Télécoms : « Les rumeurs de fusions ne vont pas s’arrêter… »

Malgré l’échec du rapprochement entre Numericable-SFR et Bouygues Telecom, Marc Bourreau juge qu’une concentration du secteur n’est pas à écarter. Professeur d’économie à Télécom ParisTech, il souligne que l’Etat n’a aucun pouvoir pour empêcher un retour à trois acteurs, globalement souhaité par les acteurs.
Pierre Manière
Pour Marc Bourreau, une concentration des télécoms aboutirait probablement à une hausse des prix. Mais il demeure difficile de se projeter sur son importance, comme sur une augmentation des investissements.

Après l'échec du deal SFR-Bouygues Telecom, quel est, selon vous, l'avenir du marché français des télécoms ?

J'ai l'impression qu'il était peut-être trop tôt pour un tel mariage. Le rapprochement entre Numericable et SFR, qui est intervenu l'an dernier, n'est pas achevé. En outre, l'incertitude était plus importante dans le cas d'un mariage entre ce nouveau géant et Bouygues Telecom. Avec SFR, une fusion faisait sens au regard des complémentarités entre les deux groupes. Numericable est de facto fort dans le très haut débit fixe, quand SFR est un champion du mobile... Ici, un rapprochement est donc porteur de gains d'efficacité, avec en prime, la possibilité de pouvoir proposer des offres « quadruple play » [intégrant l'Internet haut débit, la télévision, la téléphonie fixe et mobile, Ndlr].

Dans le cas d'une fusion SFR-Bouygues Telecom, la donne est différente, puisque les doublons industriels sont importants. Pour Numericable-SFR, l'objectif était surtout de racheter la base clients de son concurrent. Côté réseau et infrastructures, ils n'avaient pas grand-chose à récupérer... Naturellement, pour s'attirer les faveurs de l'Autorité de la concurrence, ils avaient conçu un plan avec Free [qui aurait récupérer une partie du réseau et des fréquences, Ndlr]. Mais quelque part, l'opération avait moins de sens. Toutefois, je ne pense pas que les rumeurs de fusions vont s'arrêter. On a déjà eu des rumeurs de rapprochements de Bouygues Telecom avec Orange ou Free...

Dans tous les cas, Free qui apparaît comme l'acteur qui a le plus à gagner...

Oui, car l'opérateur de Xavier Niel est un peu en retard dans le déploiement de son infrastructure mobile (1). De plus, Orange aurait les mêmes difficultés que Numericable-SFR dans le cas d'un mariage avec Bouygues Telecom. L'opérateur historique se heurterait aussi à l'Autorité de la concurrence, qui prescrirait a minima des remèdes importants...

D'après vous, un retour à trois opérateurs est-il irrémédiable ?

C'est dur de se projeter. Mais le feuilleton SFR-Bouygues Telecom a accouché d'un enseignement : la possibilité de passer de quatre à trois acteurs ne relève que de la seule décision des opérateurs. Et non du gouvernement [même si Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie, a un temps pesté sur une concentration du secteur, Ndlr]. La seule institution qui peut freiner les opérateurs télécoms, une fois encore, c'est l'Autorité de la concurrence. Mais celle-ci dispose de règles claires, de procédures connues de tous, que les opérateurs peuvent donc anticiper. En d'autres termes, les quatre opérateurs de l'Hexagone sont sous leur propre contrôle respectif. Or ceux-ci semblent convaincus que la situation serait meilleure à trois... Ils ont donc toutes les cartes en main pour y arriver.

Bouygues Telecom focalise toujours l'attention : y a-t-il un panneau « à vendre » ? Ou l'opérateur a-t-il les moyens de poursuivre sa route seul ?

Aujourd'hui, ils ont une stratégie agressive [dans le fixe, avec une offre ADSL à prix cassé, Ndlr]. Ils recrutent beaucoup de clients. Il est donc possible que leur objectif soit de grossir leur base de clientèle en vue d'une revente. Ce que je note, c'est qu'il s'agit du seul - ou un des très rares - opérateurs dans le monde à dépendre d'un groupe dont les télécoms n'est pas le cœur de métier. A un moment, une volonté de Bouygues de se recentrer sur sa principale activité est donc possible.

