Présidentielle américaine : le vote par correspondance, un terreau favorable à la désinformation ?

Afin de départager Joe Biden et Donald Trump pour l'élection présidentielle, plus de 71 millions d'Américains ont déjà voté par anticipation - dont 48 millions par correspondance en raison de la pandémie du coronavirus. Les autorités redoutent déjà un dépouillement plus long que d'habitude. Un temps de latence qui, selon les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, pourrait être favorable à des campagnes de désinformation même après le scrutin du 3 novembre.
Anaïs Cherif
Les réseaux sociaux Facebook et Twitter se sont préparés à des scénarios catastrophes depuis cet été, alors qu'ils ont largement été accusés en 2016 d'être des plateformes de désinformation massive.
Les réseaux sociaux Facebook et Twitter se sont préparés à des scénarios catastrophes depuis cet été, alors qu'ils ont largement été accusés en 2016 d'être des plateformes de désinformation massive. (Crédits : DADO RUVIC)

A moins d'une semaine de l'élection présidentielle visant à départager Donald Trump, actuel locataire de la Maison Blanche, et Joe Biden, les Américains votent massivement depuis plusieurs jours. En raison du contexte sanitaire faisant redouter des queues à rallonge dans les bureaux de vote mardi prochain, plus de 71 millions d'Américains ont déjà voté par anticipation, selon les chiffres publiées mardi par le site dédié U.S. Elections Project. Du jamais vu. A titre de comparaison, en 2016, sur les 136 millions de votants lors de la dernière élection présidentielle, 58 millions avait opté pour un vote anticipé.

Alors que ce scrutin arrive en pleine pandémie du coronavirus, dans le pays le plus endeuillé au monde avec 226.723 décès, le vote par correspondance s'est massivement imposé. Près de 48 millions d'électeurs ont déjà opté pour ce moyen - en envoyant leur bulletin de vote par voie postale ou en le déposant dans des boîtes dédiées - alors que "seulement" 23 millions de personnes se sont déplacées physiquement pour voter. Selon plusieurs autorités américaines, mais aussi les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, ces particularités de vote pourraient être un catalyseur propice à de larges campagnes de désinformation réalisées avant, mais aussi après le scrutin.

Avant l'Election Day : désinformer pour démobiliser les électeurs

Dernière suspicion en date : le directeur du renseignement américain, John Ratcliffe, a affirmé mercredi dernier que la Russie et l'Iran étaient parvenus "séparément" à mettre la main sur les données issues des listes électorales, a rapporté la presse américaine. Les services de renseignements n'ont cependant pas précisé comment les deux pays auraient pu mettre la main sur ces informations, ni comment elles auraient été utilisées précisément.

 "Ces données peuvent être utilisées par des acteurs étrangers pour tenter de donner de fausses informations à des électeurs inscrits sur les listes, dont ils espèrent qu'elles sèmeront la confusion et le chaos et saperont la confiance dans la démocratie américaine", a résumé John Ratcliffe lors d'une conférence de presse.

Cette année, en raison de la pandémie, de nombreux Américains ont changé leurs habitudes de votes en optant pour le vote anticipé et le vote par correspondance. Ce qui implique de se tourner vers les sites Internet et les réseaux sociaux pour glaner des informations sur les différentes façons de voter : horaires d'ouvertures et localisation des bureaux de votes, délais et modalités du vote par correspondance... Autant de nouveautés logistiques qui pourraient permettre à des acteurs malveillants de communiquer de fausses informations pour induire en erreur les électeurs.

C'est pourquoi le FBI et l'agence américaine de cybersécurité (CISA) ont régulièrement mis en garde depuis septembre contre la désinformation et les différentes techniques de "phishing". "Des acteurs étrangers et des cybercriminels pourraient créer de nouveaux sites Internet, changer les sites existants, et créer ou partager des contenus liés (à ces sites) sur les réseaux sociaux afin de répandre de fausses informations", ont-ils écrit dans un communiqué commun publié fin septembre.

