Législatives : une Assemblée plus sensible aux enjeux de la nouvelle économie ?

Malgré les échecs de certains des députés les plus actifs sur le numérique sous François Hollande (Axelle Lemaire, Lionel Tardy, Luc Belot, NKM...), le renouvellement générationnel et la présence de davantage d’élus issus de la société civile laissent espérer une Assemblée beaucoup plus en phase avec la révolution numérique.
Sylvain Rolland
Le triomphe de La République En Marche (LREM) a coûté leur place à de nombreux spécialistes du numérique, mais le renouvellement générationnel et sociologique de l'Assemblée nationale va engranger de nombreux nouveaux élus préoccupés par les enjeux de la transformation numérique de l'économie et de la société.

Déconnectés, accrochés à « l'ancien monde », analphabètes de la technologie, à peine à l'aise avec un smartphone... Pendant le quinquennat de François Hollande, les experts n'ont cessé de critiquer le manque criant de culture numérique des parlementaires. Et, par ricochet, de déplorer leur incompréhension des grands enjeux de transformation de la société et de l'économie sous l'effet des nouvelles technologies. Plus blancs, plus vieux, plus fonctionnaires, peu au contact des évolutions de l'entreprise et de la société, les élus du Palais Bourbon peinaient à placer la révolution numérique au cœur des politiques publiques. Seuls une petite vingtaine de députés sur 577, de gauche et de droite, faisaient régulièrement vivre le débat sur ces sujets pourtant cruciaux pour l'avenir de la France.

Cette époque est-elle révolue ? L'élection d'Emmanuel Macron, le chouchou des startuppers qui veut « faire entrer la France dans la modernité », a entraîné dimanche 18 juin, lors du second tour des élections législatives, une vague de dégagisme sans précédent dans la Vè République. L'Assemblée Nationale se retrouve en grande partie renouvelée, avec 204 primo députés. Le mouvement La République En Marche, composé de personnes issues de la société civile et de transfuges de la gauche et de la droite, a obtenu une majorité absolue solide avec 308 sièges (350 avec le Modem). Les Républicains et l'UDI (149 sièges) et surtout le Parti Socialiste et ses alliés (32 sièges), subissent une cuisante défaite.

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Un renouvellement générationnel et sociologique synonyme d'une meilleure culture numérique

Si l'âge moyen des députés ne baisse que de cinq ans par rapport à 2012 (48,8 ans contre 54,1 ans), 301 élus ont désormais moins de 50 ans, contre à peine 102 en 2012. Dans le détail, 29 députés appartiennent à la génération des Millennials, les moins de 30 ans (une seule en 2012, Marion Maréchal-Le-Pen). 100 ont entre 30 et 39 ans (17 en 2012) et 172 entre 40 et 49 ans (84 en 2012). A l'inverse, seuls 88 députés ont plus de 60 ans, contre 286 cinq ans plus tôt...

Ce renouvellement sera-t-il synonyme d'une meilleure prise en compte des enjeux de la révolution numérique ?

« Le vent d'air frais sociologique et générationnel, avec davantage de députés plus jeunes, issus de la société civile et du monde de l'entreprise, améliore mécaniquement le niveau de culture numérique des députés, ce qui est une excellente chose », se réjouit Benoît Thieulin, patron de la société de conseil La Netscouade et ancien président du Conseil National du numérique (CNNum).

La quinzième législature comptera moins de fonctionnaires (130 contre 199 en 2012) et davantage de cadres et de professions libérales (272 contre 213). François Doux, membre du comité d'organisation de l'Institut G9+ et cofondateur de la startup Xood, aborde ce changement d'un « œil très positif » :

« L'entrée massive de non-professionnels de la politique à l'Assemblée va apporter un nouveau regard et une meilleure connaissance de la transformation digitale, car beaucoup de nouveaux députés l'ont vécue en entreprise. L'inconvénient est que beaucoup sont des novices, il y aura des ratés, mais ils vont impulser une nouvelle dynamique salutaire », espère-t-il.

