Xavier Niel, ou la folle ascension d’un geek bidouilleur

Dans "Xavier Niel, la voie du pirate" (Edition First), les journalistes Solveig Godeluck (Les Échos) et Emmanuel Paquette (L’Express) racontent comment le fondateur d’Iliad (Free) s’est construit. Lui qui, en quarante ans, s’est mué d’un jeune geek autodidacte en quête de richesse en un redoutable businessman, frondeur et sans état d’âme.
Pierre Manière
Xavier Niel, le fondateur et propriétaire de l'opérateur d'Iliad (Free).

L'école et les grandes études, un premier job sécurisant qui rassure les parents, un cercle socio-professionnel respectable... Voici, finalement, tout ce que Xavier Niel a longtemps fui comme la peste. Et c'est sans doute la raison pour laquelle le fondateur et patron d'Iliad (Free) dépote et intrigue autant dans le milieu français des affaires, dont il est devenu une figure de proue. Dans Xavier Niel, la voie du pirate (Éd. First), les journalistes Solveig Godeluck (Les Échos) et Emmanuel Paquette (L'Express) racontent l'histoire d'un gamin qui n'en fait qu'à sa tête, et animé d'une envie presque maladive de renverser toutes les belles tables bien ordonnées qui ont le malheur de croiser sa route.

Pour autant, dans cet ouvrage qui fourmille d'anecdotes savoureuses sur la vie du « trublion » - comme l'ont largement surnommé les médias -, Xavier Niel est loin d'être un marginal. Issu d'une famille modeste, le gamin de Créteil est, comme un bon paquet d'ados de l'époque, tombé très tôt amoureux de l'informatique, ainsi que d'une forme de contre-culture geek et frondeuse alors naissante au début des années 1980. Au point qu'on peut se demander si au fond, Xavier Niel n'est pas vraiment né en 1981, l'année de ses 14 ans, où son père lui ramène un Sinclair ZX81, un des premiers PC grand public disponibles.

Flirter avec les lignes rouges

En parfait autodidacte, le garçon, dont le magazine préféré est Pif Gadget, va apprendre à coder, à programmer, avant de se muer en vrai hacker confirmé. Pour arriver à ses fins dans cet univers - comme lorsqu'il a piraté le réseau PTT de l'Élysée, à seulement 20 ans -, nul besoin de prestigieux diplômes ou de manuels scolaires : il faut aimer « bidouiller », être inventif avec les moyens du bord, se montrer un brin filou, et être animé, bien souvent, d'une envie de flirter avec les lignes rouges de l'ordre établi...

Reste que Xavier Niel, qui abandonne tôt les études classiques au terme d'une première année de prépa scientifique inachevée, dispose d'autres cordes à son arc : c'est un bourreau de travail et un ambitieux qui veut devenir riche, vite et par tous les moyens. Ado, « Xavier pense qu'il faut gagner beaucoup d'argent pour être heureux », écrivent les auteurs. « Pour lui, l'argent n'a pas d'odeur », renchérissent-ils. C'est pourquoi, à ses débuts, Xavier Niel n'aura aucun scrupule à se lancer dans le Minitel rose et dans les sex shops. Des activités très lucratives, qui vont faire de lui un millionnaire à 24 ans.

Le hacker se fond dans l'élite

Fortune faite, Xavier Niel se lance dans le grand bain des télécoms. Avec Free, il chamboule coup sur coup le marché de l'Internet fixe et celui du mobile en cassant les prix. Jusqu'à devenir, aujourd'hui, un des « quatre grands » opérateurs du marché. Pour y arriver, il a façonné Free à son image : celle d'« un royaume des geeks », avec un minimum de hiérarchie, et un esprit startup où chacun doit faire preuve d'initiative - et surtout pas attendre passivement que le travail tombe du ciel. Une telle structure permet à Xavier Niel, qui aime tout contrôler à l'excès, de garder un œil sur tout. Mais aussi de mettre directement une très forte pression sur ses troupes. Et tant pis si certains en bavent, regrettent un manque de reconnaissance, et dénoncent parfois le côté « manipulateur » de leur chef de file.

Si Xavier Niel s'est longtemps positionné « en rupture » avec l'establishment et les salons dorés du pouvoir - dont il ne partage ni la culture, ni les goûts, ni les manières, ni au fond la philosophie -, il s'est néanmoins imposé comme un personnage-clé dans les hautes sphères économiques et politiques. Sa réussite dans les affaires l'a fait basculer dans un monde qui l'a pourtant longtemps snobé, lui dont le parcours tranche avec ceux des patrons énarques ou polytechniciens.

