Le paysage médiatique français en pleine ébullition

Avec la prochaine élection présidentielle en ligne de mire, de nouveaux empires médiatiques voient le jour, dirigés par des magnats des télécoms et des grands industriels. Ces nouveaux acteurs accélèrent un mouvement de consolidation des médias autour des plus grandes fortunes françaises.
Sylvain Rolland
Effet pervers de la consolidation, la grande majorité des médias privés, qu'ils soient audiovisuels ou de presse écrite, appartiennent désormais à des groupes industriels dirigés par les plus grandes fortunes françaises.

Dans la torpeur de l'été, l'annonce a fait l'effet d'une bombe. Le 27 juillet dernier, la société Altice, dirigée par le milliardaire franco-israélien Patrick Drahi, révèle le succès d'une OPA de près de 600 millions d'euros sur le groupe NextRadioTV, dirigé par Alain Weill. Un gros poisson de plus dans les filets du patron de Numericable-SFR.

En avalant NextRadioTV, dont il prendra le contrôle intégral en 2019, Patrick Drahi met surtout la main sur deux titres très en vue : la première chaîne française d'infos en continu, BFM TV, et la très populaire radio RMC. Désormais, la sixième fortune française, selon le classement 2015 des 500 plus grandes fortunes du magazine Challenges, déjà propriétaire de Libération et du groupe L'Express, n'a plus rien à envier aux autres magnats des médias.

Impressionnant ? La rapidité avec laquelle Patrick Drahi a façonné son empire médiatique l'est encore davantage. Lorsqu'il se positionne pour racheter SFR, début 2014, l'homme d'affaires suscite la méfiance d'Arnaud Montebourg, alors ministre de l'Économie, prompt à "demander des comptes" au résident suisse. À ce moment-là, Drahi possède seulement la chaîne d'info i24news, qu'il a fondée en Israël un an auparavant. Il détient aussi des participations dans plusieurs petites chaînes quasi inconnues au bataillon, comme Kombat Sport ou Ma Chaîne Sport.

Un relais d'influence pour les grands patrons

Pour réaliser ses grandes ambitions dans l'Hexagone, l'habile financier doit montrer patte blanche auprès du gouvernement. Sauver des médias en perdition représente sa porte d'entrée, le ticket qui lui offre notoriété et respectabilité dans les milieux politiques et économiques.

Coup de chance, Libération est à l'agonie. Drahi se rapproche discrètement des actionnaires, puis renfloue le quotidien de la rue Béranger à hauteur de 14 millions d'euros. Rebelote début 2015, lorsque l'industriel belge Roularta, qui possède la vingtaine de titres du groupe déficitaire L'Express, manifeste le désir de s'en séparer. L'opportunité de grappiller encore un peu d'influence est trop belle. Le rachat est finalisé en mai.

Tout porte à croire que NextRadioTV ne sera pas son dernier coup d'éclat. D'après Presse News, l'insatiable Drahi lorgnerait désormais sur le groupe de presse professionnelle Intescia, éditeur des magazines Stratégies, Cosmétiques Mag et Coiffure de Paris. Des "petits" canards, certes, mais tous leaders sur leur marché, et donc des relais d'influence...

"Il ne faut pas oublier que le secteur des télécoms est très dépendant de la régulation de l'État", précise l'économiste des médias Julia Cagé. Pour tout grand patron, "posséder des titres de presse ouvre des portes auprès des parlementaires, des membres du gouvernement et de leur cabinet, donc des contacts directs pour aborder les questions de régulation", poursuit-elle. Si les médias sont des gages de respectabilité, ils deviennent aussi des leviers de pression. Pour un politique, mieux vaut éviter de déplaire à un patron de presse...

Un secteur qui attire les opérateurs télécoms

L'opération NextRadioTV, sa plus grosse acquisition médias à ce jour, permet aussi au patron d'Altice de prendre l'avantage sur son meilleur ennemi: Xavier Niel. Le fondateur de Free est l'autre nouveau magnat des médias issu des télécoms. Les deux hommes se regardent en chiens de faïence depuis des années et se livrent une concurrence acharnée.

