Télécoms : le temps des mega-deals a commencé

Du rachat de Time Warner Cable par le câblo-opérateur Charter pour 55 milliards de dollars aux Etats-Unis, aux folles rumeurs d’un mariage entre Vodafone et Liberty Global sur le Vieux Continent… Depuis quelques mois, le marché des télécoms est en ébullition. Pas une semaine sans qu’une grosse opération émerge, ou que des rumeurs de mariages viennent mettre le feu aux poudres. Derrière ces rapprochements, les logiques économiques et financières sont parfois très différentes. Explications.
Pierre Manière
Patrick Drahi a récemment mis la main sur SFR, Portugal Telecom ou encore l'américain Suddenlink.

Les montants mis sur la table donnent le tournis. Depuis quelques mois, le marché des télécoms fait régulièrement les gros titres. Et pour cause : ses acteurs semblent tous gagnés par un féroce appétit. Interviewé par le Wall Street Journal au mois de juillet dernier, John Malone, le président du mastodonte du câble Liberty Global, leader sur le Vieux Continent, a déclaré : « C'est le 'dévore ou soit dévoré' qui conduit le capitalisme ». Des mots qui n'ont jamais été autant d'actualité. Moteurs de la révolution numérique actuelle, les acteurs des télécoms sont contraints de s'adapter pour préserver leur place, se consolider, ou tout simplement survivre dans un écosystème toujours plus concurrentiel. Et où tous les coups, les stratégies les plus folles, sont (presque) permis.

John Malone en sait quelque chose. Très présent en Europe, le magnat des télécoms s'est lancé à l'assaut des Etats-Unis. Fin mai, il a annoncé le rachat de Time Warner Cable (TWC), le numéro deux du câble outre-Atlantique. Montant de l'opération ? 55 milliards d'euros. Avec 23 millions de clients, la nouvelle entité sera un géant. Elle se situera juste derrière Comcast, qui en totalise 27 millions. Au passage, John Malone se fend d'un pied-de-nez à cet encombrant concurrent : Comcast avait précédemment mis 45 milliards de dollars sur la table pour engloutir TWC. Mais il s'était heurté à un refus des autorités de la concurrence.

Les « câblos » contre les géants du Net

Dans cette bataille entre « câblos », John Malone dame le pion à un autre rival : Patrick Drahi. Le patron d'Altice (maison-mère de Numericable-SFR dans l'Hexagone) a racheté mi-mai 70% de Suddenlink, le septième spécialiste du câble aux Etats-Unis, valorisé à 9,1 milliards de dollars. En bouclant cette opération, le magnat franco-israélien des télécoms n'a pas caché son souhait de se projeter vers d'autres cibles. Des rumeurs ont alors circulé dans la presse, faisant état de son appétit pour TWC. Pris de vitesse par John Malone sur ce deal, il a affirmé plus tard, lors d'une audition au Parlement, qu'il n'avait « pas répondu (fait de contre-offre, Ndlr) car [son groupe] n'était pas prêt ».

Mais pourquoi diable ces grandes manœuvres sur le marché du câble américain ? Parce qu'au pays de l'Oncle Sam, le paysage est très différent du marché européen. Comme l'explique Yves Gassot, le patron de l'Idate, à La Tribune, le câble, qui diffusait historiquement la télévision, s'est développé localement, puis régionalement. Résultat, moult acteurs se partagent le territoire. Mais avec la révolution numérique et l'essor des géants du Net, les câblos font face à une concurrence accrue. « Il y a de plus de plus de cord cutters, ces consommateurs qui ne veulent plus s'abonner à des centaines de chaînes comme par le passé. Ceux-ci visionnent leurs programmes via les services vidéo à la demande (VOD), comme Netflix ou HBO Now », explique Yves Gassot. Les câblo-opérateurs sont donc contraints de se regrouper pour atteindre une taille critique, et investir à fond dans l'Internet fixe. Pour les services de télévision, qui pèsent toujours environ 50% de leurs revenus, unir leurs forces leurs permet aussi « de peser plus lourd pour négocier des exclusivités avec Hollywood ou les fédérations sportives ou investir dans la production », poursuit Yves Gassot.