Aujourd'hui milliardaire, Xavier Niel est co-actionnaire du Monde et tutoie les puissants. Lesquels se pressent pour visiter son École 42, gratuite et dédiée à l'apprentissage de l'informatique. Il a pour compagne Delphine Arnault, qui n'est autre que la fille de Bernard Arnault, le fondateur de LVMH. Un geek bidouilleur et frondeur adoubé par l'élite du pays... Une sacrée ironie.

Extraits de Xavier Niel, la voie du pirate, sélectionnés par La Tribune :

  • Quand Xavier Niel, ado, bricolait de faux décodeurs Canal+ pour les revendre au noir :

Et que dire de son passage par la case police à 17 ans ? Les parents se sont bien doutés qu'il se passait quelque chose en découvrant dans leur salon un décodeur Canal+ tout neuf, mais entièrement fait maison. C'est si facile de tricher. Il suffit de bricoler un boîtier avec des composants achetés pour 10 francs chez le marchand, près de la gare du Nord. Un fer à souder, quelques lignes de code, et hop ! le tour est joué : vous pouvez enfin voir le film porno du samedi en clair. Sauf que l'opportuniste ne s'est pas contenté de bricoler un boîtier pour sa famille. Il en a aussi revendu à un trafiquant anonyme rencontré sur un forum. Plusieurs bidouilleurs se sont fait pincer au même moment pour avoir fait comme Xavier : « On me commandait cinq décodeurs pour 250 francs [environ 70 euros], puis on se donnait rendez-vous dans Paris ; il suffisait d'acheter un ticket de métro et je repartais avec l'argent en poche », se souvient, avec gourmandise, l'un d'entre eux.

  • Comment Xavier Niel recrutait ses troupes dans le Minitel rose :

Pour lancer son business de Minitel rose, Xavier Niel utilise une méthode bien rodée depuis la fin des années 1980. Il recrute la plupart de ses collaborateurs en écumant les forums de discussion sur Minitel ou sur les réseaux informatiques pré-Internet, les BBS. On y trouve des gamins débrouillards souvent fâchés avec l'école, qui cherchent quoi faire de leur existence. « À l'époque de notre rencontre, il ne se passait rien dans ma vie, j'étais terré chez papa-maman en banlieue. Xavier m'a envoyé de la documentation technique et proposé de réaliser un programme. Ensuite, pour tester ce que j'avais pondu, il m'a invité chez lui, un dimanche, boulevard de Clichy », explique l'un de ces rebelles. L'apprenti informaticien un peu stressé sonne comme indiqué à une petite porte verte et Xavier Niel lui ouvre : un jeune gars tout sourire, décontracté, qui parle fort en faisant des moulinets avec les bras, « tout ce que je n'étais pas », témoigne le visiteur timide. L'hôte lui fait traverser un long corridor vide en proclamant : « On est dans le plus grand cinéma porno de France ! »

  • Ce jour où après le lancement de la Freebox, en 2002 (pensée pour apporter la téléphonie fixe, Internet et la télévision) France Télécom prend Free très au sérieux :

Chez les concurrents, en cette fin 2002, c'est la sidération. Pour la deuxième fois en un mois, Free les a pris de court. Jean-Luc Vuillemin, l'un des dirigeants d'Orange, est alors le patron des réseaux de France Télécom. Il s'est procuré une Freebox et l'a envoyé aux labos. On la désosse. Et là, c'est le choc : « Il y avait déjà la voix et tous les éléments pour faire de l'image : les puces, la séparation des canaux voix, images, données. Dans cette box, on voyait déjà toutes les ambitions de Free. À partir de ce moment, nous les avons pris très au sérieux », raconte l'ingénieur.

  • Comment les geeks et leur culture « un peu potache » ont envahi Free :

On improvise, on s'adapte, on domine. C'est la règle chez Iliad, une société qui a poussé trop vite pour qu'il en aille autrement. Dans ce grand désordre, il faut être prêt à tout faire soi-même. Les geeks sont rois. Ces informaticiens et ces électroniciens qui mettent les mains dans le cambouis ont imprégné Free de leur culture un peu potache. Longtemps, à l'allumage, la Freebox a affiché le mot « Rock'n'roll » en grosses lettres carrées sur son écran à cristaux liquides, à la place de l'horloge. Une facétie de programmeur. Franck Roger, fan du groupe de hard rock AC/DC, s'est souvenu qu'à la fac, les apprentis informaticiens lançaient ce cri de guerre avant de commencer à coder. Par acquit de conscience, il en informe Rani Assaf [le patron des réseaux de Free, NDLR] au moment de mettre ce logiciel en production. « Mais non, tu ne peux pas faire ça, on est une boîte sérieuse, on est cotés », le gronde son boss... tout en tapant la commande de mise à feu. Le mot d'ordre estudiantin s'affiche au cœur de millions de salons plus ou moins bourgeois.

