Hersant - Tapie : une salade marseillaise

La reprise in extremis du Groupe Hersant Média par l'ancien patron de l'OM continue de faire polémique. Philippe Hersant a failli perdre son groupe de presse, croulant sous 215 millions d'euros de dettes. Finalement les banques ont préféré perdre 170 millions et le laisser racheter son propre groupe avec Bernard Tapie. Le gouvernement n'a pas apprécié la manoeuvre, mais n'a rien pu faire. Arnaud Montebourg a demandé une enquête financière sur d'éventuels abus de biens sociaux concernant le groupe Hersant. Les socialistes ont obtenu une commission d'enquête parlementaire. Récit d'un retournement.
Copyright Reuters
Copyright Reuters (Crédits : <small>Reuters</small>)

Le 15 février 2013, Bernard Tapie sera légalement propriétaire de la moitié de La Provence, de Nice-Matin et de Corse-Matin, ainsi que de la moitié de cinq journaux et de trois radios d'outre-mer. Philippe Hersant, l'actuel propriétaire qui, l'été dernier, était prêt à tout perdre, en gardera, lui, les 50 % restants, toutes dettes épongées! Les 17 banques auprès desquelles son groupe est endetté se sont assises sur 170 millions d'euros. "C'est la première fois que je vois des banques aussi contentes de perdre autant d'argent!" s'est étonné le président du tribunal de commerce de Marseille, le 9 janvier...

La commission d'enquête parlementaire demandée par Patrick Mennucci, député PS de Marseille, aura beau s'activer et enquêter, elle n'y changera rien. Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, et François Hollande auront beau continuer à dire (en off) tout le mal qu'ils pensent de Bernard Tapie et de Philippe Hersant, les trois quotidiens de Paca seront aux mains « d'incontrôlables » politiquement et économiquement! Philippe Hersant s'en sort bien et il le sait. Lorsqu'en 2007, il rachète les trois quotidiens du Groupe du Sud (La Provence, Nice-Matin et Corse-Matin), il les paie au prix fort. 160 millions d'euros. Le vendeur, Arnaud Lagardère, était prêt à les céder à 120 millions. Il a vendu au très bon moment ses trois quotidiens : depuis 2002, Nice-Matin dégageait près de 8 millions d'euros par an d'excédent brut d'exploitation, La Provence, entre 5,5 et 6 millions et Corse-Matin était un petit bijou de gestion. Mais tout le monde sait à l'époque que les taux de rentabilité à 7 ou 8% de ces journaux ne dureront pas : sureffectifs permanents, masse salariale trop importante, freins de la CGT du Livre à Nice-Matin, lectorat vieillissant, concurrence d'Internet... ce n'est pas tenable. Philippe Hersant achète quand même au prix fort car cette acquisition a du sens pour GHM, son groupe de presse de province et de gratuits. Et surtout, les banques lui prêtent ce qu'il veut.

"Philippe Hersant n'a ni le charisme de son père, ni sa vision de la presse. Mais il a appris de lui à faire financer la croissance et l'endettement de son groupe par les banques, explique un gestionnaire de presse qui a travaillé avec le père, Robert, et le fils. Le père avait un monstrueux culot, de formidables soutiens politiques et une incontestable capacité de nuisance avec ses titres [Le Figaro, ndlr], donc les banques suivaient. Robert Hersant a coûté une fortune au Crédit lyonnais ! Étonnamment, les banques continuent à soutenir le fils qui, lui, n'a ni les mêmes soutiens ni la même capacité de nuisance que son père".

En 2007, on se bouscule donc au portillon pour prêter : "Dix-sept banques nous ont prêté et, franchement, nous aurions pu en avoir encore plus", sourit un dirigeant du Groupe Hersant Média. GHM va donc emprunter 160 millions, qui iront au rachat du Groupe du Sud, et la famille Hersant, 80 autres qui financeront des emprunts pour la Comareg. La Comareg, avec le gratuit de petites annonces Paru Vendu, était supposée être la poule aux ?ufs d'or du groupe. Ses dividendes devaient rembourser les emprunts effectués par le Groupe du Sud, a expliqué Philippe Hersant aux banques. Elles l'ont cru. Sans voir que le premier groupe de presse gratuite en France, racheté (très cher) à Vivendi en 2003, commence à battre de l'aile. Ses dirigeants vivent grand train, ne voient pas venir la concurrence d'Internet sur les petites annonces et se prennent en pleine face la crise de 2008 avec l'effondrement des recettes publicitaires.

Le groupe prend l'eau de toutes parts

À la fin de 2010, c'est la cessation de paiements. Un administrateur judiciaire ad hoc, Laurence Lessertois, est nommé pour GHM tandis que le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) récupère le dossier. Mais personne ne sait empêcher la catastrophe. Un premier plan social, en mars 2011, est tellement complexe, qu'il n'est pas appliqué avant l'été. Entre mars et l'été 2011, le chiffre d'affaires continue de plonger (- 20%). Il ressortira à 543 millions d'euros à la fin de 2011 (contre 900 millions quatre ans plus tôt). Quant à la Comareg, la chute de son CA donne le vertige : 370 millions d'euros en 2007, 227 millions en 2010...

