Sigfox, LoRa, Qowisio : la bataille pour les réseaux bas débit est lancée

Spécialistes de l’Internet des objets, ces sociétés développent des technologies de réseaux et de capteurs sans fil qui permettent de surveiller automatiquement les compteurs à gaz, de développer des parkings intelligents, de mieux maîtriser l’éclairage public, de détecter les incendies ou encore de mieux gérer le trafic routier. Engagées dans une course de vitesse pour déployer leurs solutions et les imposer, ces pionniers jouent des coudes en France et à l’international.
Pierre Manière
Anne Lauvergeon et Ludovic Le Moan, respectivement présidente du conseil d'administration et PDG de Sigfox, veulent faire de leur solution un standard.

Les réseaux bas débit sans fil ont le vent en poupe. Et pour cause : il s'agit d'un des principaux moteurs de la révolution à venir de l'Internet des objets. Les enjeux sont colossaux : demain, la plupart des objets, mais aussi une large part des équipements publics (les routes, les voies ferrées, les lampadaires...) disposeront de capteurs capables de renvoyer des informations sur leurs usages ou leur environnement. Ainsi, un capteur géolocalisé et enterré sous une bretelle d'autoroute pourra, par exemple, renvoyer des informations sur le trafic. Un autre, installé sur un compteur d'eau, permettra de récupérer très facilement des données liées à la consommation. Placé sur un point haut, un capteur pourra mesurer la qualité de l'air.

Cette révolution est à nos portes. Selon le cabinet Idate, il y aura quelque 80 milliards d'objets connectés à travers le monde d'ici 2020 ! Connecter ces objets, et leur permettre de communiquer entre eux pour récolter des informations ou leur en envoyer, s'avère donc crucial. C'est là qu'interviennent les réseaux bas débit, un créneau où la France est pour l'heure très bien placée. Les sociétés Sigfox et Qowisio, ainsi que la technologie LoRa (mise en place par l'entreprise iséroise Cycleo, rachetée par l'Américain Semtech), sont actuellement engagées dans une course de vitesse pour imposer leurs solutions dans l'Hexagone et à travers le monde.

Qowisio à l'assaut du marché français

Concrètement, elles développent des systèmes à base d'antennes, de capteurs et de serveurs, pour collecter et envoyer des informations ou des ordres aux objets ou infrastructures ciblés. De manière générale, ces technologies insistent sur la grande autonomie des capteurs, dont la faible consommation d'énergie leurs permet de vivre plusieurs années. Une obligation, puisqu'on imagine mal, par exemple, remplacer tous les mois un dispositif enterré sous la chaussée. Leurs solutions sont toutes peu coûteuses, en raison, notamment, du nombre de capteurs à installer. En outre, elles mettent toutes l'accent sur la fiabilité en termes de connectivité. Mieux, les antennes disposent d'une très grande portée, jusqu'à plusieurs dizaines de kilomètres, permettant de déployer un réseau plus facilement et efficacement.

Sur ce créneau, l'heure est aux grandes manœuvres. Cette semaine, Qowisio a levé 10 millions d'euros. Après avoir déployé 18 réseaux privés à l'étranger, cette pépite française souhaite faire son nid dans l'Hexagone. A La Tribune, Cyrille Le Floch, son PDG, explique qu'il va notamment travailler avec une enseigne de grande distribution basée à Anger, dont il conserve l'anonymat. L'objectif est ici d'améliorer la logistique : « On va mettre en place un suivi des palettes de produits pour pouvoir les géolocaliser entre les magasins et la centrale d'achat », explique-t-il. Pour séduire ses clients, Cyrille le Floch revendique une solide expérience à l'international. « On a travaillé avec de gros opérateurs télécoms en Europe et dans les pays émergents », avance-t-il. Pour l'un d'entre eux, il a notamment glissé ses capteurs au niveau des antennes-relais, pour vérifier qu'elles étaient bien alimentées en électricité. « Ainsi, si le réseau tombe en passe, l'opérateur sait immédiatement quelle installation pose problème. » Il peut donc y envoyer ses équipes techniques sans perdre de temps. D'autres applications apparaissent prometteuses, surtout du côté des économies d'énergie. « En mettant des capteurs dans les lampadaires, on pourra gérer l'éclairage public de manière beaucoup plus fine qu'aujourd'hui. »

