Santé connectée : la France est-elle compétitive ?

Les acteurs de l'e-santé soulignent la capacité d'innovation de la France mais l'impossibilité de rivaliser avec les Etats-Unis, la Chine, plus forts pour lever des fonds énormes et arriver plus rapidement sur le marché.
Jean-Yves Paillé
Le CES 2016 de Las Vegas a démontré la puissance des startups françaises : 190 d'entre elles s'y sont rendues. Comptant pour presque 30% des sociétés présentes, la France était la deuxième délégation derrière les Etats-Unis.

Quelle compétitivité économique française en santé numérique dans un marché qui atteindrait 308 milliards de dollars en 2022 au niveau mondial, selon Grand View Research? Tel était l'un des thèmes phares de la troisième édition des Trophées de la santé mobile, lundi 8 février, abordé largement lors de la conférence de presse d'ouverture et lors d'une table-ronde en fin de journée.

Pour mémoire, la santé numérique regroupe : les applications mobiles, le big data, la télémédecine, le téléconseil, les plateformes de prises de rendez-vous, et flirte parfois avec le bien-être.

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La France "dans le Top 5 mondial"

Le CES 2016 de Las Vegas a démontré la puissance des startups françaises : 190 d'entre elles s'y sont rendues. Comptant pour presque 30% des sociétés présentes, la France était la deuxième délégation derrière les Etats-Unis, avec plusieurs représentantes du secteur de l'e-santé. Withings, notamment, qui a gagné deux prix d'innovation avec Thermo, son thermomètre connecté. Ou encore Visiomed récompensé dans la catégorie BioTech pour MyECG, un électrocardiogramme connecté.

Dans la réalité, la puissance de feu des startups françaises d'e-santé est plus difficile à quantifier. Jérôme Iglesias, président de la commission économique et industrielle et trésorier de l'association France eHealth Tech, regroupant plus de cent startups de l'e-santé, classe la France dans le "top 5" mondial, sans disposer de chiffres sur leur revenu, impossibles à collecter précisément aujourd'hui, selon lui.

"Les startups françaises dans la santé ont une grande capacité à innover grâce à l'excellence des acteurs académiques, de bonnes formations. Elles sont même au coude à coude avec les Etats-Unis. Les nombreux ingénieurs débauchés par des sociétés américaines et britanniques sont la preuve la qualité de la formation au service de l'innovation", explique-t-il à La Tribune.

Il se félicite de "la diversité, des nombreuses startups qui se créent tous les jours en France". Également présent aux Trophées de la santé mobile, Gilles Litman, directeur performance et innovation de Sanofi France, estime que "la France a un vrai potentiel de réussite internationale" en e-santé.

L'innovation sans la puissance de feu des Etats-Unis ou de la Chine

"Potentiel", le mot est bien choisi. Car en réalité, même avec "la bonne idée" il est difficile pour une startup en santé de se lancer dans la phase "industrialisation".

Pour David Monteau, directeur de la  French Tech, il est urgent de "concentrer l'accès le plus rapide et efficace au facteur croissance de ces entreprises: recruter, des talents, se projeter rapidement à l'international, signer des clients et parvenir à se financer". Et ce dernier point pose particulièrement problème, selon les acteurs de l'e-santé présents aux Trophées de la santé mobile.

Pour Jérôme Iglesias, la phase d'amorçage est assurée de justesse, grâce à des organismes financeurs comme BPI France. Comme l'expliquait Le Figaro en janvier 2015, le fonds national d'amorçage français doté de 600 millions d'euros -sans compter le nouveau fonds de 340 millions d'euros en janvier dédié à l'innovation santé annoncé par le gouvernement- a permis de créer 25 fonds avec une capacité de financements totale de plus d'un milliard d'euros avec l'apport de contributeurs privés. C'est dix fois moins que la Chine mais ce montant est "à l'échelle du pays".