C'est trop tard. GHM a beau demander aux banques d'oublier 50 millions de dettes de la Coma-reg, plaider que le Fonds stratégique d'investissement (FSI) entre au capital de la Comareg, en novembre, Laurence Lessertois met la clé sous le paillasson. Les 1650 employés de la Comareg et d'Hebdoprint se retrouvent à Pôle emploi. Si ceux-ci avaient reçu la totalité des indemnités conventionnelles auxquelles ils auraient pu prétendre, l'addition aurait été de 40 millions pour la Comareg et Hebdoprint. Les sociétés étant insolvables, c'est l'AGS (la garantie de salaires des employeurs) qui paie les indemnités légales de licenciement. Résultat, les employés ne touchent globalement que 16 millions! C'est d'ailleurs l'un des points qui justifie la commission d'enquête parlementaire ainsi qu'un recours en justice très probable des anciens salariés.

Un autre point concerne Laurence Lessertois qui a peut-être mélangé les genres en se retrouvant à la fois administrateur ad hoc de GHM et administrateur judiciaire de la Comar et Hebdoprint, les entités ayant des intérêts opposés. Mais la Comareg n'est pas la seule à plomber les comptes d'Hersant. Paris Normandie est en très mauvais état, L'Union de Reims ne se porte pas mieux. Bref, le groupe prend l'eau de toutes parts, mais le Ciri et les banques continuent de le soutenir. Les UMP François Baroin (dont le fief électoral est à Troyes) et Xavier Bertrand (élu de Saint Quentin) d'un côté, et le socialiste Jean-Paul Bachy (président de la région Champagne-Ardenne) de l'autre s'agitent un peu pour L'Union de Reims dont la zone de diffusion couvre la Champagne et l'Est de la Picardie. Puis, un premier plan est avancé par le groupe belge Rossel (qui détient déjà La Voix du Nord, Nord Éclair et Le Courrier Picard). Il veut L'Union et propose à GHM de fusionner au sein d'un seul groupe, dirigé par Rossel, où le Belge mettrait 60% des parts de La Voix du Nord et GHM l'intégralité de sa presse quotidienne régionale, sauf Paris Normandie.

Les négociations entamées avec la CGT de L'Union sont vite bloquées, l'accord capote, les banques commencent à s'inquiéter et le Ciri s'agace sérieusement. François Hollande vient d'être élu, Arnaud Montebourg a récupéré le dossier et Fanny Letier, la secrétaire générale du Ciri qui suivait tout est désormais directrice adjointe du cabinet du ministre. Les temps deviennent plus durs pour Philippe Hersant. Et début juillet 2012, les banques (215 millions d'euros de créances sur le groupe, intérêts compris) soutenues par Arnaud Montebourg le font plier. Il accepte de leur céder le groupe pour 1 euro symbolique, à charge pour elles de vendre tout ou partie pour récupérer leur argent.

Les banquiers acceptent de perdre 170 millions

Mais elles ne vont jamais y arriver. Elles s'aperçoivent vite que les trois quotidiens du Sud, achetés 160 millions en 2007, n'en valent même plus la moitié cinq ans après. Entre les mains de Philippe Hersant, l'or s'est transformé en plomb. Leur constat? La Provence partira entre 20 et 25 millions, Corse-Matin entre 12 et 15 millions et Nice-Matin entre 30 et 35 millions. Total, entre 62 et 75 millions. Conclusion : quel intérêt de passer des mois à vendre pour se retrouver avec une dette non récupérée de 140 millions d'euros? Dominique Bernard, le directeur général du GHM, leur suggère que, si elles se contentent d'une cinquantaine de millions et passent l'éponge sur le reste, il pourra peut-être régler le dossier. 50 millions tout de suite ou 75 millions hypothétiques dans six mois? Les banques craquent. Elles acceptent d'autant plus facilement que Philippe Hersant vient de se débarrasser de ses deux grandes sources des pertes : Paris Normandie vendu pour l'euro symbolique et L'Union reprise par Rossel. Elles sont un peu rassurées et, comme certaines sont également gestionnaires de la fortune personnelle des héritiers de Robert Hersant, elles n'ont pas forcément intérêt à dépouiller totalement GHM...

