Le marché des télécoms d'entreprise fait moins les gros titres que celui dédié aux particuliers. Pourtant, son poids demeure important : en 2013 selon l'Arcep, le régulateur du secteur, il représentait quelques 10,6 milliards d'euros dans l'Hexagone, c'est-à-dire 30% des revenus globaux des services de communication électronique. Dans ce marché, un segment attise particulièrement les convoitises : celui des grandes multinationales. Ces dernières ont évidemment besoin de connectivité mobile et fixe pour leurs milliers de collaborateurs. Mais révolution numérique oblige, elles ont surtout de plus en plus besoin de services dernier cri et à forte valeur ajoutée. Ceux-ci concernent pêle-mêle le M2M (pour « machine to machine », qui permet aux objets de communiquer sans intervention humaine), le magasin connecté ou les services de cloud (informatique dématérialisée) et de cybersécurité.
Pour ferrer ces grands groupes (c'est-à-dire les géants du CAC 40, pour l'essentiel), Telefonica est récemment passé à l'offensive. Au printemps dernier, le groupe espagnol de télécommunication a créé une coentreprise avec Bouygues Telecom pour imposer ses solutions de communication et ses services digitaux. Le nom de la structure ? Telefonica Global Solutions France. Toutes les offres seront donc estampillées au nom du groupe espagnol, qui possède plus d'aura à l'international que son homologue français.
Répondre à des appels d'offre européens
Pour Telefonica, la manœuvre répond à un double objectif. Il s'agit d'abord d'assurer sa présence dans l'Hexagone, en bénéficiant notamment « du réseau national 4G de Bouygues Telecom, qui couvre plus de 72% de la population et 70% des entreprises françaises de plus de 10 employés », souligne le groupe dans un communiqué. Paré de ces atouts, Telefonica espère démarcher les grands groupes français présents à l'international, pour leur proposer des solutions globales. Pour se démarquer de la concurrence, le groupe ibérique mise notamment sur sa forte présence en Europe (en Espagne, en Allemagne et au Royaume-Unis) et en Amérique latine. En outre, dans les zones géographiques où il est moins (ou pas du tout) présent, il peut compter sur ses collaborations avec 24 opérateurs télécoms dans 45 pays pour proposer les offres les plus complètes possibles.
« Ce qu'il faut comprendre, c'est que nos clients internationaux déploient des solutions sur de grandes zones géographiques, explique Anne Perrin, à la tête de Telefonica Global Solutions France. Les multinationales émettent par exemple souvent des appels d'offres pour plusieurs pays, au niveau européen par exemple. » Avant de fonder sa coentreprise avec Bouygues Telecom, Telefonica profitait déjà, depuis 2011, d'un partenariat très étroit avec l'opérateur français. L'initiative s'est avérée payante, assure Anne Perrin, qui confie avoir « gagné entre 6 et 10 sociétés du CAC 40 en un an ».
Miser sur les services à valeur ajoutée
Pour Telefonica, l'offensive est stratégique. Elle doit lui permettre de déployer ses solutions technologiques à forte valeur ajoutée. L'an dernier, l'opérateur espagnol a ainsi décroché un contrat auprès de Tesla Motors, le constructeur de voitures électriques. Concrètement, sa solution M2M assure la connectivité des véhicules en Europe, permettant l'accès à tout un éventail de services, liés à la navigation ou à la musique en ligne.
En juillet dernier, Telefonica a également été retenu par GrDF dans le cadre du déploiement des compteurs à gaz intelligents Gazpar. « On fournit les cartes Sim installée dans les concentrateurs, ainsi que les solutions de pilotage associées », explique Anne Perrin. D'après elle, les données recueillies permettront « de modérer la consommation des ménages, tout en permettant à GrDF d'optimiser sensiblement la maintenance du réseau ».
Dans un secteur encore différent, Telefonica a signé cet été un partenariat avec Delair-Tech, le spécialiste toulousain des drones civils pour l'industrie et l'agriculture. Certains modèles embarqueront donc des cartes SIM 3G spécifiques. « Delair-Tech pourra ainsi offrir à ses clients la possibilité de communiquer avec leurs drones sans limite de distance et sur de nombreux pays et territoires », détaille Telefonica dans un communiqué.
Lutte contre la « commoditisation »
Cette offensive de Telefonica dans des services high tech à valeur ajoutée illustrent bien le virage stratégique de l'opérateur, qu'Anne Perrin résume en une phrase : « C'est la lutte contre la 'commoditisation'. » Derrière ce terme très en vogue chez les « telcos », se cache une crainte : celle de se faire damer le pion par les acteurs de l'Internet et leurs services à forte plus-value. Et ainsi de se voir relégué au rang de « grossiste » en connectivité, ou en simples « fournisseurs de tuyaux ». Pour Telefonica et ses concurrents Orange, les américains AT&T et Verizon ou encore le britannique BT, le bras de fer ne fait que commencer.
« Quand nous mettrons le pied sur l'accélérateur, nous serons difficiles à égaler » (Joelle Pineau, directrice de la recherche en IA chez Meta)
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