D'après vous, quel est l'intérêt d'une concentration du secteur ?

Un passage de quatre à trois opérateurs est synonyme de moins de concurrence. Logiquement, on peut donc s'attendre à une hausse des prix, ce qui n'est guère bénéfique au consommateur. Mais des interrogations demeurent quant à l'importance de cette augmentation des tarifs. Si on regarde le marché autrichien, qui est passé de quatre à trois opérateurs il y a peu, les prix ont augmenté. Mais ce qu'il faut bien voir, c'est que les offres des opérateurs ont également beaucoup changé. Celles-ci se sont enrichies, via par exemple, une augmentation des débits autorisés, des heures de communication vocales supplémentaires, etc... En clair, l'avant et l'après concentration sont difficiles à comparer.

Ceci dit, une hausse des prix permettrait mécaniquement aux opérateurs de générer des marges plus importantes. Ceux-ci disent qu'avec cette manne, ils vont pouvoir investir davantage. Mais ici aussi, ce n'est pas si évident que cela. Economiquement parlant, la relation entre investissement et concurrence n'est pas linéaire. Par exemple, la concurrence peut imposer aux acteurs de chercher un avantage concurrentiel. Dans cet objectif, l'investissement constitue alors un levier pour se différencier.

Outre l'emploi, le « besoin investissement » constitue LE grand argument brandi par le gouvernement, les opérateurs et l'Union européenne pour justifier - ou pas - une concentration du secteur. Stéphane Richard, le patron d'Orange, plaide ainsi pour un retour à trois acteurs à presque toutes ses sorties publiques... Mais au fond, a-t-on vraiment besoin d'investir tout de suite davantage et massivement dans le réseau ? Et notamment dans la fibre ?

Je m'interroge effectivement beaucoup sur le besoin réel de la fibre. Le constat n'est pas clair. A long terme, on en aura bien sûr besoin. Mais aujourd'hui, est une nécessité d'en avoir partout en France ? Pas forcément. A l'heure actuelle, l'appétence pour la fibre n'est pas gigantesque. Aujourd'hui en France, on a l'ADSL. Dans beaucoup d'endroits, on dispose de débits tout à fait corrects, avoisinant les 20 Mb/s. Certains pays, comme la Corée du Sud, ont fibré de manière énergique. Mais les ménages qui bénéficient de cette technologie ont plus une consommation de type ADSL... A court ou moyen terme, le haut débit semble correspondre aux usages des individus.

Par ailleurs, des études ont montré que la diffusion du haut débit a eu des effets positifs sur la croissance, l'emploi et la productivité des entreprises locales. Selon moi, il faut donc se demander ce que peuvent nous apporter les investissements dans la fibre, comparativement à ce que nous offrent ceux consentis dans l'ADSL. Or, il n'est sûr qu'un débit à 100 Mb/s ait un impact économique plus important qu'un débit de 20 Mb/s. En clair, les retours sur investissements liés à la fibre ne seront pas immédiats.

1. Le réseau d'antennes de Bouygues Telecom dispose d'un bon maillage au niveau national. De quoi susciter l'appétit de Free : le plus jeune des opérateurs éprouve des difficultés à décrocher des autorisations pour déployer des antennes dans certaines zones denses, aussi importantes que stratégiques. Là où il n'est pas présent, il bénéficie d'ailleurs d'un coûteux contrat d'itinérance avec Orange pour faire bénéficier à ses clients de la 2G et de la 3G.

Pierre Manière

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Commentaires 3
à écrit le 06/07/2015 à 20:44
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les Grandes familles s'agitent...

à écrit le 06/07/2015 à 16:50
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Une Fusion S.F.R-Numéricable-Bouygues est souhaitable. - Fusion absolue sur le plan du réseau technique - Maintien de deux Marques et de ces deux réseaux de boutiques - Président Directeur Général pour l'ensemble - Un Directeur Général pour ...

à écrit le 06/07/2015 à 15:03
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Drahi va être contraint de mettre 15 milliards € sinon c'est bouygues qui va le bouffer à terme !👹🇨🇭

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