Le pire de la high tech : arme smartphone, matelas anti-infidélité, business de la délation...

Quand des entrepreneurs cyniques mettent les nouvelles technologies au service des plus bas instincts de l’être humain, cela donne une série de produits et d’applications au mieux moralement discutables, au pire carrément effrayants. Revue de détail.
Sylvain Rolland
Quand il est replié, ce petit objet ressemble à s'y méprendre à un smartphone. Quand il est déplié, c'est une arme.

Les nouvelles technologies transforment radicalement la société. Elles révolutionnent les métiers, les industries, les rapports humains, et questionnent l'éthique, la science, la philosophie...

Certains les utilisent au nom du progrès, comme quand il s'agit d'améliorer le traitement des maladies, de réduire les inégalités, de moins polluer grâce à des innovations durables ou de revivifier la démocratie. D'autres créent tout un tas de services et de produits "gadgets", car la high tech a ses adeptes du dernier objet connecté à la mode.

Enfin, certains entrepreneurs chevronnés s'arment de cynisme et décident d'exploiter les bas instincts de l'être humain pour générer de l'argent. Revue de détail du pire de la high tech.

Peeple, l'appli qui permet de noter ses semblables (pour les critiquer)

"Toute publicité est bonne à prendre, même les mauvaises", disent les experts du marketing. Dans le genre, difficile de faire mieux (ou pire) que l'application Peeple, qui détient l'honneur délétère d'être régulièrement citée comme "l'application la plus détestée du web".

Ses créatrices, la canadienne Julia Cordray et l'américaine Nicole McCullough, se sont inspirées d'applications comme Airbnb, Uber, TripAdvisor ou encore Yelp, qui permettent de noter des services. A la différence près que Peeple transpose le concept aux êtres humains. A l'origine, il s'agissait de permettre à chacun d'évaluer ses semblables ("vos ex, vos collègues, le vieux monsieur qui vit la porte à côté", suggère le site), sur une échelle de un à cinq, en fonction de critères subjectifs visibles par tous, comme "vie professionnelle", "vie amoureuse" et "vie personnelle".

Pratique, selon le site, pour se renseigner sur la fiabilité de la baby-sitter, sur son futur employé ou sur le professeur de ses enfants. D'autant plus qu'il suffit de se connecter via Facebook ou d'entrer le numéro de téléphone de n'importe qui pour l'inscrire sans son consentement dans la base de données de l'entreprise. Evidemment, il était impossible de supprimer les commentaires.

Peeple devait sortir fin novembre 2015. Mais les réactions ont été si épidermiques sur les réseaux sociaux que les deux fondatrices ont dû revoir leur copie. L'application a finalement fait son retour le 7 mars dernier, sur l'Apple Store et uniquement aux Etats-Unis, dans une version édulcorée. Les critiques sont désormais publiées seulement si la personne dénigrée a donné son accord et a rejoint l'application. Conséquence : de dangereuse, Peeple est devenue simplement inutile, puisqu'on imagine mal quelqu'un accepter de se faire salir sur internet.

Mais les deux créatrices ont encore un tour dans leur sac. Cette semaine, elles ont annoncé qu'elles planchent sur une version payante qui permettra de publier tous les avis... Une façon de redonner à Peeple tout son potentiel néfaste.

Dans le même genre, voici Knozen, l'appli qui permet de noter et de comparer ses collègues de travail.

Ideal Conceal, l'arme qui ressemble à un smartphone

Peeple a placé la barre haut dans le genre "utilisation effrayante de la technologie". Mais attendez donc que le monde ait accès à Ideal Conceal. Si vous tenez en main ce petit objet quand il est replié, on pensera que c'est un smartphone. Vous pouvez le ranger dans la poche d'un blouson ou d'un jean. Sauf qu'il ne s'agit pas d'un énième téléphone mobile, mais d'une arme. Un pistolet à deux coups, plus précisément, créé par une startup de l'Etat du Minnesota, aux Etats-Unis, baptisée Ideal Conceal.

Les mérites de cette arme-téléphone ? Sa discrétion. Elle est "indétectable", se vante l'entreprise sur son site Internet. Parce que "le droit à l'auto-défense est la première loi de la nature" et qu'il est "mieux d'avoir une arme et ne pas en avoir besoin, plutôt que de ne pas avoir d'arme quand on en a besoin", la startup a décidé de régler le problème de la dissimulation. Autrement dit, elle a trouvé le moyen d'offrir à tous la possibilité de porter une arme sur soi, en plein jour, sans que cela se remarque. Pratique, non ? "Portée avec assurance, dissimulée avec style", est le slogan de cette startup décidément atypique.