Mais "là où on est distancé, c'est sur l'accès au marché", se plaint Jérôme Iglesias. "En France c'est le parcours du combattant pour lever un million d'euros. Aux Etats-Unis, le ticket c'est 5 millions d'euros, en Chine le "go to market est financé" sur la base d'une somme allant de 10 à 20 millions d'euros."

Les levées de fonds s'effectuent aussi plus rapidement chez les deux premières puissances mondiales, ajoute Jérôme Iglesias :

"Aux Etats-Unis, les levées de fonds peuvent se faire en cinq mois, en Chine cela est possible parfois en une semaine." Tandis que "certaines startups françaises peuvent mourir parce que les fonds n'ont pas été levés à temps, même si elles ont déjà des commandes. En France, il faut neuf à douze mois pour lever des fonds. Une startup a le temps de mourir trois fois."

Selon une étude de Digital Healthcare de la banque d'affaires GP Bullhound publiée en novembre 2015, les Etats-Unis captent 63% des investissements liés à la santé connectée, la Chine et le Royaume-Uni 8%, l'Australie, l'Inde et l'Allemagne 4% chacun, la France -classée 7e à égalité avec Israël, la Bulgarie et la Suède- n'en recueille que 2%.
Toutefois, le directeur de la French Tech nuance. Il estime que la situation, bien que difficile, s'améliore puisque le volume de capital risque levé par les startups françaises "a quasiment doublé entre 2014 et 2015".

Le cadre réglementaire critiqué

Enfin, ce qui va de pair avec le temps de financement, c'est celui de l'aboutissement des démarches réglementaires, pour obtenir un hébergement de données de santé agréé par exemple.

Selon Laurent Vincent, directeur des projets Santé Europ Assistance, un opérateur mondial de services d'assistance aux personnes dans les domaines de la santé,

"nous devons attendre des autorités de régulation un nouveau cadre qui facilite les expérimentations et le lancement d'approches innovantes ainsi qu'une réactivité plus forte pour éviter, comme aujourd'hui, un an de démarches réglementaires pour pouvoir initier un projet. Cela prend des mois et des mois lorsqu'on fait les demandes auprès de l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, NDLR) et de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés, NDLR)".

La France manque de culture connectée

Autre problème nuisant à la compétitivité des startups françaises de l'e-santé : la difficulté à diffuser l'innovation au niveau de la population française, estime Jérôme Iglésias. Cela dessert les projets français à l'étranger, car "lorsque l'on tape à la porte des Etats-Unis et de l'Allemagne, ils sont dans le doute si cela ne prend pas sur le marché français". Résultat :

"Beaucoup de startups d'e-santé se créent d'abord outre-Atlantique, sur le marché américain, car là les usages se sont démocratisés sur les nouvelles technologies, pour venir après en France." 

Un constat partagé par la startup Care Labs, qui mise beaucoup sur les Etats-Unis où elle va lancer ses chèques santé. "Le gouvernement américain et les grandes compagnies ont une meilleure capacité à amorcer des collaborations rapides et effectives avec startups de notre format", expliquait à La Tribune, au début du mois de janvier, Vincent Daffourd, cofondateur de la startup montpelliéraine.

Si ces acteurs assurent que la France n'est pas suffisamment rompue à l'innovation, un sondage Ifop publié en 2015 montre que les Français n'y sont pour autant pas réfractaires. Ils sont 50% à avoir l'intention d'acheter moins un objet connecté au cours des 6 prochains mois, contre 58% des Américains, ou encore 79% des Coréens.

Jean-Yves Paillé

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Commentaires 2
à écrit le 12/02/2016 à 16:56
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Super : après avoir siphonné nos données personnelles, en passe de faire de même pour nos données bancaires par le paiement sans contact, voilà qu'on veut faire de même pour nos données médicales. On va peut-être vivre plus vieux, ... mais surtout be...

à écrit le 12/02/2016 à 11:07
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resumons si vous etes bons la dedans, allez montez votre boite aux etats unis au lieu de perdre votre temps dans un pays qui va tout faire pour degueulasser votre projet et vous menacer en permanence de vous nationaliser ou dailymotioniser

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