Contrairement à Drahi, Niel investit à titre personnel et n'opère pas seul dans les médias. L'ancien roi du Minitel rose devenu trublion des télécoms est le "N" du fameux trio "BNP" - Bergé, Niel, Pigasse. Ensemble, les trois compères sont devenus actionnaires majoritaires du groupe Le Monde en 2011, et du Nouvel Observateur l'an dernier. Avec, en ligne de mire, le rapprochement des deux plus grands groupes de centre gauche du pays, qui cohabiteront dans un nouveau bâtiment sur l'avenue Pierre-Mendès-France, à proximité de la gare d'Austerlitz (XIIIè arrondissement de Paris), en 2017.

Avec Martin Bouygues, propriétaire du très influent groupe TF1 (2,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2014), trois des quatre opérateurs télécoms français ont donc la main sur une partie de la presse écrite, de la radio et de la télévision.

Une concentration loin d'être anodine, signe d'une recomposition du paysage médiatique français autour de quelques groupes industriels influents, dirigés par les plus grandes fortunes du pays.

Bolloré revient...

Ces derniers mois, Patrick Drahi a dû partager les projecteurs avec un autre entrepreneur qui n'a pas froid aux yeux : Vincent Bolloré. "Le petit prince du cash-flow", surnommé ainsi en raison de ses talents pour les montages financiers acrobatiques, constitue lui aussi un solide empire dans les médias.

En 2012, l'homme d'affaires breton, proche de Nicolas Sarkozy, a revendu ses chaînes Direct 8 et Direct Star au groupe Canal+ via un échange d'actions avec Vivendi, sa maison-mère. Depuis, l'homme d'affaires a pris les rênes du groupe en tant que président du conseil de surveillance, et n'a pas hésité à mettre son nez dans le management de Canal+ et d'I-Télé, jusqu'à influer sur la grille des programmes de la rentrée de la première et congédier la direction de la seconde.

Recentré sur la production de médias et de contenus, notamment numériques (télévision, musique, jeux vidéo...), le Vivendi de Vincent Bolloré ambitionne de créer "un Bertelsmann à la française", en référence au géant allemand des médias et de l'édition.

... et Arnault muscle son jeu

Face à ces nouveaux acteurs aux dents longues, les "historiques" doivent s'ajuster. Lassée par la situation déficitaire du Parisien/Aujourd'hui en France, Marie-Odile Amaury vient de céder le quotidien à Bernard Arnault, le PDG du groupe de luxe LVMH, pour près de 50 millions d'euros.

L'opération permet au propriétaire des Échos et de Radio Classique, classé à droite, d'accroître considérablement son influence. Mais aussi, et de son propre aveu, d'atteindre une "taille critique" sur le marché publicitaire. Car le rachat du Nouvel Observateur par le trio "BNP" et du groupe L'Express-Roularta par Drahi avait relégué Arnault au rang de second couteau des médias. Pas longtemps, visiblement.

Cette consolidation devrait se poursuivre. Non sans difficultés pour certains. L'industriel Serge Dassault, également sénateur Les Républicains (LR) et heureux propriétaire du groupe Figaro, a tenté d'acquérir certains titres appartenant à L'Express-Roularta avant que Drahi, censé ne reprendre que L'Express et L'Expansion, jette son dévolu sur l'ensemble du groupe. Dassault a aussi demandé une fréquence sur la TNT, qui aiguise de nombreux appétits, à commencer par ceux de Martin Bouygues (TF1) et du groupe Bertelsmann (M6, RTL).

De moins en moins de groupes indépendants

Inévitablement, ce paysage en pleine ébullition voit aussi le déclin de quelques empires. La famille Amaury bien sûr, mais également Arnaud Lagardère, qui a renoncé à ses rêves de grandeur dans les médias. Le groupe, concentré sur l'édition, a réalisé depuis 2011 un grand nettoyage de printemps: revente de ses 102 magazines internationaux à l'américain Hearst Corporation, désengagement dans Canal+ et dans le groupe Amaury... Son PDG, Arnaud, veut se recentrer sur ses titres les plus prestigieux, comme Elle, Paris Match, Europe 1 et le Journal du Dimanche.

Effet pervers de la consolidation, la grande majorité des médias privés, qu'ils soient audiovisuels ou de presse écrite, appartiennent désormais à des groupes industriels dirigés par les plus grandes fortunes françaises. Si bien que François Pinault, PDG du groupe Artémis (Le Point), fait désormais office de nain dans ce paysage.

Plus inquiétant, les groupes de presse indépendants se réduisent comme peau de chagrin. Parmi les titres nationaux, Marianne, Mediapart, La Tribune ou encore Le Canard Enchaîné font partie des derniers survivants.

Sylvain Rolland

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