Concrètement, l'arme se replie sur elle-même pour prendre la forme d'un smartphone. De fait, elle devient quasiment indétectable car elle se fond dans l'environnement d'aujourd'hui. Pour basculer en mode "arme", il suffit d'appuyer sur un petit bouton, qui fait apparaître la poignée, ce qui permet de viser et de tirer des munitions de calibre .380 en quelques secondes.

Selon CNN, le produit, actuellement en production, fait déjà fureur auprès des aficionados d'armes à feu. Le site aurait déjà reçu au moins 2.500 commandes. Cette merveille de technologie [sic] devrait être commercialisée à partir du deuxième semestre 2016. Mais le site encourage tout de même à "toujours vérifier les lois locales sur la dissimulation d'armes".

Gossip, le business de la délation anonyme

Le tollé a été tel que l'application a été mise hors service en France pendant quelques jours, quelques semaines après son lancement. Et pour cause : Gossip (potin, en anglais) se présente comme "l'application qui démocratise les ragots de manière totalement anonyme".

En s'inscrivant, l'appli aspire tous les contacts, à la fois du répertoire et des réseaux sociaux. N'importe quel message -anonyme- posté par l'un d'entre eux, vous parvient, sous la forme de textes de 140 caractères, de photos ou de vidéos. Les ragots disparaissent après dix secondes, une fois que l'interlocuteur les a lus, mais ils peuvent être conservés avec une simple capture d'écran. Effet pervers : si la victime de ragots n'est pas inscrite sur Gossip, elle ne voit pas ce qui se dit d'elle... ce qui incite le maximum de monde à la télécharger, juste pour "vérifier"... ou participer.

Bref, Gossip est l'application virale par excellence, conçue pour faire des ravages dans les collèges et les lycées, auprès d'un public technophile et très friand des applis qui font le buzz.

Créée par une entrepreneure française et lancée le 10 mai 2015, Gossip a été téléchargée au moins 60.000 fois en deux semaines. Les dérives ont été rapides, et violentes. "Des gens ont publié de vieilles photos de moi, datant du collège, quand j'avais des problèmes de poids, expliquait Astrid, 17 ans, au site L'Obs. Ça a tourné dans l'établissement. Je ne sais pas contre qui me défendre".

La colère des syndicats lycéens, des professeurs, les nombreux articles de presse et la mise en garde de la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Balkacem, ont abouti au retrait de l'application début juin. Pas pour longtemps. Gossip revenait une semaine plus tard, sur Android et iOS. Pour seul changement, une mise en garde : "A consommer avec modération. Interdit aux moins de 16 ans. Accepter pour commencer".

Gossip existe toujours aujourd'hui, mais elle n'est plus un phénomène de société. Le buzz est passé.

Smarttress, le matelas connecté qui détecte l'infidélité

Il faut absolument regarder la vidéo de présentation de ce matelas pas comme les autres, dévoilée le 13 avril dernier, car elle vaut son pesant d'or. Sur une musique angoissante, la publicité enchaîne les statistiques affolantes sur l'infidélité, "surtout en Espagne" (le pays de l'entreprise Durmet, qui lance le produit), car "la crise globale de l'infidélité menace de frapper à votre porte... d'atteindre votre chambre... et même votre propre lit".

Pour vous redonner "la tranquillité d'esprit", il faut donc acheter Smarttress, le premier matelas connecté qui détecte l'infidélité. Dès que ses capteurs repèrent des mouvements suspects dans votre lit, vous recevez une alerte sur votre smartphone. Car le matelas est doté de capteurs à la pointe de technologie : certains captent les vibrations (c'est le "Lover Detection System"), d'autres analysent les mouvements du lit (ce sont les "contact zone detectors").

Cette technologie vous permet de recevoir tout un tas de détails indispensables, comme la durée des ébats à la seconde près, "l'intensité et le nombre d'impacts par minute" et même l'endroit des "points de pression" (vous saurez ainsi si votre conjoint préfère vous tromper à l'endroit où vous posez votre tête ou vos pieds). Seules consolations : le matelas est confortable et "si votre partenaire n'est pas fidèle, au moins votre matelas l'est", conclut la vidéo de présentation.

Contrairement aux apparences, ce produit n'est pas un poisson d'avril. Il est possible de le commander pour 1.550 euros. En revanche, on soupçonne fort le coup marketing pour faire parler de Durmet, fabricant de matelas depuis 2012. Le porte-parole de l'entreprise, Antonio Muino, a indiqué au site américain re/code, que l'idée d'un tel produit vient d'une demande de certains clients. Au-delà du fait qu'il faut que le conjoint vous trompe dans votre propre lit (et non pas dans le salon, ou ailleurs), ce matelas apparaît spectaculairement inutile : il suffisait tout simplement installer une caméra de surveillance.

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 02/05/2016 à 12:45
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Tout ce qui est inutile est bien indispensable à notre époque. Heureusement Smarttress n'est pas efficace pour la table de la cuisine ou la commode !!!

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