La fiction TV au pain sec et à l'eau...

Les chaînes de télévision, France 2 et TF1 en tête, délaissent les fictions onéreuses, au profit de la « fiction du réel ». Des programmes d'un nouveau genre qui font hurler les puristes, à commencer par le Centre national du cinéma.
Plus Belle La Vie, la quotidienne de France 3, a fêté sa 2.000ème édition Copyright AFP

Le jour où tout a basculé sur France 2, Au nom de la vérité sur TF1 ou encore Hollywood Girls sur NRJ 12. Dans le jargon, les professionnels appellent ces drôles de programmes - qui ont fait discrètement irruption sur les écrans ces derniers mois - de la scripted reality, ou « fiction du réel ». À mi-chemin entre le documentaire, la reconstitution et la téléréalité, ces ovnis du petit écran, dont chaque épisode dure en moyenne entre 13 et 26 minutes, racontent - dans des tons proches de la téléréalité et n'échappant pas toujours à la vulgarité - des psychodrames de la vie quotidienne, des faits divers en tout genre, des histoires policières. En France, Cas de divorce, diffusé dans les années 1990, d'abord sur la cinq puis sur TF1, qui narrait sur le mode du réel des divorces dans les tribunaux, fait office d'ancêtre.

Des coûts défiant toute concurrence

Principal avantage de ces nouveaux formats : des coûts de fabrication défiant toute concurrence. L'heure de production coûte entre 60 000 et 120.000 euros, contre un tarif allant de 900.000 à 1 million d'euros pour une heure de fiction de prime time (après 20 heures). Le secret : beaucoup de voix off, qui permet de raconter sans avoir besoin de montrer, un scénario réduit, des personnages récurrents, et une inspiration puisée dans des faits réels. Sur NRJ 12, Hollywood Girls, produit par La grosse équipe (TelFrance), qui narre les aventures de deux Françaises en quête de célébrité sur la côte Ouest des Etats-Unis, a recruté ses comédiens dans des émissions de téléréalité. Les dialogues ne sont pas écrits à l'avance, mais improvisés par les acteurs. « Le genre doit rester dans la logique des programmes de "flux" [magazines, jeux, émission de plateau, etc., ndlr]. Il faut que cela ressemble à de la réalité », justifie Nathalie Darrigrand, directrice de l'unité magazines de société de France 2, qui a choisi de mettre à l'antenne Le jour où tout a basculé, de Julien courbet.et les premiers bilans sont satisfaisants pour les chaînes, qui réussissent à fidéliser un public féminin à des heures creuses. « Nous avons enregistré une grosse progression sur les femmes de moins de 50 ans », se félicite Nathalie Darrigrand.

France télévisions va tenter de réitérer l'expérience sur France 3 en début d'après-midi, avec un programme signé 909 productions (Lagardère Entertainment). La chaîne tF1 est également satisfaite des premiers pas d'Au nom de la vérité, à l'antenne à 11 heures du matin depuis le 27 mai, qui capte 20 % de la fameuse ménagère, principale cible commerciale de la chaîne, soit 8 points de mieux qu'avant. « Nous amenons ainsi de la fiction inédite en milieu de journée. C'est très différenciant », revendique Céline Nallet, directrice des opérations de fiction française de tF1. La Une a d'ailleurs commandé à la société de production d'emma-nuel chain, elephant, un second programme, dont une première salve de 30 épisodes est en cours de tournage. « Nous sommes partis de la recherche de faits divers. Cela peut être des histoires d'entreprises, de famille. Le but est de faire une heure de programmes avec trois histoires différentes de 13 minutes », précise guillaume renouil, à la tête du pôle fiction d'elephant.

Des programmes classés comme divertissement

Seul hic : le centre national du cinéma (CNC) et le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) refusent de considérer ces programmes comme des fictions. Or, c'est ce statut qui permet aux producteurs de percevoir des financements du CNC et aux chaînes de faire entrer ces heures dans leurs quotas de diffusion d'?uvres originales. Un véritable bras de fer a commencé entre les institutions et les professionnels. Coup sur coup, le CNC a refusé les demandes de financement de Julien courbet, d'Eléphant et de Studio 89 (M6), selon nos informations. « Les investissements dans la création sont insuffisants. Et cela ressemble trop à du documentaire ou à de la téléréalité. Même si nous ne fermons pas la porte aux producteurs », justifie-t-on au sein du CNC. Le CSA, qui a pour l'instant classé ces programmes dans la catégorie divertissement, se penchera sur la question en juillet.

