Loi numérique : internautes, connaissez-vous vos nouveaux droits ?

Portabilité des données, droit de mort numérique, droit à l'oubli, liberté de panorama... Le projet de loi numérique d'Axelle Lemaire crée une série de nouveaux droits pour l'internaute/consommateur. Revue de détail.
Sylvain Rolland
La loi numérique d'Axelle Lemaire va changer beaucoup de choses pour les internautes.

Droit à l'oubli, portabilité des données, droit à la connexion minimale, droit de "mort" numérique, liberté de panorama, protection contre le "revenge porn", paiement par SMS... Le projet de loi pour une République numérique, porté par Axelle Lemaire (et aussi, en théorie, par Emmanuel Macron, aux abonnés absents) a été examiné toute la semaine par l'Assemblée nationale.

Même si l'opposition tire dessus à boulets rouges, il comporte quelques avancées importantes pour les internautes. Elles se manifestent sous la forme de nouveaux droits pour protéger la vie privée et de nouvelles obligations pour les entreprises. Voici les principales.

Récupérer ses données personnelles

Quand on change d'opérateur téléphonique, on peut transférer son répertoire de contacts. Alors pourquoi ne pas faire la même chose pour les services sur Internet ? C'est le principe de la portabilité des données. L'article 20 de la loi Lemaire établit que "le consommateur dispose en toutes circonstances d'un droit de récupération de ses données", c'est-à-dire de tous les fichiers mis en ligne et de toutes les données associées au compte utilisateur.

Concrètement, cela veut dire que chacun pourra récupérer ses données et ses fichiers, comme par exemple l'intégralité de ses e-mails au moment de changer de messagerie. Les informations devront être livrées dans "un format ouvert et aisément réutilisable, lisible par une machine, pour être exploité par un système de traitement automatisé".

Dans le cas des messageries électroniques, tout fournisseur devra proposer une fonctionnalité gratuite permettant de "transférer directement les messages que le consommateur a émis ou reçus", ainsi que sa liste de contacts.

Reste que les sanctions en cas de manquement à cette obligation, qui sera applicable dix-mois après l'adoption de la loi, sont peu dissuasives : 3000 € maximum pour une personne physique et 15.000 euros pour une personne morale.

Attention, cela ne veut pas dire que le service que vous quittez ne détiendra plus de données sur vous. Seulement qu'il sera obligé de vous en faire une copie que vous pourrez utiliser.

Supprimer ses traces numériques après sa mort

C'est le droit à la "mort numérique", ou la possibilité de contrôler ce qu'il advient de vos données personnelles disséminées sur la Toile une fois que vous ne serez plus là. "Toute personne peut définir des directives relatives à la conservation et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès", est-il écrit dans le projet de loi.

En clair, vous pouvez, avant votre décès, désigner une personne de votre choix qui devra fermer vos comptes sur Internet, par exemple, ou demander à votre place la suppression de vos données personnelles. A défaut d'une désignation, les descendants, le conjoint, les héritiers ou les légataires universels peuvent s'en charger.

Défendre son "droit à l'oubli"

C'est l'article 32 du projet de loi. Une personne peut désormais demander à un site Internet (Facebook par exemple) d'effacer les données personnelles qui ont été collectées "lorsque la personne concernée était mineure". Pratique pour éviter qu'une erreur de jeunesse sur Internet vous pourrisse la vie des années plus tard. Si le service n'a pas répondu à la demande sous un mois, la CNIL peut être saisie.

Poster des photos de monuments privés sur Internet

Saviez-vous que vous étiez dans l'illégalité lorsque vous postiez sur Facebook, Twitter, Instagram ou sur n'importe quel site Internet une photo de la Pyramide du Louvres ou de la Petite sirène de Copenhague? Ou que vous pouviez photographier la Tour Eiffel de jour mais pas de nuit, car son éclairage constitue une création artistique protégée ?

Ce ne sera bientôt plus un problème. Les députés ont adopté jeudi un amendement, déposé par le socialiste Luc Belot, pour "autoriser les particuliers à diffuser sur Internet des images des bâtiments ou œuvres d'arts qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public et qu'on l'on peut observer sur la voie publique". Mais à une condition : que cette publication ne se fasse pas à des "fins lucratives", de manière à "préserver les artistes d'un risque de perte de revenus".

Autrement dit, vous pourrez poster sans crainte vos photos de vacances. D'accord, ce n'était pas vraiment un problème auparavant : dans les faits, la plupart des auteurs ou des ayant-droits de bâtiments ou d'œuvres d'art ne réclamaient pas de compensation financière. Mais l'amendement de Luc Belot a le mérite de clarifier la situation en introduisant une exception au droit d'auteur, appelée la "liberté de panorama".