Une dizaine de spécialistes réélus

Si l'Assemblée dans son ensemble semble mieux équipée pour légiférer sur la transformation numérique de la société et de l'économie, quels sont les spécialistes reconnus du numérique de la nouvelle mandature ?

En attendant de découvrir la nouvelle composition des commissions et des groupes d'études spécialisés, le Palais Bourbon pourra s'appuyer sur l'expertise d'une poignée de parlementaires qui ont déjà fait leurs preuves.

Laure de La Raudière (LR), l'une des rares « généralistes » du numérique, aussi à l'aise sur les enjeux traditionnels des télécoms que sur les nouvelles technologies les plus pointues comme la blockchain, auteur de plusieurs rapports de référence (neutralité du net, fracture numérique, développement économique et de l'Internet des Objets...), a été élue pour un troisième mandat. La voix de cette proche de Bruno Le Maire, l'actuel ministre de l'Economie et des Finances, sera certainement l'une des plus influentes du mandat sur les sujets numériques.

Très actif pendant les débats sur la Loi pour une République numérique d'Axelle Lemaire, Philippe Gosselin (LR), spécialiste du futur règlement européen sur la protection des données (il a écrit un rapport à ce sujet) et membre de la CNIL, a aussi été réélu. Tout comme le communiste André Chassaigne (engagé notamment sur le sujet de la fracture numérique) et la socialiste Delphine Batho (spécialiste des fichiers de police mais raillée en 2016 pour son amendement « fantaisiste » à la loi Lemaire portant sur la création d'un « OS souverain »). La commissaire à la CNIL Laurence Dumont (PS) ou encore le partisan du logiciel libre Paul Molac (apparenté PS en 2012, macroniste en 2017) ont sauvé leur place. D'autres membres de la Commission supérieure du Numérique et des Postes (CSNP), de la Commission de réflexion sur les droits et libertés à l'âge du numérique, ou encore du groupe d'études Internet et société numérique, ont obtenu un nouveau mandat.

Mounir Mahjoubi, Bruno Bonnell, Frédérique Dumas : entrepreneurs et experts du numérique font leur entrée

Du côté des nouveaux visages, La République En Marche (LREM) a fait élire à l'Assemblée une certain nombre d'entrepreneurs et d'experts. Dans la première catégorie, le secrétaire d'Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, également fondateur de plusieurs startups (dont la coopérative La Ruche Qui Dit Oui) et ancien président du Conseil National du numérique (CNNum), a été élu mais ne siégera pas tant qu'il restera au gouvernement. Sa suppléante, Delphine O, est aussi une entrepreneure, mais elle s'intéresse surtout à la politique étrangère.

     | Lire. Mounir Mahjoubi, un « chief digital officer » au cœur de l'Etat

L'entrepreneur Bruno Bonnell, fondateur du fonds d'investissement spécialisé dans la robotique Robolution Capital et de startups dans la robotique et les jeux vidéo, a réussi à battre Najat Vallaud-Belkacem dans le Rhône. Si les soupçons d'optimisation fiscale révélés par Mediapart ne l'empêchent pas, il sera une pièce maîtresse à l'Assemblée nationale sur tous les sujets numériques, notamment ceux liés aux nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle. Elue dans la circonscription des français d'Amérique du Sud, la franco-argentine Paula Forteza, co-fondatrice de la startup Jailbreak.paris, apportera son expertise de l'open data et de l'open innovation. Notons aussi l'élection de Sylvain Maillard, créateur de la société Altlantis Technology.

Plusieurs élus macronistes disposent d'une expérience significative des réseaux, notamment Jean-René Cazeneuve, directeur général adjoint chez Bouygues Telecom, et Thomas Gassilloud, maire de Saint-Symphorien-sur-Coise (69) et président du fournisseur d'accès à internet alternatif Wibox.

Enfin, les lobbies de l'industrie culturelle, confrontés à la problématique de la création et des droits d'auteur à l'heure de la numérisation, trouveront plusieurs interlocuteurs familiers de ces sujets complexes. Notamment la productrice de cinéma et de télévision Frédérique Dumas, également conseillère régionale en Ile-de-France, ou encore l'eurodéputée Constance Le Grip (LR), qui a travaillé sur le droit d'auteur à Bruxelles.

