Pédaler plus pour gagner moins : les livreurs Deliveroo protestent contre leur précarité

Après Bordeaux et Lyon, les livreurs à vélo de la startup de livraison de repas Deliveroo manifestent à Paris vendredi 11 août. En cause : la modification de leur mode de rémunération, qui sera désormais un paiement à la course pour tous.
Sylvain Rolland
Certains "bikers", le nom donné par Deliveroo à ses livreurs, ont déjà crié dans la rue leur mécontentement à Bordeaux et à Lyon la semaine dernière, et s'apprêtent à battre le pavé à Paris, vendredi 11 août, place de la République, ainsi qu'à Lyon.

Comme Uber, la startup britannique Deliveroo, spécialisée dans la livraison à domicile de repas réalisés par des chefs, est en train de devenir un symbole de la précarisation des travailleurs de l'économie dite "collaborative". La pépite britannique, qui pourrait bientôt être valorisée 1,5 milliard de dollars, fait face depuis quelques jours à la mobilisation, dans plusieurs villes françaises, de ses "partenaires coursiers".

Une "harmonisation" du mode de rémunération qui passe mal

Certains "bikers", le nom donné par Deliveroo à ses livreurs, ont déjà crié dans la rue leur mécontentement à Bordeaux et à Lyon la semaine dernière, et s'apprêtent à battre le pavé à Paris, vendredi 11 août, place de la République, ainsi qu'à Lyon.

Ils protestent contre la modification de leur mode de rémunération. Jusqu'à présent, deux systèmes cohabitaient. Le premier, basé sur une rémunération horaire, accordait aux livreurs ayant commencé à travailler pour Deliveroo avant septembre 2016, un paiement de 7,50 euros de l'heure, ainsi qu'une prime entre 2 et 4 euros par course. Le deuxième, appliqué aux livreurs arrivés à partir de septembre 2016, soit 90% des 7500 coursiers français selon la plateforme, accorde une rémunération de 5 euros par course, et 5,75 euros à Paris en raison du coût plus élevé de la vie.

Or, Deliveroo souhaite harmoniser ses modes de rémunération. La startup a donc choisi d'imposer à tous, depuis fin juillet, le deuxième. Les livreurs concernés, environ 750, ont reçu fin juillet un appel téléphonique leur demandant de signer un avenant, sous peine d'annulation de leur contrat avec la plateforme.

"Flexibilité" pour Deliveroo, "brutalité inouïe" pour les syndicats de livreurs

D'après la direction, l'augmentation de la demande répond à une demande de "flexibilité" des livreurs, qui ne sont pas salariés de l'entreprise mais des auto-entrepreneurs -une condition imposée par Deliveroo-.

L'entreprise explique que l'augmentation de la demande, combinée au paiement à la course, permettra aux "bikers" d'augmenter leur revenu horaire en effectuant davantage de livraisons, quand ils le souhaitent en fonction de leurs disponibilités et des pics d'activité, en soirée. Deliveroo rappelle également qu'au cours des trois derniers mois, les "livreurs partenaires" rémunérés à la course ont vu leur chiffre d'affaires augmenter de 7%, en partie grâce à la mise en service, depuis le début de l'année, d'un nouvel algorithme de répartition des commandes, Frank, qui fonctionne avec un modèle prédictif.

Mais une partie des livreurs ne l'entendent pas de cette oreille. "Le procédé employé est d'une brutalité inouïe", tonne la CGT dans un communiqué publié le 9 août. Le syndicat dénonce un nivellement par le bas avec un "paiement à la tâche", synonyme d'une précarisation rampante des livreurs. Depuis fin juillet, le changement de mode de rémunération se traduirait par une chute comprise entre 18% et 30% des revenus des livreurs concernés.

Jérôme Pimot, le cofondateur du Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP) et "militant anti-ubérisation", dénonce quant à lui un "abus de position dominante", car Deliveroo ne laisse pas le choix aux livreurs concernés de conserver l'ancien mode de rémunération.

"Se soumettre ou partir, ce n'est pas une liberté mais un abus de position dominante. [...] D'autant plus que toutes les plateformes pratiquent une entente sur les prix institutionnalisée", a-t-il dénoncé sur France Inter.

Et d'inciter la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression de fraudes (DGCCRF) à ouvrir une enquête.

Les conditions de travail dans les plateformes collaboratives en question

Les tensions chez Deliveroo représentent un épisode de plus d'une contestation plus globale, dans plusieurs pays, vis-à-vis des conditions de travail imposées par les plateformes de l'économie dite collaborative, accusées, comme Uber, de créer une nouvelle forme de précarité.

     | A lire. Un chauffeur VTC requalifié en salarié : quel impact pour le modèle Uber ?

