Jacques Séguéla : «Bolloré rêve de reconstruire le grand Havas»

Entretien avec le vice-président de Havas en charge de la création, qui livre ses impressions à la veille de la disparition de l'agence Euro RSCG, qui sera rebaptisée le 1er septembre Havas Worldwide.
Jacques Séguéla, le vice-président de Havas, en charge de la création. DR.

Le 1er septembre, l'agence Euro RSCG disparaît et sera rebaptisée en France et à l'étranger Havas, comme le groupe de communication dont elle fait partie. Vincent Bolloré, le président et premier actionnaire de Havas, a décidé cette unification et la réorganisation de la branche française, qui ressemble fort à une reprise en main. Victime collatérale : Euro RSCG, née il y a 20 ans du rachat par Eurocom de l'agence créée à la fin des années 1960 par Jacques Séguéla, Bernard Roux, Alain Cayzac et Jean-Marie Goudard. A 78 ans, Jacques Séguéla, le vice-président de Havas en charge de la création, est le seul de l'aventure à être resté, même après la prise de pouvoir de Vincent Bolloré en 2005. Il livre à « La Tribune » ses impressions sur cette petite mort.

La marque que vous avez créée, Euro RSCG, va disparaître. Que ressentez-vous ?

Jacques Séguéla - Je me bats depuis 7 ans pour qu'on s'appelle Havas ! C'est une agence que j'avais combattue par le passé mais je voulais faire rayonner la publicité française dans le monde, la « French touch », et que la marque Havas perdure. Je l'ai dit à Vincent Bolloré quand je suis allé le voir en juin 2005, pour lui remettre ma démission, au lendemain de l'Assemblée Générale [au cours de laquelle Vincent Bolloré a pris le pouvoir chez Havas, qui était dirigé depuis 16 ans par Alain de Pouzilhac NDLR]. Je croyais qu'il voulait nous vendre à Martin Sorrell, de WPP. Mais Vincent m'a dit « tu te trompes, je suis là pour rester, pour mon fils Yannick qui s'intéresse à la communication. Je vais sauver Havas. Ne pars pas, j'ai besoin de toi, je ne connais rien au métier. » Je lui ai dit d'accord, mais deviens président, car il était alors en discussions avec Jean-Marie Dru (de BDDP). Comme je l'ai raconté dans mon livre « Tous Ego » en 2005, je pensais aussi qu'il fallait regrouper la création avec les activités de médias qui seront le moteur de la pub au XXIe siècle, et changer de nom pour Havas, remplacer nos enseignes disparates, en premier lieu desquelles Euro RSCG. Vincent Bolloré est comme Mitterrand, il donne du temps au temps. Il lui a fallu 7 ans pour mettre en ?uvre ce changement de nom, car il a beaucoup consulté. J'arrive donc à mon rêve absolu - non sans un pincement au c?ur puisque je suis le S d'Euro RSCG - qui est de pérenniser Havas, que ce soit la première agence d'Europe. Havas, c'est dynastique. Cette histoire a fasciné Vincent Bolloré. C'est Charles-Louis Havas qui a inventé l'agence de presse mondiale, qui sera copié par Reuter. Son fils Auguste lança la régie publicitaire d'Havas.


Quelle est l'ambition de Vincent Bolloré pour Havas ?

Vincent Bolloré a abordé la publicité comme un industriel. Il a mis trois ans à apprendre le métier. Je lui avais dit que le plus important était de tenir les grands clients de l'agence pour devenir le vrai propriétaire. Il a mis ses équipes, s'est attaqué à la gestion et a formidablement redressé l'entreprise. Comme il a une vision dynastique, il a commencé à préparer sa sortie qu'il a fixée à 2022 : il veut laisser la communication à Yannick et l'énergie à Cédric. Sa volonté, c'est de reconstruire le grand Havas. Le Havas qui a créé Canal Plus, qui avait des parts dans RTL, qui était sa régie, qui avait des journaux et même Havas Voyages... Cela arrivera peut-être un jour si l'on est fusionné avec Vivendi [dont Vincent Bolloré détient 2,4% du capital et bientôt 4% NDLR]. C'est une possibilité.

