Impôt en France, une riche et tumultueuse histoire

Si l'impôt juste naît à la Révolution, la hausse de la pression fiscale et la multiplication des missions que l'on assigne à l'impôt pour justifier ses augmentations finissent par nourrir le refus de l'impôt, et par fragiliser le pacte social.
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Quand l'impôt devient un sujet d'étude pour les historiens, il sort du champ austère de la technique fiscale pour revêtir sa pleine dimension sociétale : il est l'expression même du compromis social, socle de toutes les solidarités qui signent une société civilisée. C'est in fine ce qui ressort du récit du jeune historien, Nicolas Delalande, qui raconte et analyse dans « les Batailles de l'impôt », l'histoire mouvementée des rapports que les citoyens entretiennent depuis 1789 avec les taxes. Où l'on comprend que la question de l'équité fiscale, qui va être au coeur de la campagne présidentielle pour 2012, a été le problème de tous les régimes depuis la Révolution. S'il n'y a pas d'État moderne sans impôt, tous les gouvernants ont eu à convaincre les citoyens qu'il est à la fois utile et légitime de verser à l'État une partie de leurs ressources pour financer les dépenses publiques.

C'est en 1789 que naît, en France, le principe du consentement à l'impôt, réponse révolutionnaire à la taxation arbitraire et inégalitaire qui caractérisait l'Ancien Régime. Désormais, pour être légitime et accepté, l'impôt doit être voté par l'Assemblée nationale. Cette nouvelle conception de l'impôt est assortie d'une nouvelle conception de l'égalité - l'équité - c'est-à-dire d'une « contribution également répartie entre les citoyens en raison de leurs facultés ». Expression fiscale, en somme, de la fin des privilèges. C'est aussi à cette époque que naît l'idée d'utiliser la fiscalité à des fins de redistribution et de justice sociale. Alors qu'un « comité de l'imposition », chargé de concevoir les nouveaux principes sur lesquels l'impôt doit reposer, recommande à la fin du XVIe siècle de privilégier l'impôt direct, l'État continuera pourtant de prélever l'essentiel de ses recettes sur les biens de consommation. Pour remédier aux difficultés de recouvrement de l'impôt, le Directoire en centralise la perception, ce qui ouvrira la voie aux protestations fiscales de nature politique. Aussi au XIXe siècle, et plus particulièrement après l'épisode des « 45 centimes » de 1848, qui a majoré d'autant les prélèvements directs pour renflouer les caisses de l'État, c'est par le refus de l'impôt que s'exprimeront les contestations politiques contre le pouvoir en place. Au début du XXe siècle, en 1907, la révolte des vignerons de l'Aude prendra encore la forme d'une grève de l'impôt.

Parmi les batailles les plus intéressantes de cet ouvrage, figure celle sur l'instauration de l'impôt sur le revenu, qui explique l'origine de la faiblesse de ce dernier aujourd'hui en France. Alors que la Grande-Bretagne crée dès 1842 un « income tax », la France de 1871, par la bouche d'Adolphe Thiers, poursuit sa croisade contre cet impôt qu'il juge « immoral et impraticable », car il préfère taxer les choses que les personnes, la consommation que les revenus. Les adversaires de cet impôt, organisés en ligues, ont été si puissants, qu'il faudra quarante ans pour que l'impôt sur le revenu voie le jour en France, en juillet 1914. C'est qu'il fallait bien trouver des ressources pour financer l'effort de guerre. Au tournant du XXe siècle, l'émergence d'un État social en Europe conduit à une révolution des fondements de la redistribution : à la proportionnalité se substitue la progressivité, bâtie sur l'équivalence des sacrifices consentis par les contribuables.

Ce livre montre comment chaque révolution et chaque conflit, créant de nouveaux besoins financiers, ont été l'occasion d'un renforcement de la pression fiscale (passée de moins de 10 % jusqu'en 1914, à 20 % jusqu'en 1939, à 40 % à partir des années 1980) et d'une refonte du système fiscal. Chaque fois, alors que l'on assigne de nouvelles missions à l'impôt, on cherche de nouvelles assiettes. Et au fur et à mesure, le consentement à l'impôt, qui était la base même de l'impôt moderne, se fissure un peu plus, ouvrant la voie au refus croissant de l'impôt, voire à une fraude fiscale caractérisée. À partir d'un certain niveau de prélèvements, le pacte fiscal, ciment du compromis social, en ressort fragilisé.

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