Pour les chaînes comme pour les producteurs, l'enjeu est énorme. « Il y a des réalisateurs et des comédiens, c'est écrit, joué et réalisé. Le CNC n'a aucune raison de ne pas accorder d'aides au programme de Courbet. C'est un jugement de valeur », éructe Takis Candilis, le pdg de Lagardère Entertainment. Pour Elephant, par exemple, l'aide du CNC, si elle était accordée, représenterait entre 8 % et 10 % du coût du programme. Pour la profession, pas question de laisser filer cette manne. « Il faut s'entendre sur des critères objectifs, qui permettent d'accorder le statut de fiction, comme la part consacrée à l'écriture qui doit être substantielle, le fait de s'adresser à des acteurs professionnels, ou le pourcentage de voix off. Nous avons monté des rendez-vous avec le syndicat des producteurs, celui des auteurs [la Sacd] et le CNC », indique Guillaume Renouil.

Les chaînes délaissent les formats traditionnels

Alors qu'elles travaillent d'arrache-pied sur ces nouveaux genres, les chaînes délaissent la fiction traditionnelle, à commencer par les feuilletons quotidiens. En toute discrétion, Rémy Pflimlin vient d'abandonner l'une des promesses phares de son mandat : la déclinaison d'une série quotidienne sur France 2. Une volte-face étonnante de la part du pdg de France télévisions, qui avait pourtant soutenu, lorsqu'il était à la tête de France 3, Plus belle la vie. La fiction marseillaise, qui vient de fêter son 2 000e épisode, constitue un vrai succès du genre, avec 20 % d'audience chaque soir, soit deux fois plus que la moyenne de la chaîne. Mais les temps ont changé et la concurrence est devenue beaucoup plus rude entre les chaînes sur les horaires de grande écoute.

À l'heure où les audiences ne cessent de baisser, personne n'a osé lancer un chantier qui coûterait 25 millions d'euros par an. « On a été une quinzaine à en discuter. On a d'abord évoqué une case à 14 h, puis à 15 h, puis à 17 h. Et un jour il n'y a plus eu de réunion », indique l'un des participants aux réunions. « Nous ne ferons pas de fiction quotidienne. Nous n'avons pas fait de pilote. Il a fallu attendre plusieurs mois avant que les audiences de plus belle la vie ne décollent. C'est difficile sur une case d'access [à partir de 18 heures] », confirme Sophie Gigon. Même rétropédalage chez TF1, qui a étudié le projet pendant deux ans. « Nous avons tourné un pilote avec Marathon. Mais nous avons préféré mettre le projet en stand-by pour l'instant », confirme Céline Nallet.

Les séries courtes en phase avec la zapping

Il faut dire qu'en 2008, TF1, M6 et France télévisions ont essuyé trois échecs simultanés, avec respectivement Seconde Chance, Cinq s?urs et Pas de secret entre nous, tous arrêtés prématurément. « Il n'y a pas que le budget. En cas d'échec, c'est plus facile d'arrêter carré Viiip qu'une série », indique un producteur. À l'heure du zapping multi-écrans, place plutôt aux séries courtes de quelques minutes, à l'image de Scènes de ménage, qui cartonne sur M6. « Nous  avons lancé un programme sur France 2 avant 20 h. Nous étudions un format de cinq minutes. C'est notre façon de répondre à la fiction quotidienne », indique Sophie Gigon. TF1 vient de mettre à l'antenne, après le JT, Nos chers voisins, à la place de Nicolas Canteloup. « Une minute de programme, c'est quatre à cinq fois moins cher qu'un 90 minutes », se félicite Takis Candilis, qui produit le programme de la Une. Mais là non plus, rien n'est gagné. Après des débuts en fanfare, canal + a arrêté au bout d'une seule saison Bref, une série humoristique courte sur les trentenaires.

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