 

Quelle nouvelle marque sera choisie pour remplacer Euro RSCG ? Et quel est le calendrier de l'intégration du Havas Village ?

C'est un changement de nom total, jusqu'aux adresses email, autour de la marque unique fédératrice Havas. Il y a une hésitation entre Havas Advertising ou Havas Worldwide. Je penche plutôt pour la première solution. Ce sera tranché sous peu en conseil d'administration.
Ensuite, le dernier grand chantier sera de créer Havas Village, ce grand village de la communication intégrant 40 métiers de la publicité, événementiel, contenus, médias, influence, etc : il ne verra pas le jour avant fin décembre. Il faut un seul compte de résultats commun et fusionner toute une quantité de sociétés, il y a 6 mois d'ingénierie financière avant d'y parvenir. Nous serons 2500 à 3000 publicitaires regroupés au même endroit, dans la même tour à Puteaux, avec la même marque, le même patron, qui est aussi le propriétaire, c'est notre chance, ce n'est pas le cas de Publicis par exemple.


Pourquoi ne pas avoir intégré BETC Worldwide à ce chantier de restructuration ?

BETC c'est la plus belle marque créative française, la cinquième du monde et l'une des plus primées ! Mercedes Erra, la Jeanne d'Arc de la pub, voulait, avec Rémi Babinet, la développer à l'international. C'était dommage de ne le faire, en parallèle d'Havas. Pour réussir dans la publicité aujourd'hui, il faut être soit très spécifique - c'est BETC - soit puissant, et c'est le sens de la restructuration que nous menons chez Havas.


Et vous, jusqu'à quand restez-vous au sein d'Havas?

Mon contrat s'arrête en décembre. Vincent m'a dit qu'il voulait que je reste jusqu'en 2022 ! Mais j'aurai 90 ans. Tant que je peux apporter quelque chose, je reste. Mais je n'ai pas envie d'être le cacochyme de la pub !


Qu'est-ce qui a changé dans la publicité depuis vos débuts ?

Il y a une seule chose qui n'a pas changé, c'est le talent publicitaire. La grande idée. Mais aujourd'hui elle doit être internationale. Avant, il y avait un slogan, que l'on enfonçait dans la tête des gens à grands coups de spots. C'était le temps de la dictature de la communication, la publicité asservissait. J'étais un petit Goebbels sans le savoir. Le Net nous a libérés de cette emprise. La Toile est auto-énergisante. Aujourd'hui, l'idée doit être circulaire et rayonner par ondes. Le spot des « bébés rollers » Evian a été vu 200 millions de fois sur Internet. Mais c'est un peu Las Vegas : combien d'idées sont tombées dans l'oubli ?

Quelle est la campagne que vous auriez aimé ou aimeriez faire ?

J'ai fait 3000 campagnes pour des marques, directement ou indirectement, vingt ans de campagnes présidentielles. Après l'échec de Lionel Jospin, j'ai décidé d'arrêter. Maintenant, ce qu'il me reste, c'est Dieu. J'aimerais faire la campagne de Dieu. Une grande campagne sur la croyance ! Directeur de la création, c'est le titre que l'on partage avec Dieu... Evidemment, il faudrait persuader les grandes religions de la financer... 

Commentaires 4
à écrit le 31/08/2012 à 14:45
Signaler
Et pourquoi pas?

à écrit le 31/08/2012 à 11:13
Signaler
Vous avez dit Jacques SEGUELA ? Combien de ROLEX ?

à écrit le 31/08/2012 à 9:11
Signaler
Et le plan social chez Euro c'est pour quand?

à écrit le 31/08/2012 à 8:22
Signaler
Dieu ??? J'aurais plutôt pensé à Rolex... Mais non; c'est déjà fait ! :)

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.