Le smartphone est devenu une « prothèse cérébrale »

Une étude de Kaspersky Lab révèle que les Français stockent de plus en plus d’informations essentielles dans leurs smartphones, plutôt que de les garder en mémoire. Souvent perçue comme une forme de paresse, cette manière de faire permet, au contraire, aux individus de consacrer davantage d’énergie à d’autres tâches, notamment professionnelles.
Pierre Manière
L’amnésie digitale permet « de mieux activer la concentration sur d’autres contenus plus professionnels », affirme la sociologue Laurence Allard.

Les « téléphones intelligents » se transforment-ils cartes mémoires pour nos cerveaux ? Oui, affirme une étude de Kaspersky Lab publiée ce mercredi. Le spécialiste de la cybersécurité a interrogé 6.000 personnes de plus de 16 ans dans six pays européens (dont la France) sur le phénomène dit « d'amnésie numérique ». En clair, les individus peinent de plus en plus à se rappeler d'informations personnelles parfois essentielles car celles-ci sont stockées dans un appareil numérique, comme un smartphone. Les résultats de l'enquête confirment la tendance : il en ressort que plus de la moitié des « consommateurs européens connectés » (57%) ne connaissent par exemple ni les numéros de leurs enfants, ni celui de leur propre lieu de travail (51%).

En outre, un tiers d'entre eux sont incapables de se souvenir du numéro de la personne qui partage leur vie. Dans la même veine, près de la moitié des 16-24 ans interrogés (43%) répondent que leur smartphone contient « à peu près tout ce qu'ils doivent savoir ou se rappeler ». Les Français, toutes tranches d'âges confondues, sont 32% à déclarer cela. Ces déclarations constituent un important révélateur d'un changement de fonctionnement des individus à l'heure du numérique. « Le smartphone est utilisé pour des pratiques de communication avec autrui, mais également avec soi-même », constate Laurence Allard, sociologue à l'Université Lille 3. Véritables « support d'usages mémoriels », les téléphones intelligents font ainsi « pour certains office de 'prothèses cérébrales' », constate-t-elle.

Des oublis « réfléchis »

Au-delà des numéros des proches - qu'on peut en général facilement récupérer en cas de perte -, le téléphone sert de plus en plus à stocker des informations de première importance. Dans une autre étude sortie au printemps et émanant de Symantec (l'éditeur de l'antivirus Norton), un Français sur cinq a enregistré ses coordonnées bancaires sur son smartphone. Et environ un sur trois y a mis ses mots de passe pour accéder aux réseaux sociaux, ou ses identifiants de messagerie personnelle. En cas de perte ou de piratage, cela peut s'avérer aussi désastreux que couteux. Ce qui, au passage, justifie le fort intérêt des Kaspersky et Symantec pour ces pratiques, perçus pour leur part comme d'importants relais de croissance.

Toutefois, pourquoi diable les individus externalisent-ils leur mémoire de la sorte ? Après tout, ils ne sont pas naïfs et en connaissent bien les risques... Faut-il voir dans ces usages une forme d'inattention, voire de paresse intellectuelle ? Certainement pas, rétorque Laurence Allard. Elle en veut pour preuve les trésors d'imagination et de créativité des individus pour oublier et retrouver leurs informations. « En effet, on peut observer une multiplicité de tactiques digitales de mémorisation : prendre en photo l'emplacement de parking de sa voiture, écrire des notes dans son agenda, se créer des alarmes ou des mémos », égrène-t-elle, en insistant sur le caractère « intentionnel et réfléchi » de ces manœuvres.

Vider sa mémoire pour gagner en concentration

Surtout, elle insiste sur le fait que l'amnésie digitale permet « de mieux activer la concentration sur d'autres contenus plus professionnels ». En d'autres termes, les individus, ainsi délestés du poids de certaines données, peuvent consacrer davantage d'énergie à d'autres tâches, qu'ils considèrent plus essentielles. Laurence Allard cite le cas d'une cadre spécialisée dans l'aménagement du territoire, interrogée en janvier lors d'une enquête dans le Nord-pas-de-Calais. « Elle avait oublié, de son propre chef, des éléments privés, pour mieux se concentrer sur ses processus professionnels, relate la chercheuse. En effaçant ainsi des contenus de sa mémoire, elle arrivait à mieux traiter ses dossiers juridiques compliqués. » Loin d'être liée à une forme de fainéantise, cette manière de faire montre a contrario que les individus portent une attention soutenue à leurs processus cognitifs. Même inconsciemment. Pas si bête, l'homo numericus.

Pierre Manière

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Commentaires 2
à écrit le 22/10/2015 à 13:28
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ESSAI

à écrit le 07/07/2015 à 12:52
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Sachant que ces smartphones sont des passoires sécuritaires, ça promet ...

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