Des taux bas: un catalyseur

Pour les autres opérateurs de télécommunications, c'est aussi cette logique qui prime. Ainsi, Dish Network, deuxième opérateur de télévision par satellite outre-Atlantique, a engagé récemment des discussions avec T-Mobile US, le quatrième opérateur de téléphonie mobile. Un mariage entre ces deux acteurs, qui pèsent chacun plus de 30 milliards en Bourse, permettrait notamment à Dish de développer Sling TV, son récent service de télévision en streaming. Ce regroupement se situerait dans le sillage d'un autre mariage d'ampleur : celui de l'opérateur AT&T qui a mis la main sur DirectTV, le numéro un de la télévision par satellite, pour 48,5 milliards de dollars. Le deal, en pleine finalisation,  va accoucher d'un géant de la vidéo payante avec une aura nationale. Ce qui inquiète légitimement Netflix. Début mai, le spécialiste de la VOD avait toqué à la porte du régulateur américain des télécoms pour signifier qu'un tel rapprochement pourrait « entraver la concurrence et l'innovation ».

Véritable catalyseur de ces regroupements, des taux très bas permettent à certains acteurs de financer leurs opérations. C'est notamment sur ce levier que jouent Patrick Drahi et John Malone. Leur stratégie ? S'endetter, même très fortement. Puis stabiliser financièrement leurs proies en améliorant sensiblement les marges via une impitoyable chasse aux coûts. Après le rachat récent Suddenlink et ceux de SFR et de Portugal Telecom l'an dernier (pour respectivement 19 et 7,4 milliards d'euros), Altice, le groupe de Patrick Drahi, totalise plus de 33 milliards de dettes ! Ce qui n'effraie pas l'intéressé le moins du monde. Lors de son audition au Parlement, il a évoqué la possibilité d'un rachat de TWC avant l'offensive de John Malone en ces termes : « Ce n'est pas de passer de 30 milliards à 70 milliards de dette qui m'inquiétait énormément [...] Mais de passer de 35.000 à 120.000 collaborateurs. »

La convergence fixe-mobile en ligne de mire

Sur le vieux Continent, les « consolidateurs » comme Drahi, Malone et d'autres opérateurs n'ont toutefois pas les mêmes objectifs qu'aux Etats-Unis. Sur ce marché, « certains veulent grossir au niveau national pour faire des économies d'échelle, quand d'autres cherchent à tirer profit de la convergence fixe-mobile - qui permet de proposer de puissantes offres mêlant la télévision, l'Internet à très haut débit, la téléphonie fixe et mobile », résume un analyste financier à La Tribune.

C'est pour des raisons de « convergence » qu'un mariage entre le « méga-câblo » Liberty Global et le champion du mobile Vodafone est souvent évoquée, tous deux étant très présents sur le Vieux Continent. A la mi-mai, John Malone a ainsi déclaré qu'une telle fusion représenterait « une formidable opportunité ».

Drahi lorgne Bouygues Telecom

En France aussi, les rumeurs de rapprochements vont bon train. Patrick Drahi, encore lui, lorgne Bouygues Telecom pour réaliser des synergies. Début mars, selon le JDD, il a fait une offre de 7,5 milliards d'euros. La proposition a été repoussée par Bouygues, la maison-mère de l'opérateur, qui défend bec et ongles la pertinence d'une stratégie standalone. En outre, le passage de quatre à trois opérateurs alimente régulièrement les débats. Il y a dix jours, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron a clamé dans Les Echos, que « l'heure n'était pas à consolidation, mais aux investissements »... Pas sûr que les acteurs l'entendent de cette oreille.

>> Voir aussi notre diaporama : Fiançailles annoncées, mariages, divorces : les télécoms en ébullition

Orange et ses ambitions européennes Telecom Italia, le néerlandais KPN, le belge Belgacom. Ces trois opérateurs pourraient bien voir Orange fondre sur eux. C'est ce qu'a affirmé jeudi Gervais Pellissier, directeur général délégué en charge des opérations en Europe, au Financial Times. A ses yeux, un de ces acteurs « pourrait constituer une cible » dans les cinq prochaines années, a-t-il renchérit.

Pierre Manière

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Commentaires 2
à écrit le 08/06/2015 à 17:38
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De belles sociétés françaises en pointe dans la sécurité de la voix et la data face à la NSA continuent à se développer et à prendre des parts de marchés sans ristournes !!😜

à écrit le 08/06/2015 à 12:50
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L'exemple de monsieur Patrick Drahi n'est pas forcément bon pour l'économie, partout où il rachète une entreprise - comme chez SFR - les fournisseurs subissent un chantage à la ristourne sur facture (sinon vous n'êtes pas payés), des dizaines de proc...

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