Axelle Lemaire, Lionel Tardy, Luc Belot... : le « dégagisme » a aussi frappé certains des meilleurs spécialistes

En revanche, le « dégagisme » qui a balayé les partis traditionnels a aussi frappé certains des meilleurs spécialistes du numérique. Parmi eux, l'ancienne secrétaire d'Etat au Numérique Axelle Lemaire (PS), largement battue dans sa circonscription des Français d'Europe du Nord et réputée pour sa connaissance des dossiers et son combat pour l'innovation inclusive, ne récupère pas son siège.

Toujours à gauche, Luc Belot, ancien rapporteur de la Loi pour une République Numérique et spécialiste de la « smart city », Christian Paul, engagé pour la modernisation de l'Etat, Yann Galut, spécialiste de la fiscalité des GAFA, Gérard Bapt, expert sur la e-santé, ou encore l'écologiste Isabelle Attard, engagée contre la surveillance de masse, ont aussi pris la porte.

A droite, le très-estimé Lionel Tardy, à l'aise sur tous les sujets numériques, et l'ancienne secrétaire d'Etat en charge de l'Economie Numérique sous Nicolas Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet, n'ont pas résisté à la vague macroniste. Enfin, Patrice Martin-Lalande (LR), très actif en commission, a quant à lui décidé de ne pas se représenter, tout comme le socialiste Laurent Grandguillaume, connu pour sa loi sur les taxis et les VTC, et Pascal Terrasse (PS), auteur d'un rapport remarqué sur l'économie collaborative.

« Identifier les bons »

Pour Benoît Thieulin, l'échec de ces spécialistes n'est pas une bonne nouvelle.

« On perd des alliés. Si ce renouvellement générationnel et sociologique va permettre de mieux infuser la culture numérique à l'Assemblée, il ne faut pas imaginer que cela règle le problème. Il va falloir identifier les bons, les gens qui pensent vraiment et qui sauront élever le débat », estime-t-il.

De son côté, François Doux, de l'institut G9+, ne s'en inquiète pas. « Il ne sert à rien de regretter. Ceux qui ont été battus peuvent continuer à montrer la voie de l'extérieur. Les nouveaux vont apprendre en marchant », relativise-t-il.

Les députés seront en tout cas beaucoup plus sollicités sur les sujets numériques que sous François Hollande. Au salon technologique Viva Tech, qui s'est tenu à Paris du 15 au 17 juin, Emmanuel Macron a réaffirmé sa volonté de transformer l'Etat, de développer l'écosystème d'innovation français et européen, et de placer la transformation numérique au cœur de la problématique de l'emploi. Les députés n'auront pas le choix que de prendre le virage du numérique.

*Un graphique de notre partenaire Statista

Sylvain Rolland

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Commentaires 5
à écrit le 21/06/2017 à 9:48
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Dommage pour les plus « éveillés (ées)», telle NKM qui avait une « stratégie numérique ». Ceci dit, depuis quelques années on n’a pas ressenti une réelle dynamique et une volonté d’investissements massifs dans les technologies numériques. C’est ce ...

à écrit le 20/06/2017 à 17:25
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Ne connaître que le numérique est aussi stérile que n'en rien connaître. C'est un peu comme les maths, elles permettent de pousser le raisonnement et de rationaliser, mais elles ne créent rien, c'est un outil.

à écrit le 20/06/2017 à 10:10
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Si les soupçons d'optimisation fiscale révélés par Mediapart ne l'empêchent pas ... . Depuis quand l'optimisation fiscale est interdite en France ?

à écrit le 20/06/2017 à 10:01
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"La culture numérique" est un sous produit de la sous-culture américaine. La "culture numérique", c'est essentiellement du bla-blatage médiatique, de la pub, des portes ouvertes aux "fake news", au piratage, aux arnaques, à toutes les propagandes le...

à écrit le 20/06/2017 à 9:37
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Dans le cas de NKM, c est pas une perte. C etait une politicienne dans le pire sens du mot: prete a tout pour se faire reelire. Pas de bol, son soutien a Fillon en echange d une circonscription en or ne la pas sauvee

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