendement polémique, qualifié "d'ineptie juridique et économique" par l'Association française des éditeurs de logiciels et solutions internet (Afdel), avait obtenu un avis défavorable du gouvernement. "C'est comme si Renault devait indiquer sur le pare-brise d'une de ses voitures qu'il est également possible d'acheter une Peugeot ou une Fiat", argumentait le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, devant le Sénat.

Le texte revenant à l'Assemblée, où le gouvernement dispose d'une majorité -contrairement au Sénat-, l'amendement de Catherine Morin-Desailly a donc de grandes chances de passer à la trappe. Mais le débat sur la nécessité de réguler Google fait toujours rage et promet de belles empoignades.

Google coûterait 1 milliard par an aux acteurs du e-commerce

D'autant plus que l'étude de l'économiste Pascal Perri pourrait faire vaciller quelques certitudes dans le camp de ceux qui s'opposent à des mesures spécifiques pour encadrer Google. Dans un document de 32 pages consacré à l'impact du célèbre moteur de recherche sur l'économie française, le dirigeant du cabinet de conjoncture P&C « salue la proposition de régulation » proposée par la sénatrice. Avec un argument de poids : la domination quasi sans-partage de Google coûterait 1 milliard d'euros par an aux acteurs du e-commerce, soit l'équivalent de 15.000 emplois.

Selon l'économiste, qui étaye, chiffres à l'appui, les griefs de la Commission européenne contre le géant américain,  Google "arrange la vitrine de l'Internet à son avantage" en favorisant ses propres services dérivés, comme la cartographie, son comparateur de prix ou de vols d'avions, au détriment de ses concurrents. Des "pratiques anticoncurrentielles", donc.

Un surcoût de 5%

De plus, l'économiste révèle que les entreprises de e-commerce payent un surcoût, de l'ordre de 5%, pour s'assurer un "bon" référencement sur le moteur de recherche, c'est-à-dire l'assurance d'être situé sur la première page, où s'arrêtent la plupart des internautes. Au total, le "manque à gagner" s'élèverait à 1 milliard d'euros par an pour les enseignes de commerce en ligne.

"Google valorise les offres les plus rentables pour lui et non les plus avantageuses pour le marchand ou le consommateur. Ses pratiques ont pour effet direct d'assécher le trafic, donc les revenus, de ses concurrents sectoriels. Il en résulte un gel des investissements, un renoncement à l'innovation et à la conquête de marché, des restructurations et parfois la disparition des entreprises concernées", explique l'économiste.

Une régulation oui, mais à quelle échelle ?

"Réguler Google, ce serait lui imposer, quand on fait une recherche commerciale, de présenter aussi les offres des concurrents dans des conditions de concurrence sincères", plaidait Pascal Perri en fin de semaine dernière sur RMC, reprenant des propositions de la sénatrice Catherine Morin-Desailly.

Problème : le gouvernement et certaines figures de l'opposition voient dans ces mesures coercitives une entrave à la liberté d'entreprendre, d'autant plus que Google, basé en Irlande, ne dispose en France que d'une régie publicitaire. D'autre part, le dossier Google fait déjà l'objet d'un examen attentif à Bruxelles. La Commissaire européenne en charge de la concurrence, Margrethe Vestager, a ainsi lancé le mois dernier une enquête pour "abus de position dominante", qui pourrait aboutir, comme Microsoft il y a quelques années, à une amende.

Problèmes de constitutionnalité et de périmètre d'action

Le député Lionel Tardy (Les Républicains) estime que la régulation de Google ne relève pas de compétences "franco-françaises". Dans son amendement de suppression, il estime que "les questions de monopole et d'information des utilisateurs doivent être traitées a minima au niveau européen. Imposer des obligations franco-françaises n'est pas pertinent". Et d'ajouter :

" Peut-on imaginer d'imposer à n'importe quelle entreprise d'obliger à faire référence à ses concurrents ?"

Même des députés UDI, issus pourtant du même parti que Catherine Morin-Desailly, demandent la suppression de l'amendement anti-Google. Le député Yves Jégo, accompagné par quatre autres collègues centristes, s'inquiète de la constitutionnalité d'un tel dispositif, et de sa compatibilité avec la législation européenne.

"Les objectifs poursuivis sont légitimes mais ceux-ci doivent faire l'objet d'une véritable étude d'impact préalable et nécessitent d'être traités au niveau européen plutôt que national. Les risques de pénaliser les entreprises françaises et de porter atteinte à l'attractivité numérique de la France sont sérieux. Par ailleurs, les mesures proposées portent atteinte à la liberté d'entreprendre, rendant leur constitutionnalité incertaine. Ces mesures pourraient être considérées comme méconnaissant aussi les principes communautaires de libre prestation de service et de liberté d'établissement".

Pas le bon timing

Contactée par La Tribune, la sénatrice Catherine Morin-Desailly s'agace de ces critiques. Et intente un procès en immobilisme à ceux qui se positionnent contre ses propositions.

"Je suis la première à dire que l'Europe est la mieux placée pour faire bouger les lignes. Mais elle a à peine avancé en cinq ans d'enquête sur Google, et la procédure qui vient d'être lancée par la Commission européenne prendra du temps, en partie à cause d'un grand lobbying interne. Légiférer au niveau national n'enlève rien et pourrait au contraire envoyer un signal fort. C'est fondamental à l'heure où l'Europe veut se doter d'une véritable stratégie numérique".

Le paradoxe est que le gouvernement n'est pas opposé à une régulation poussée des plateformes Internet. S'il pourrait bloquer l'amendement de Catherine Morin-Desailly, il travaille pourtant, de manière parallèle, à muscler l'encadrement des plateformes numériques.

Une concertation est actuellement en cours au sein du Conseil National de la Consommation, pour améliorer l'information des utilisateurs des plateformes sur leurs conditions de fonctionnement, et leur amener "une information loyale, claire et transparente sur les critères de classement et de référencement des offres, les conditions de leur retrait et les frais correspondant au service de mise en relation". L'état d'esprit est similaire à l'amendement Morin-Desailly, mais le champ d'action beaucoup plus vaste. Un chantier autrement plus important qu'un simple amendement à la loi Macron.