Sigfox séduit les investisseurs

Mais Qowisio n'est pas tout seul. Loin de là. Pour s'imposer, elle doit faire face à un concurrent particulièrement vorace : Sigfox. Véritable pionnier du secteur, cette société toulousaine revendique la place de « leader mondial de la connectivité des objets ». Elle a déjà développé moult applications. Parmi elles, la startup a participé à Fastprk : l'an dernier à Moscou, elle a déployé plus de 11.000 capteurs pour donner, via une appli mobile, des informations sur l'état de stationnement en temps réel. But de l'opération : désengorger le centre-ville de la capitale russe, célèbre pour sa très mauvaise circulation.

En février dernier, Sigfox a levé pas moins de 100 millions d'euros auprès d'investisseurs renommés (la banque publique Bpifrance ou le fonds Partech Ventures) et d'industriels intéressés (comme GDF Suez, Air Liquide, ou l'opérateur espagnol Telefonica). Grâce à cette manne, Sigfox veut accélérer son déploiement à l'international, et notamment aux Etats-Unis. L'enjeu est de taille : « Cette levée de fonds salue notre parcours et met en lumière le potentiel de Sigfox dans la course à venir pour le standard mondial de la connectivité par messages courts », estimait Ludovic Le Moan, le PDG de la société, dans la foulée de sa levée de fonds.

LoRa séduit Bouygues Telecom et Orange

Dans son collimateur figure la technologie concurrente LoRa (pour Long Range), qui séduit elle-aussi de nombreux acteurs. Dans l'Hexagone, Bouygues Telecom a choisi cette solution pour déployer son réseau. Destinée principalement à des clients industriels, celui-ci vise à séduire des grands groupes comme Primagaz ou Veolia, d'après une source interne. « En mettant des puces dans les bouteilles de gaz, on pourra par exemple savoir lorsqu'elles sont presque vide, tout sachant précisément où elles se trouvent, poursuit cette même source. Ainsi, on pourra mieux gérer et anticiper les approvisionnements. » De quoi économiser de précieux deniers sur la logistique...

Orange a lui aussi opté pour LoRa. Depuis peu, l'opérateur historique a lancé un projet pilote à Grenoble, avec une vingtaine d'entreprises. Nicolas Demassieux, directeur des Orange Labs et de la recherche du groupe, égrène différents usages : « On s'intéresse à tous les aspects liés à la consommation de l'énergie, à la mesure de l'humidité, ou aux applications liées à la localisation d'équipements comme les bus ou les trains... »

« Aujourd'hui, certains font beaucoup de bruit... »

Confronté à cette concurrence, Sigfox n'apprécie guère qu'on marche sur ses plates-bandes. Fin mai, Ludovic Le Moan a fusillé le choix de LoRa par Bouygues Telecom de manière bien peu courtoise :

« Je suis persuadé que Bouygues Telecom va échouer dans l'Internet des objets. Je suis même prêt à le parier. Ils sont enfermés dans leur histoire, leur héritage, ils ne peuvent pas aller vite pour réellement 'disrupter' le marché. Ce n'est pas la bonne approche. Si j'étais le PDG de Bouygues Telecom, je serai plutôt allé voir Sigfox plutôt que de m'en faire un rival », a-t-il jugé lors de la Connected Conference, selon le site usine-digitale.fr.

Chez Bouygues Telecom, on assure que le choix de LoRa a été mûrement réfléchi. « C'est la meilleure technologie », assure notre source. « Aujourd'hui, il y a des gens qui font beaucoup du bruit. C'est sans doute qu'ils sont nerveux... », nous dit-on. Réponse du berger à la bergère. Reste que la bataille ne fait que commencer.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 17/06/2015 à 22:48
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Je note que le pays dispose d'un avantage comparatif indéniable dans ce secteur, à nous de le faire fructifier. Dans mon métier (la logistique) ces technologies seront à n'en pas douter de précieux alliés. Et un gisement incroyable d'économies et de ...

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