  • Derrière le côté « startup » attrayant, Niel et ses lieutenants mettent néanmoins une très, très grosse pression sur leurs collaborateurs :

« Xavier ne nous a jamais fait un compliment, seulement des 't'as rien fait, cette année' et Rani intervient uniquement pour nous dire 'non', sans oublier d'ajouter 't'es trop con' », critique [un] salarié qui préfère garder l'anonymat. À la longue, certains petits soldats peuvent se retrouver avec le moral dans les chaussettes, d'autant plus qu'ils passent leur temps à guetter un signe de reconnaissance. « Xavier est manipulateur et sait exploiter un geek sans pitié en lui disant des choses qu'il a envie d'entendre. Si on était dans Star Wars, il serait l'empereur Palpatine, et Rani, Dark Vador », se plaint le salarié.

  • Quand en 2012, Free se repose presque entièrement sur le réseau d'Orange au lancement de son offre de téléphonie mobile :

Chez Orange, on constate que certaines antennes Free Mobile « clignotent » : les antennes sont allumées, puis éteintes, puis rallumées... Et pourquoi le site parisien de Cognacq-Jay, susceptible selon l'opérateur historique de contribuer à la couverture théorique de près de 600.000 personnes, est-il éteint ? Les ingénieurs comprennent alors que le réseau Free Mobile a été paramétré afin de rester quasiment « invisible » pour les téléphones des abonnés. Pis : arrivé sur le réseau Orange, le terminal du client ne peut pas se reconnecter sur le réseau de Free Mobile, car le petit opérateur lui impose un délai de 30 minutes. Le nouvel entrant prend en main son infrastructure toute neuve et préfère manifestement y aller pas à pas. Les dirigeants de France Télécom sont outrés. Mais chut ! maintenant, il y a le contrat d'itinérance [de plusieurs centaines de millions d'euros, NDLR] ; on ne débine pas un partenaire commercial.

  • Quand Xavier Niel recevait des coups de fil énervés de son beau-père, Bernard Arnault, quand les journaux dont il est actionnaire faisaient l'éloge de Merci patron ! :

L'affaire [Merci Patron !, Ndlr] est traitée dans Le Monde sur deux pleines pages. Le magazine Télérama évoque « un pastiche de thriller social, offensif et jubilatoire » et L'Obs « une fête de l'esprit en même temps que le triomphe de la fraternité sur l'argent roi ». Trois médias contrôlés par Xavier Niel se régalent d'un film qui cloue au pilori LVMH ! Bernard Arnault décroche son téléphone à plusieurs reprises pour se plaindre auprès de son gendre de l'exposition donnée à ce documentaire. Interrogé publiquement, Bernard Arnault ironise : « Nous avons tous les défauts. D'abord nous sommes une grosse entreprise du CAC 40, nous avons de bons résultats, ce qui aggrave notre cas, nous embauchons du personnel, en France en plus, et à long terme. C'est épouvantable. » L'actionnaire de contrôle de LVMH s'en prend ensuite à ce film « relayé par une presse bien-pensante, de gauche [...] qui se jette là-dessus en essayant de mettre en avant ce type de mouvement ». Et pan sur le bec des canards de Xavier !

Pierre Manière

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Commentaires 4
à écrit le 07/11/2016 à 14:29
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Quel exemple de MEDIOCRITE. Vraiment triste personnage, à l'origine de la perte de milliers d'emploi et de la ruine d'un fleuron de notre industrie.

à écrit le 07/11/2016 à 9:26
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Le livre démontre surtout que pour réussir, il faut faire le contraire de ce qu'on nous apprends. Il ne faut pas avoir peur de piétiner les autres, de largement passer la ligne jaune, de voler les autres, et parfois de payer quelques prunes une fois ...

à écrit le 03/11/2016 à 10:45
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Ouais ... Qu'il ait été rebelle est indiscutable. Mais aujourd'hui, Free est devenu un opérateur historique qui se comporte comme tel, n'innove plus et s'accroche à sa rente en augmentant ses tarifs discrètement. Quasiment absent du déploiement de...

à écrit le 03/11/2016 à 9:00
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Ouais bof, la réussite des patrons c'était mieux avant quand même. Pour en en revenir au film "merci patron" qui en effet est un excellent film je ne vois pas en quoi dire du bien d'un bon film est un crime "de gauche", je ne vois pas comment en ...

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