Xavier Niel, l'artificier des télécoms, s'exporte en Italie

Le propriétaire d’Iliad, maison-mère de Free, prépare son arrivée dans la téléphonie mobile en Italie. Va-t-il bousculer ce marché comme il l'a fait en France ? C'est bien possible. Explications.
Pierre Manière
Xavier Niel, le patron d'Iliad, la maison-mère de Free.

Son surnom de « trublion », il ne l'a pas volé. Après s'être fait un nom dans l'Internet fixe à bas prix, Xavier Niel et son opérateur Free se sont lancés dans le mobile il y a quatre ans. Ce 10 janvier 2012, lors d'une conférence de presse désormais célèbre, il a bousculé le marché français des télécoms avec des offres à prix cassé. Pour l'occasion, le patron d'Iliad, maison-mère de Free, avait mis les petits plats dans les grands, dézinguant ses concurrents, accusés de prendre les clients pour « des pigeons ».

Un accord pour satisfaire Bruxelles

Bien installé dans le paysage, Xavier Niel a depuis quelques temps des envies d'ailleurs. Il y a deux ans, il a bien tenté de se lancer sur le marché américain. Mais faute d'une offre satisfaisante, il a échoué à mettre la main sur T-Mobile US. Récemment, Xavier Niel était intéressé par le Royaume-Uni. Il voulait profiter de la fusion entre les opérateurs Three et O2 pour racheter les actifs et infrastructures nécessaires pour se lancer. Mais Bruxelles a bloqué le mariage, craignant qu'il ne plombe la concurrence entre les acteurs. Ce qui a signé la fin des ambitions de Xavier Niel sur ce marché.

Il restait l'Italie. Dans le monde des télécoms, tous les observateurs connaissaient l'appétit du fondateur de Free pour la Botte. Comme au Royaume-Uni, Xavier Niel a saisi l'opportunité d'un rapprochement. Dans la péninsule, les opérateurs mobiles 3 Italia et Wind veulent fusionner. Mais pour décrocher le feu vert des autorités de la concurrence, ils doivent se séparer de certains actifs pour éviter de donner naissance à un acteur trop puissant. Une aubaine pour Xavier Niel, qui a signé mardi un accord avec ces opérateurs.

Un investissement de 1,5 milliard d'euros

Celui-ci porte sur l'acquisition d'un gros portefeuille de fréquences (35 MHz, ce qui permettra à Iliad de faire de la 3G et de la 4G), de plusieurs milliers d'antennes (notamment dans les villes, où il est très difficile de s'implanter). Dans les campagnes et les zones moins peuplées, Iliad a décroché un accord d'itinérance d'une durée maximum de dix ans. Concrètement, cela lui permettra d'utiliser le réseau de ses concurrents là où il ne dispose pas d'antennes, et donc de couvrir tout le territoire. D'après Les Echos, l'investissement total d'Iliad dans la péninsule atteindrait 1,5 milliard d'euros. En clair, avec cet accord - et sous réserve que l'autorité de la concurrence dise « oui » au mariage entre 3 Italia et Wind -, Iliad deviendra le quatrième opérateur mobile en Italie.

Du côté des analystes, l'opération apparaît plutôt comme un joli coup. Analyste chez Exane-BNP Paribas, Agathe Martin se montre optimiste : « Si le deal est approuvé dans ces conditions, Iliad apparaît suffisamment équipé pour pouvoir 'disrupter' le marché, même si cela demandera du temps et des investissements. » Analyste chez Raymond James, Stéphane Beyazian trouve que l'accord négocié par Iliad est financièrement avantageux. Sur le prix des fréquences (450 millions d'euros), celui-ci apparaît « 55% moins cher » par rapport au prix payé par les opérateurs pour cet actif à l'Etat, constate-t-il.

Bientôt un « Free Italia »?

Pour négocier son arrivée sans trop dépenser, Xavier Niel a probablement fait valoir à ses rivaux qu'avec lui, leur projet de mariage a de bien meilleures chances d'obtenir la bénédiction de l'Autorité de la concurrence européenne. De fait, le fondateur de Free peut se prévaloir d'avoir initié une violente guerre des prix dans l'Hexagone ces dernières années... Ce qui pourrait séduire Bruxelles, pourtant très peu friande des consolidations nationales depuis quelques mois.

Si le deal se fait, reste à savoir quelle sera la stratégie commerciale d'Iliad. Va-t-il dégainer, comme en France en 2012, des offres à prix cassés (2 euros par mois pour la voix seule, et 19,99 euros avec appels illimités et de la data) ? Pour Agathe Martin, « il ne serait pas surprenant de voir Iliad lancer quelque chose de similaire » :

« En matière de téléphonie mobile, l'offre la plus basse que l'on puisse trouver actuellement en Italie est de 7 euros, avec une moyenne avoisinant les 9 euros. Sous ce prisme, un forfait à 2 euros pourrait facilement attirer un grand nombre de consommateurs, d'autant que nous sommes là-bas dans un marché où le prépayé est prédominant, et où l'usage de la voix est encore beaucoup plus important que celui de la data. »

Une bataille contre des rivaux « convergents »

Pour sa part, Stéphane Beyazian juge que « commercialement », le lancement de ce « Free Italia » sera « beaucoup plus difficile » que celui de Free Mobile il y a quatre ans. « Avec 5 millions de clients gagnés pour la seule année 2012, Iliad a eu un formidable succès en France. Mais il le doit d'une part à son [importante] base d'abonnés Internet fixe ainsi qu'à des prix très agressifs. » Or selon l'analyste, en Italie, Iliad débarquera avec « une notoriété de marque de 0% ». En outre, « si les prix pratiqués en Italie sont aujourd'hui légèrement plus élevés qu'en France, ils sont bien en-dessous de ceux pratiqués dans l'Hexagone en 2012 », enchaîne-t-il.

Autre point important : Iliad ne sera qu'opérateur mobile face à des rivaux « convergents », avec des offres mêlant téléphonie, Internet fixe et télévision. Ce qui pourrait peser sur sa capacité à leur ravir des clients.

Enfin, l'arrivée d'Iliad en Italie ne va-t-elle pas nuire à ses investissements en France ? Et notamment dans la fibre optique et les réseaux très haut débit ? Agathe Martin ne le pense pas. « D'une part, Iliad a tout à fait conscience de l'importance des investissements qu'il a encore à faire en France pour soutenir sa stratégie sur le long terme ; il est donc très peu probable qu'ils fassent de l'Italie une priorité par rapport à la France. D'autre part, Iliad a les moyens d'investir dans les deux pays, notamment parce qu'ils sont très peu endettés », souligne-t-elle. De quoi augurer d'une jolie bagarre dans la péninsule.

Pierre Manière

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Commentaires 2
à écrit le 08/07/2016 à 18:53
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Va-t-il découvrir les fameuses petites lignes du contrat dès qu'on fait du biz en mafiosie ? ;-)

à écrit le 07/07/2016 à 10:18
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"Jolie bataille" pour les capitalistes qui s'échangent les milliards d'euros. Pour les salariés de ces entreprises qui craignent le chômage, cela n'a aucunement l'air d'un "jolie bataille". Le capitalisme n'est pas une jolie bataille, tout comme la g...

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