Projet de loi sur le numérique : un levier pour pousser Bruxelles à aller plus vite

En esquissant jeudi les grandes lignes de la « stratégie numérique » de l’Hexagone, qui donnera bientôt lieu à un projet de loi spécifique, le gouvernement veut presser l’Union européenne à accélérer sur les réformes du digital. Explications.
Pierre Manière
L'initiative « visera également à proposer les positions que la France pourra tenir auprès des instances européennes et internationales », a souligné le Premier ministre.

Il y a urgence sur le front du numérique : la France, et surtout la lourde machine européenne, doivent lancer leurs réformes sans traîner. Entre les lignes, voici ce que le gouvernement a indiqué lors de la présentation de la « stratégie numérique » de la France. Ce jeudi, le Premier ministre Manuel Valls a esquissé les grandes lignes d'un futur projet de loi sur le digital. De l'inscription dans le droit français de la neutralité du Net (un principe qui suppose que toutes les données en ligne soient traitées de manière équitable), à la mise en place d'un écosystème plus favorable au financement des startups, à la « régulation des plateformes » (en particulier des GAFA, les géants américains Google, Apple, Facebook et Amazon), en passant par la protection des données personnelles... Cet « appel du 18 juin » du Premier ministre en faveur d'une « république numérique » concerne de nombreux dossiers brûlants. Il s'est largement nourri des travaux du Conseil national du Numérique (CNNum). Créé au printemps 2011, cet organe consultatif a remis le même jour quelques 70 recommandations pour permettre à la France de se doter d'une vraie politique numérique.

Mais sur bon nombre de sujets, la France peut difficilement avancer seule. Et en particulier sans l'Union européenne. Le 6 mai dernier, la Commission a dévoilé son agenda numérique. Celui-ci vise à mettre en place un grand marché unique du numérique. Mais sur bon nombre de dossiers, comme la régulation des GAFA, l'heure est à la réflexion. Une législation est espérée, au mieux, « pour la fin 2016 ». Mais à Bruxelles, remettre un calendrier aux calendes grecques est une vieille habitude... Ce qui suscite une forte inquiétude du gouvernement, et plus largement de tout l'écosystème numérique français.

« Une directive européenne met cinq ans à voir le jour »

Sous ce prisme, l'élaboration du projet de loi sur le digital apparaît comme une manière de faire pression sur Bruxelles. D'après Axelle Lemaire, la secrétaire d'Etat en charge du numérique, le texte devrait être examiné à l'Assemblée nationale « avant la fin de l'année ». Les débats parlementaires permettront à la France de forger des positions tranchées. Ainsi légitimées, celles-ci pourront donc être soumises, proposées et défendues avec force à Bruxelles. En d'autres termes, le gouvernement espère que les partis-pris nationaux se muent en véritables catalyseurs européens.

En septembre 2014, en confiant au CNNUm les clés de la concertation sur le numérique (qui a débouché sur les 70 recommandations remises ce jeudi,) Manuel Valls a d'ailleurs été très clair. L'initiative « visera également à proposer les positions que la France pourra tenir auprès des instances européennes et internationales », a souligné le Premier ministre.

L'enjeu est crucial. « Une directive européenne met cinq ans à voir le jour, ironise Benoît Thieulin, le président du CNNum. A l'heure du numérique, c'est une éternité ! ». D'après lui, inscrire certains principes « en droit français préalablement à leur entrée dans le doit européen » constitue donc un levier de choix pour accélérer les choses. Pour lui, ce type de manœuvre est aussi politique :

« Il n'est pas rare que les Allemands proposent des lois dont ils savent très bien qu'elles contreviennent au droit européen. Ils le font pour provoquer un débat en Europe, dont les fameux 'trilogues' (Parlement, Commission, Conseil) limitent la publicité et la transparence démocratique. »

« Ne pas recréer de silos nationaux »

A Bruxelles, la volonté du gouvernement de réformer la politique numérique est accueillie de manière favorable. Avec une inquiétude toutefois : que Paris fasse trop cavalier seul. « Nous saluons les ambitions numériques de la France, tout en l'invitant à ne pas recréer de silos nationaux alors que l'Internet ne connait pas de frontières », indique à La Tribune Nathalie Vandystadt, porte-parole de la Commission européenne pour le marché unique du numérique. A ses yeux, « il est crucial que la France s'implique dans les négociations en cours sur le marché unique des télécoms, qui prévoit des règles claires garantissant un Internet ouvert, non-discriminatoire et porteur d'innovation ». En outre, « nous sommes également proches d'un accord sur une meilleure protection des données personnelles dans l'UE ». Or dans ces deux cas, « c'est la dimension européenne qui est la plus pertinente pour faire face aux défis du numérique et saisir au mieux ses opportunités », renchérit-elle.

Ce constat, presque tous les membres de l'UE le partagent. Mais à trop perdre de temps à se mettre d'accord, à trouver des consensus, ils risquent de voir ces « opportunités » s'évaporer. Et avec elles, la perspective de voir des startups innovantes se muer en « champions européens », enfin capables de rivaliser avec les Google et autres Facebook. Les 25 et 26 juin prochains, le marché unique du numérique sera à l'ordre du jour du Conseil européen. « On espère des signes forts des Etats membres », confie une source à Bruxelles.

Pierre Manière

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