Fondé en 2013 et présent dans 140 villes et 12 pays, Deliveroo assure que sa plateforme vise à assurer un "complément de revenu" à ses livreurs, et non un salaire. Imposer le statut d'auto-entrepreneur lui permet de ne pas avoir à payer les congés payés, les arrêts maladie ou encore de ne pas garantir de salaire minimum.

Mais d'un autre côté, Deliveroo impose une tenue obligatoire et interdit à ses livreurs de travailler pour une plateforme concurrente sur le même créneau horaire. Le paiement à l'heure, qui permettait aux livreurs "anciens" de travailler pour Deliveroo toute la journée, entretenait également une forme de confusion sur un éventuel lien de subordination du travailleur à l'entreprise, caractéristique du salariat, auquel Deliveroo veut mettre fin. En mars, Deliveroo a même surpris offrant à ses coursiers à vélo la possibilité de souscrire gratuitement à une assurance auprès d'Axa pour les couvrir en cas de dommage sur un tiers. Une première en France pour "contribuer à protéger les indépendants", dixit la plateforme.

     | A lire. Le guide de Deliveroo pour déjouer les accusations de salariat déguisé

"Salariat déguisé" et besoin d'organisation des salariés à l'échelle européenne

Tout en reconnaissant que la plupart des livreurs, dont 53% sont des étudiants d'après Deliveroo, cherchent effectivement un complément de revenu, Jérôme Pimot pointe du doigt le double-jeu de Deliveroo, qui pratiquerait un "salariat déguisé".

"Ce n'est pas le modèle qui a été vendu au début : l'entreprise assurait que l'on pouvait gagner jusqu'à 3 000 € par mois, ce qui a attiré de nombreux jeunes de banlieue, venus pour un vrai salaire », a-t-il affirmé sur France Inter.

La CGT demande ainsi que les livreurs obtiennent "un pouvoir de négociation et de représentation véritable" au sein des plateformes comme Deliveroo, Uber Eats, Foodora ou encore Stuart, la création de "comités d'entreprise et d'instances représentatives du personnel", ainsi que "le bénéfice des protections garanties par le code du travail", qui ne sont aujourd'hui pas accordées en raison du statut des personnes qui travaillent pour ses entreprises.

De son côté, le Collectif des livreurs autonome de Paris réclame la création d'un syndicat européen pour les travailleurs des plateformes, pour fédérer les contestations et avoir davantage de moyens de pression. La CGT soutient aussi les demandes de requalification de contrats en contrats de travail. Elle vient d'annoncer s'être portée "partie intervenante" auprès de la Cour de Cassation, pour la requalification en contrat de travail de la relation liant un ancien livreur à vélo de Take It Easy, qui a fait faillite en 2016.

Sylvain Rolland

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Commentaires 32
à écrit le 15/08/2017 à 8:54
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Une autre forme d'exploitation humaine: les centres d'appels. Les esclaves ne peuvent y travailler en général plus d'une semaine ou deux.

à écrit le 12/08/2017 à 16:03
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Retour vers les années 50:gelé en hiver, rôti en été, trempé à l'automne. Heureusement qu'il s'agit d'un mode de déplacement "doux", enfin... pour ceux qui restent au bureau.

le 15/08/2017 à 18:53
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....et en plus on leur donne de l'argent pour faire de l'exercice. Le plus beau métier du monde. Quel progrès !

à écrit le 12/08/2017 à 13:11
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Conséquence sans doute de la loi sur le mariage pour tous ! C'est l'offre et la demande et plus il y a de gens qui "pédalent", plus le prix du service baisse :-)

à écrit le 11/08/2017 à 23:19
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Heeeu.. Vous n'oubliez pas de payer les royalities à Sarko, sinon il vous traine en "justice"...

à écrit le 11/08/2017 à 18:27
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"' ARBEIT MIT FREI " qu'ils disaient.....

le 12/08/2017 à 16:05
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Arbeit macht frei, mein Herrn.

le 12/08/2017 à 16:33
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@la fourmi: et ils n'avaient pas non plus de problèmes de versement des retraites ou de droits à la sécu :-)

à écrit le 11/08/2017 à 17:35
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Conséquence sans doute de la loi sur le mariage pour tous ! C'est l'offre et la demande et plus il y a de gens qui "pédalent", plus le prix du service baisse :-)

à écrit le 11/08/2017 à 16:59
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Faire du sport en travaillant le rêve francais ,I have a dream .... in France

à écrit le 10/08/2017 à 18:38
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La mécanisation c'est ce qui permet d'augmenter la productivité. En se passant du scooter la société perd cet avantage et ne peut qui 'exploiter ses salariés pour survivre. L'écologie a un coût que les clients ecolo-bobo ne sont pas prêt à payer.

le 10/08/2017 à 23:51
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Quel rapport avec les écolos-bobos ici ? Le vrai problème, c’est juste ne nouvel esclavagisme moderne qui tente de s’imposer à tous. Deliveroo n’est qu’un exemple. Uber en est un autre. Et là, il s’agit de bagnole. Donc plus d’écolo-bobo et pourt...

