"SIM fantômes" : les déboires de MTN, le plus gros opérateur mobile nigérian

Pour lutter contre le terrorisme, le Nigeria a décidé de faire la chasse à ses millions d’abonnés mobiles non-identifiés. N’ayant pas débranché tous les siens à temps, le géant sud-africain MTN, premier opérateur mobile d’Afrique, a écopé d’une amende de plusieurs milliards de dollars. Explications.
Pierre Manière
Une publicité pour MTN à Abuja, dans le quartier des affaires.

Il n'y a pas qu'en France où les opérateurs télécoms sont mis à contribution pour lutter contre le terrorisme. C'est notamment le cas au Nigeria, dont le nouveau président, Muhummadu Buhari, souhaite éradiquer la secte Boko Haram. En six ans, cette organisation islamiste ultra-violente aurait tué plus de 15.000 personnes, essentiellement dans le nord-est du pays. Problème : il était, jusqu'à il y a peu, très facile de se procurer une carte Sim sans présenter de documents d'identité. Pour les terroristes, c'était donc la garantie de pouvoir communiquer sans encombre, sachant que si les autorités mettaient la main sur leur téléphone, elles ne pourraient pas remonter jusqu'à eux. Le gouvernement a donc poussé les opérateurs mobiles à mettre fin à cette prolifération des « SIM fantômes ».

C'est la NCC, le régulateur nigérian des communications, qui a été chargé de faire le ménage. Pour que tous les usagers de téléphonie mobile soient parfaitement identifiables, la NCC a renforcé les règles de contrôle et, surtout, met désormais un point d'honneur à ce qu'elles soient respectées. Ainsi, toutes les personnes désireuses d'avoir une SIM doivent systématiquement fournir un nom et une adresse valides, mais aussi une photo d'identité ainsi que leurs empreintes digitales. En parallèle, le régulateur a fait l'inventaire de toutes les puces anonymes, où manquant de renseignements personnels. Au total, la NCC a recensé quelque 38,6 millions de cartes SIM fantômes. Cet été, elle a demandé aux opérateurs de les « débrancher », sous peine d'une amende de 200.000 nairas (un peu plus de 1.000 euros) pour chaque puce non-identifiée encore active.

38,6 millions de SIM à désactiver

Le sud-africain MTN, de loin le premier opérateur mobile du pays avec près de 63 millions d'abonnés avant l'opération, devait en désactiver 18,6 millions. Ses concurrentes Etisalat, Airtel et Globalcom, en avaient respectivement 10,4 millions, 7,4 millions et 2,2 millions à débrancher.

« Tous les opérateurs ont eu trois mois pour mettre un terme à l'utilisation de ces SIM et se mettre en conformité. Mais lorsque la NCC a relevé les compteurs, il restait plus de 5 millions de puces actives chez MTN », explique Jean-Michel Huet, spécialiste des télécoms africaines chez BearingPoint.

Résultat, fin octobre, la sentence tombe. Le régulateur nigérian sort sa calculette, et inflige une amende colossale de 5,2 milliards de dollars à l'opérateur contrevenant. Pour MTN, le numéro un du mobile en Afrique avec une présence dans une vingtaine de pays, c'est un coup de massue. Cette amende représente en effet près de la moitié de son chiffre d'affaires en 2014 (plus de 12 milliards de dollars). Depuis la fin octobre et le début de l'affaire, le titre ne cesse de dégringoler, accusant une baisse de plus de 25% à la Bourse de Johannesburg.

Démission du PDG

C'est peu dire que cette sanction a chamboulé toute l'activité du groupe. Début novembre, le PDG de MTN rend son tablier :

« En raison des circonstances actuelles très fâcheuses chez MTN Nigeria, j'ai, dans l'intérêt de la compagnie et de ses actionnaires, remis ma démission avec effet immédiat », a-t-il déclaré.

Et comme si cela ne suffisait pas, MTN se retrouve dans le collimateur de la Bourse de Johannesburg concernant de « possibles délits d'initiés » au sein du groupe dans le cadre de cette désormais « affaire nigériane », où les zones d'ombre sont légions. Pourquoi MTN n'a-t-il pas désactivé en urgence toutes les SIM fantômes restantes ? Et si la manœuvre s'avérait difficile à mettre en place (elle aurait pu, par exemple, créer un engorgement de clients souhaitant se régulariser dans ses boutiques), n'était-il pas possible de négocier plus de temps auprès de la NCC ? Le groupe comme le régulateur n'ont pas donné suite à nos sollicitations.

Reste que, depuis, les négociations vont bon train entre la NCC et MTN sur le montant de l'amende. Et ce, dans des conditions un brin surréalistes vu les enjeux et le montant. Vendredi dernier, le régulateur a revu à la baisse la sanction, la fixant à 3,9 milliards de dollars. Sachant que la veille, elle avait proposé 3,4 milliards de dollars. Pourquoi ce changement soudain ? Parce qu'il y aurait eu « une faute de frappe » dans le document initialement envoyé à MTN, a déclaré après coup un porte-parole du régulateur. Ainsi, « nous nous sommes rendus compte de l'erreur et nous l'avons rectifiée », poursuit-il.

Un joli pactole sur fond de chute de pétrole

Malgré cette ristourne, pas question pour MTN d'en rester là. Son nouveau PDG par intérim, Phuthuma Nhleko, a affirmé dans un communiqué qu'il allait « immédiatement et en urgence réengager [les négociations] avec les autorités nigérianes ».

Aux yeux de plusieurs observateurs, MTN doit probablement arguer que le paiement d'une telle amende pourrait obliger le groupe à suspendre ses investissements dans le réseau. De son côté, le gouvernement nigérian pourrait bien voir dans cette manne un moyen de renflouer ses caisses. De fait, le pays est largement dépendant de ses revenus pétroliers, mais ceux-ci se sont effondrés, dans le sillage de la chute des cours ces derniers mois.

Toutefois, Jean-Michel Huet estime que le gouvernement a, « sur le moyen terme », davantage intérêt à favoriser l'investissement. D'après lui, l'industrie des télécoms a un avantage :

« Il n'y a pas de marché noir, et le secteur est donc très taxé. »

En d'autres termes, si le groupe se porte bien, il payera mécaniquement plus d'impôts, ce qui profitera donc au gouvernement. Les pourparlers sont, à n'en point douter, bien loin d'être terminés.

Pierre Manière

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