Deux hommes qui ne se connaissent pas

Une banque, une seule, n'est pas d'accord : BNP Paribas, qui détiendrait plus de 20 % des dettes, s'en va trouver le groupe Rossel et propose de financer sa proposition de rachat. Rossel est un vieux client de Fortis, banque récupérée par BNP Paribas, et François Villeroy de Galhau, le directeur général délégué du groupe du boulevard des Italiens, ancien directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn à Bercy, essaie de monter l'opération. Une demande de l'Élysée? D'Arnaud Montebourg? Possible. Très possible même, car Philippe Hersant a, lui, décidé de s'associer avec Bernard Tapie. Les deux hommes ne se connaissent absolument pas, mais Maurice Lantourne est l'avocat des deux. C'est lui qui a l'idée en octobre de cette association hautement improbable entre un taiseux timide exilé fiscal en Suisse et la grande gueule qui a gagné la Ligue des Champions. Un ancien ministre de François Mitterrand que ni François Hollande ni Arnaud Montebourg ne peuvent supporter. Un homme dont l'Élysée dit partout qu'il ne veut La Provence que pour préparer les élections municipales de 2014 et qu'il vendra après.

Évidemment, lorsque Bernard Tapie entre en scène, tout devient plus poétique. Les banques et les hauts fonctionnaires du Ciri voient ainsi l'ancien patron de l'OM dégainer son téléphone en pleine discussion pour appeler François Pérol, le président des Banques populaires. Ou bien Frédéric Oudéa, le PDG de la Société générale, ou encore Arnaud Montebourg. Ils l'entendent même lancer à un banquier demandant d'éventuelles garanties : "Mais, enfin, je vous ai donné ma parole!"... Il est vrai que ces mêmes banquiers ont entendu un jour l'avocat de Bernard Tapie, Maurice Lantourne, lancer (en plaisantant?) : "Les garanties, c'est pour les pauvres !" Ils voient donc Tapie vitupérer contre la campagne de dénigrement dont il est la cible : "On me traite comme si j'avais vendu du beurre aux Allemands! "

Des journalistes l'entendent hurler que Patrick Mennucci est un dingue de demander une commission d'enquête parlementaire. À d'autres il arme qu'il garde l'enregistrement d'une conversation avec Fanny Letier, la directrice adjointe du cabinet de Montebourg, lui disant qu'il n'aurait jamais les journaux. Bref, Bernard Tapie fait un grand numéro. Et ça va marcher... Les 17 banquiers n'ont d'ailleurs guère le choix, la concurrence faisant cruellement défaut : le groupe Rossel, qui a fait retarder pendant 24 heures la signature du protocole d'accord avec Tapie et Hersant, va finalement reculer à la dernière seconde. Charles Villeneuve, ancien directeur des Sports de TF1, monte une proposition avec Étienne Mougeotte (ancien vice-président de TF1, et ancien directeur des rédactions du Figaro) et l'homme d'affaires Iskandar Safa comme financier. Celui-ci possède une immense propriété à Mandelieu (Alpes-Maritimes), il est prêt à financer le rachat de Nice-Matin pour son vieil ami Charles Villeneuve. Mais ils abandonnent. Rien n'interdit d'ailleurs de penser que les trois rachèteront Nice-Matin dès que Bernard Tapie et Philippe Hersant décideront de le vendre. Idem pour Corse-Matin.

Le 24 décembre, l'accord est bouclé, les banques ont perdu 170 millions, Bernard Tapie revenu en conquérant à Marseille retrouvera sans problème sa mise en revendant par appartements et Philippe Hersant peut continuer dans son exil fiscal à acheter des journaux en Suisse romande. Certes, il a un peu perdu dans l'histoire, mais comme les managements fees (sommes reversées à la maison mère) qui sont remontés des journaux à GHM auraient quand même atteint les 20 millions depuis 2007...

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 16/02/2013 à 3:49
Signaler
L'auteur de l'article oublie les pôles antillais (toujours dans GHM, estimé à plus de 10 millions), calédonien (dont la vente imminente à des groupes locaux rapportera au moins 15 millions) et polynésien (vendu 10 millions en juillet dernier à des ho...

à écrit le 12/02/2013 à 16:22
Signaler
Tapie toujours en avance sur son temps! N'était-ce pas lui qui dès 1989 truquait les matches de foot? Les banquiers il s'en est toujours bien arranger la SDBO en sait quelque chose. Avec le temps le jeu sera plus subtil.

à écrit le 12/02/2013 à 12:58
Signaler
Il était une fois des banquiers qui n'aimaient pas la presse (trop curieuse,elle les empêche de magouiller quand elle fait son travail correctement) et d'autre part un homme d'affaires qui pour les mêmes raisons veut la mettre à sa botte en achetant ...

à écrit le 12/02/2013 à 10:18
Signaler
...marseillaise ou niçoise, au choix! affaires, re-affaires plus ou moins nettes, point de transparence , n'est ce pas là dedans, mystères et boule de gomme! lamentable ! Mr Tapie "homme de tous les succés"! il a "touché", à tout c't homme là! quel ...

à écrit le 12/02/2013 à 10:04
Signaler
Tout est politique, le problème du PS n'est pas seulement Marseille, mais plus globalement PACA. Si Tapie se remet en selle il va siphonner les voix PS aux municipaqles mais aussi aux régionnales. L'impopularité du gouvernement, l'affaire Guérini et ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.