à écrit le 10/08/2017 à 17:55
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Deliveroo "La pépite britannique"...Une "me..de" anglo-saxonne. Une de plus avec les Uber et consorts.

à écrit le 10/08/2017 à 17:48
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"de l'économie dite "collaborative" qui fonctionne sur la base de "l'auto-entrepreneur". Traduction: Des travailleurs précaires, sans droits, sans protection sociale, jetables. Pas une grande différence avec l'esclavage. Américaines ou anglaises, t...

le 10/08/2017 à 18:59
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Quand on promet : "Ce n'est pas le modèle qui a été vendu au début : l'entreprise assurait que l'on pouvait gagner jusqu'à 3 000 € par mois, ce qui a attiré de nombreux jeunes de banlieue, venus pour un vrai salaire », a-t-il affirmé sur France Inter...

le 12/08/2017 à 22:32
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@valbel89: et tu proposes quoi pour créer des emplois et de la richesse ? Et si tu étais allé au-delà du bac+2, merci Jospin, tu aurais appris que ce sont les Britanniques qui ont aboli l'esclavage – William Wilberforce (et le travail des enfants – A...

le 13/08/2017 à 9:46
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@réponse de Patrckb "et tu proposes quoi pour créer des emplois et de la richesse ?" Je ne propose pas de rétablir l'esclavage. Ca me paraît déjà beaucoup. Quand une société sacrifie l'économie (la finance) aux valeurs, c'est qu'elle est bien mala...

à écrit le 10/08/2017 à 16:35
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L'auto-entrepreneuriat dans toute sa beaute. La nouvelle economie mise tout sur des gens a leur compte (et pas entrepreneur) dont l'unique client est une plateforme internet. Ces livreurs n'ont donc pas droit au chomage, aux conges payes, a tous les ...

à écrit le 10/08/2017 à 15:40
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Ils pourraient mettre le salaire à un bol de rix par jour, ils trouveraient quand même du personnel. Est-ce normal, non, mais ce sont les réalités de la vie :-)

à écrit le 10/08/2017 à 14:50
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C'est ça l' UBERISATION de la société : L'alibi qui fait rêver les politiciens c'est l'emploi mais la réalité c'est une arnaque multi-niveaux : Dans le cas de Déliveroo les livreurs gagnent presque rien, les organisme sociaux non plus car les livreur...

le 10/08/2017 à 16:36
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+1

le 12/08/2017 à 16:08
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Uberisation = paupérisation. Mais c'est Hidalgotement correcte.

à écrit le 10/08/2017 à 14:45
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Un avant goût de "la loi travail", libre comme l'air d'être mis en esclavage!

le 10/08/2017 à 16:25
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D'ailleurs ,ils parlent de libérer le travail , pas les salariés.

le 12/08/2017 à 10:13
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Plus vous êtes nombreux et moins vous avez de valeur!

à écrit le 10/08/2017 à 14:33
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Travailleur indépendant j'ai vu les commissions que je versais à un apporteur d'affaires lui même indépendant requalifiées par l'urssaf en salaires ...et biensur payer les cotisations avec rappel sur trois ans !!! La position de l'urssaf est de cons...

à écrit le 10/08/2017 à 13:58
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Le néolibéralisme c'est la précarisation à tous les étages, sauf à celui qui est situé le plus haut qui récolte tout ce qui a été pris aux autres.

à écrit le 10/08/2017 à 13:54
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hahaha l'extreme gauche doit etre fiere....... apres avoir decourage toute personne de creer une boite et d'embaucher des gens, elle decouvre qui va in fine payer l'addition...... he oui, la ' protection des droits acquis', c'est pour les rentiers ...

le 10/08/2017 à 14:40
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Qui a "réduit les inégalités sur l'argent " ? alors que les écarts de revenus sont de plus en plus importants , là où vous aviez un écart de 1 à 4 au niveaux des salaires en entreprise il y a 10 ans nous en sommes de 1 à 10 ....en attendant mieux !...

le 10/08/2017 à 15:24
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Depuis quand l'extrême gauche a été au pouvoir! "obliger de force les rentiers de la République à créer des boîtes": la dictature en somme!

le 10/08/2017 à 15:28
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C'est sûr que si ces plateformes (qui n'ont rien de collaboratives) font travailler des pauvres bougres dans des conditions inacceptables, c'est de la faute des fonctionnaires! complètement tiré par les cheveux!

le 12/08/2017 à 9:13
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Churchill égal à lui même : je ne sais pas quel travail vous exercez mais vu votre prose, ce n'est pas un travail intellectuel.

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