"Génération pub" ou comment la publicité clandestine investit le cerveau des jeunes

La publicité ne suffit plus, le marketing doit désormais trouver des moyens détournés pour inscrire la marque dans l'esprit du consommateur, sans qu'il en soit conscient. Et cela commence au plus jeune âge. Des mécanismes décryptés dans un ouvrage intitulé "Génération Pub", écrit par un chercheur suisse en marketing.
Julien Intartaglia, professeur de marketing et de publicité à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel en Suisse,étudie l'impact inconscient des marques sur nos comportements.

Nous ne naissons pas client d'une marque, nous le devenons. Et plus jeunes nous le sommes devenus, et plus nous risquons de le rester. Ainsi pourrait se résumer la thèse du livre "Génération Pub" à paraître le 5 décembre (voir ci-dessous). Son auteur, Julien Intartaglia, professeur de marketing et de publicité à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel en Suisse, explore via des détours par la neuroscience, les mécanismes conscients et inconscients qui font de nous des consommateurs. Ce, depuis la plus tendre enfance.

"Vos défenses cognitives sont au plus bas car vous êtes dans une activité ludique"

Sa démonstration foisonne d'exemples divers, de citations d'enfants et adolescents interrogés dans le cadre d'enquêtes mais aussi d'avis d'experts en marketing, sociologie ou psychologie. L'imagination de certains professionnels du marketing pour cibler ces si chères têtes blondes fait parfois froid dans le dos. En témoigne cette campagne menée par le géant de la distribution suisse, Migros, qui a connu un succès fulgurant avec des répliques miniatures de produits vendus dans ses rayons. "Migros organise tout fait des films sur YouTube, partagés ensuite. Il y a même un marché de la revente des objets d'occasion sur l'équivalent suisse du boncoin.", explique le chercheur. C'est "une exposition subtile et clandestine, car quand vous jouez à l'épicier, vous y jouez pendant des heures et vos défenses cognitives sont au plus bas car vous êtes dans une activité ludique", pointe-t-il.

Or, à l'heure des réseaux sociaux et de l'explosion des nouveaux usages numériques, les plus jeunes consommateurs seraient plus que jamais vulnérables. Non seulement parce qu'ils détiennent un pouvoir d'achat propre (40 milliards d'euros pour les Français de 11 à 25 ans). Non seulement parce qu'ils influencent leur entourage (dans des proportions huit fois supérieur à leur propre pouvoir d'achat aux États-Unis). Mais parce qu'une fois la marque adoptée à un jeune âge, elle a de grandes chances de rester importante pour le consommateur. Se crée alors un lien émotionnel fort extrêmement prisé des annonceurs.

En cause, une raison simple: les consommateurs ont appris à décrypter la publicité.  Moins "dupe" par rapport aux réclames diffusées à la télévision ou exposées sur des affiches, ils peuvent en outre exprimer leur mécontentement sur des réseaux sociaux, des forums etc. Pour reprendre une expression en vogue "les consommateurs ont pris le pouvoir".

"Publicité clandestine"

Pour le récupérer, professionnels du marketing et publicitaires utilisent les mêmes armes numériques afin de diffuser des messages publicitaires détournés. "La publicité ne vous dit plus qu'elle est de la publicité", estime le chercheur. Avec d'autres universitaires, il désigne les nouveaux stimuli provenant des annonceurs sous le vocable de "publicité clandestine".

Telle marque de pâte à tartiner chocolatée organise des concerts, telle chaîne de fast-food propose à ses clients de créer leur propre hamburger puis de soumettre la recette aux autres internautes... les exemples fourmillent. "Vous traitez les marques comme un non élément en toile de fond, pourtant elle est bien là, dans ce moment de partage de convivialité", constate Julien Intartaglia. Elle est là, et elle y reste.

"Sept marques sur dix consommées par les 23-35 ans ont déjà créé un lien dès l'adolescence", martèle l'universitaire, citant une étude de l'Institut national de la consommation en Suisse, datant de 2006. Empiriquement, il le constate lui-même les liens forts établis par des marques sans même que le (jeune) consommateur en ait conscience.

Méthode expérimentale

Sa méthode ? Il utilise d'abord des entretiens classiques visant à mesurer la connaissance qu'ont enfants et adultes de telle ou telle marque. Mais sa méthode consiste également en de véritables expériences, un peu comme en chimie, où des variables sont isolées pour être étudiées. Par exemple, pour mesurer l'impact d'une publicité sur internet (via des bannières ou de l'affichage vidéo), un sujet volontaire est invité à parcourir un site pour une toute autre raison. Mais il n'est pas conscient de ce qui est effectivement mesuré. Plusieurs jours ou mois plus tard, son souvenir de la marque qui était affichée. A La Tribune, il raconte ainsi :

"Une semaine après une étude menée auprès d'adolescents exposés à des marques sur internet, ceux-ci ne s'en rappelaient plus mais avaient des traces en mémoire inconsciente, avec un effet de familiarité. Cela les avait conduits à apprécier cette marque et à l'inclure dans un ensemble potentiel d'achats."

D'autres ont tiré la même conclusion : il faut éduquer les enfants à la consommation pour les aider à déceler et décrypter les mécanismes de persuasion pernicieux développées par les marques. Pour cela, "il faudrait bien plus que quelques lignes dans les manuels scolaires", clame-t-il. Mais comment s'y prendre quand les parents eux-mêmes ont été et sont encore gavés de publicité ? Évidemment, sa réponse tient dans son livre, qu'il adresse aux "parents, enseignants, responsables politiques". Même si "on ne peut pas y échapper les marketeurs qui travaillent dans le domaine agro-alimentaire et veulent cibler des enfants y trouveront des mécanismes de persuasion". Jusqu'à ce que ces moyens détournés deviennent à leur tour obsolète ?

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