Son adoption ne s'est pas faite dans la douceur, du fait de l'opposition farouche des défenseurs des droits d'auteur et du gouvernement. Les premiers estiment que cette exception priverait de revenus conséquents les artistes et les architectes concernés. Le second préfère renvoyer cette question à Bruxelles. Mais les arguments du législateur n'ont pas suffi : des députés de droite, écologistes, d'extrême-gauche et socialistes se sont unis pour le faire passer à une courte majorité.

Se protéger du "revenge porn"

Deux ans de prison et 60.000 euros d'amende. Les députés ne plaisantent pas avec le "revenge porn". Désormais, diffuser sur Internet des photos ou vidéos sexuelles d'une personne sans son consentement, une pratique en plein boom depuis quelques années, sera puni lourdement par la loi.

Payer et faire des dons par SMS (surtaxés)

Préparez-vous au grand retour des SMS surtaxés. L'article 41 de la loi autorise l'achat ou la consommation de "contenus numériques" et de "services vocaux" par l'envoi d'un SMS. Oui, c'est très vague, mais cela autorise le paiement par SMS, à la fois pour acheter ou pour faire un don. Mais pas pour plus de 300 euros par mois.

Rester connecté

Décrié par les opérateurs télécoms, le droit au maintien de la connexion internet fera bien partie de la loi Lemaire. L'article 45 stipule qu'Internet est aussi indispensable que l'eau et l'électricité et ne peut donc pas être retirée brutalement en cas de difficultés pour régler l'abonnement.

"En cas de non-paiement des factures, la fourniture d'énergie et d'eau, un service téléphonique et un service d'accès à internet sont maintenus jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide". Une victoire pour les organismes d'aide comme Emmaüs Connect, qui estiment qu'Internet est un outil d'insertion fondamental, à la fois pour le travail et la vie sociale.

Mieux se défendre face aux géants du Net

Vous souvenez-vous des 150.000 euros d'amende que la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) avait infligé à Google en février 2014, pour ses manquements au sujet de la confidentialité des données de ses utilisateurs? Probablement pas. Et Google non plus, d'ailleurs.

La capacité de sanction de la CNIL, garant de la protection de la vie privée des internautes, fait l'objet de moqueries et d'exaspérations depuis de nombreuses années. La sanction financière maximale de 150.000 euros est jugée bien trop faible pour les géants du Net, car insuffisante pour les inciter ou les contraindre à mieux respecter la vie privée de leurs millions d'utilisateurs en France.

Le gouvernement a entendu cette complainte. Jeudi soir, les députés ont adopté un amendement qui augmente nettement le pouvoir de sanction de la CNIL. Il passe de 150.000 euros à un montant maximum de 20 millions d'euros.

Les parlementaires ont aussi décidé d'autoriser les actions de groupe. Les potentielles victimes d'une violation de la loi Informatique et Libertés pourront se faire représenter par des associations et des syndicats pour intenter une action en justice. Les organismes aptes à agir sont les associations de défense des consommateurs type UFC-Que-Choisir, les associations dédiées à la protection de la vie privée et des données personnelles, une association créée spécialement pour entreprendre l'action de groupe, ou encore les organisations syndicales de salariés.

A noter que cet amendement a été adopté contre l'avis du gouvernement, qui préférait que la question soit abordée au niveau européen, dans le cadre du futur Règlement général sur la protection des données (RGPD).

>> Pour aller plus loin : le texte de loi, l'intégralité des travaux parlementaires et tous les amendements examinés dans l'Hémicycle

Sylvain Rolland

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Commentaires 6
à écrit le 24/01/2016 à 8:36
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20M€ maximum, c est encore une blague ! Avec une capitalisation de 500,000M$ que voulez vous que 20M€ fasse a Google ?? Ils devraient mettre 10% de la valorisation de la boîte (ou10% du revenu) Pour rappel VW amende de 20,000M€ pour sa pollution

à écrit le 23/01/2016 à 13:28
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A mon humble avis, les dispositions relatives aux "erreurs de jeunesse" et à "revenge porn" sont très intéressantes. Toutefois, il est probable qu'il est très difficile techniquement et, j'insiste sur "techniquement", mais aussi extrêmement coûteux p...

à écrit le 23/01/2016 à 12:37
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Les sms surtaxés c'est la porte ouverte à toutes les truanderies.

à écrit le 23/01/2016 à 10:15
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Pas interessant pour "la campagne" en France parce que, meme en 2016 dans un plein mondiliasion, la campagne toujours n'a plus que 128 Kb/sec. Le blablabla des elus ne changerait rien.

le 23/01/2016 à 15:23
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Qui vous oblige à habiter à la "campagne" ? Internet doit-il aller à vous ou devez-vous y aller ? Si vous êtes dans un coin perdu en France et que vous avez 80+ ,, est-ce le problème des fournisseurs d'internet ? (bad luck) Cordialement

à écrit le 22/01/2016 à 22:38
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Cette loi résistera t-elle au pouvoir que va donner le TAFTA aux entreprises multinationales ?

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