Au-delà de la diffusion de fausses informations pratiques, les campagnes de désinformation peuvent se traduire en opération d'influence sur les plateformes et les réseaux sociaux, comme cela avait été le cas en 2016. L'Internet Research Agency (IRA), la fameuse ferme à "trolls" financée par le Kremlin pour diffuser des messages de propagande, avait été épinglée a posteriori pour avoir mis sur pied une vaste opération de manipulation du scrutin. Elle consistait à créer des faux profils sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram...) et financer des publicités ciblées. Sans oublier le retentissant scandale Cambridge Analytica, ayant éclaboussé Facebook.

Le but de ces campagnes : persuader des franges de la population, réputées plus ou moins proches des Démocrates, à ne pas se rendre aux urnes. "Dans le cadre d'un scrutin, si de fausses informations émergent pour attaquer un candidat plutôt que d'en promouvoir un autre, elles influencent indirectement les électeurs pour qu'ils n'aient simplement plus envie de se déplacer pour voter", explique Charles Thibout, chercheur à la Joint European Disruptive Initiative (JEDI) et à l'IRIS.

Après l'Election Day : semer la confusion pour décrédibiliser le scrutin

De potentielles campagnes de désinformation pourraient aussi se propager après la fin de scrutin, le mardi 3 novembre. Le vote par correspondance battant des records cette année, un délai allongé pour le dépouillement des bulletins est déjà attendu par les autorités américaines. En cause : le dépouillement de ce vote spécifique diffère selon les Etats. Certains, comme la Floride, les dépouillent avant la date fatidique du 3 novembre, quand d'autres Etats attendront le jour même. Les bulletins par correspondance nécessitant d'être signés par chaque votant, vont nécessiter une vérification particulière puisque toutes les signatures devront être comparées avec les cartes d'électeurs.

Le grand gagnant de la présidentielle américaine pourrait donc être connu quelques jours, voire semaines, après la fin du scrutin. Un temps de latence qui pourrait être propice, là aussi, à des campagnes de désinformation en tout genre pour jeter le doute sur l'intégrité du scrutin afin de "convaincre le public de l'illégitimité de l'élection", ont alerté le FBI et la CISA.

Cette brèche a été ouverte par Donald Trump lui-même. Au cours des derniers mois, le président des Etats-Unis a régulièrement critiqué le vote par correspondance. Selon lui, ce processus serait particulièrement exposé à la fraude, mais il n'a apporté aucun éléments de preuves permettant d'étayer ses dires. A la mi-septembre, le locataire de la Maison Blanche avait même déclaré sur Twitter que le résultat de l'élection présidentielle ne serait peut-être jamais déterminé avec précision.

Facebook et Twitter se préparent à des scénarios catastrophes

Alors que faire si Donald Trump, en cas de défaite, clame sa victoire sur les réseaux sociaux ? C'est l'un des scénarios catastrophes auxquels Facebook et Twitter se préparent depuis cet été, alors qu'ils ont largement été accusés en 2016 d'être des plateformes de désinformation massive.

"Si un candidat ou un parti annonce sa victoire de façon prématurée avant qu'un résultat ne soit donné par les organes de presse majeurs, nous ajouterons des informations spécifiques indiquant que le décompte des votes est toujours en cours et que le vainqueur n'a pas encore été déterminé", a récemment rappelé Facebook, le plus grand réseau social au monde.

Si jamais la situation dérape, le plus grand réseau social au monde pourrait également "réduire la circulation des contenus" en cas de violences ou d'émeutes, a récemment indiqué Nick Clegg, responsable des affaires publiques pour Facebook, rapporte l'AFP. De son côté, Twitter envisageait dès août que la période électorale et ses perturbations durent jusqu'en janvier 2021, date de l'investiture du prochain président élu.

Anaïs Cherif

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Commentaire 1
à écrit le 29/10/2020 à 10:00
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De toutes façons il est évident que quand Trump va gagner tout le monde va dire qu'il a triché parce que "Trump est méchant"... Aliénant.

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