"Value investing" (15/16), les analyses de sociétés : Gap en soldes ?

[ Série d'été ] Tout au long de cet été, les experts de l'Investisseur Français proposent une série en plusieurs volets pour comprendre ce qu'est l'"investing value". Aujourd'hui, le deuxième volet de l'analyse appliquée à une société est consacré à déshabiller le business model d'une marque célèbre de vêtements: Gap.
GAP est un retailer perçu par le marché comme en perte de vitesse (N.B. En ce début d'année 2016, tout le secteur du retail ont souffert) mais dont le bénéfice cash (FCF) varie généralement entre 850 millions et 1,4 milliard de dollars, et une moyenne de 1,1 milliard sur 5 ans.

Nous ne pouvons qu'être interpellés lorsque nous constatons que Gap, une entreprise avec un tel renom, voit son cours de Bourse dévisser de 50% en un an. À la fin des années 1970 à San Francisco, Donald Fischer, ne trouvait pas de jeans à son goût. Il a donc eu l'idée de fonder sa propre marque : GAP. Le nom lui a été soufflé par sa femme en référence au fossé entre les générations (« generation gap »).

Le groupe possède les marques Old Navy, GAP et Banana Republic et distribue des vêtements et accessoires dans une quarantaine de pays via un réseau de 3.700 points de vente. Trois quarts des ventes sont réalisées aux États-Unis et 10% en Asie. Voici le détail par région et par marque pour 2015 :

Capacité bénéficiaire

GAP est un retailer perçu par le marché comme en perte de vitesse (N.B. En ce début d'année 2016, tout le secteur du retail ont souffert) mais dont le bénéfice cash (FCF) varie généralement entre 850 millions et 1,4 milliard de dollars, et une moyenne de 1,1 milliard sur 5 ans.

Compte tenu de la perte de vitesse enregistrée par la marque (-5% de chiffre d'affaires au premier trimestre de l'exercice, -4% lors du dernier exercice), une pression à la baisse sur la génération de cash-flows est inévitable. En réaction, le groupe a récemment annoncé des mesures d'économies pour un total de 275 millions de dollars en année pleine qui devrait se solder, à terme, par une hausse de 2 points de la marge opérationnelle (9,5% en 2015 vs 11,7% en moyenne ces cinq dernières années).

La mesure phare est la sortie complète d'Old Navy du Japon (53 magasins), à laquelle viennent s'ajouter 22 fermetures supplémentaires. Inévitablement ces dernières entraînent des dépréciations - non-cash -  sur les stocks (100 millions de dollars), inclus dans les 300 millions de dollars de frais de restructuration annoncés par le groupe sur l'année 2016. À noter : en juin 2015, GAP avait déjà annoncé la fermeture de 175 enseignes, principalement aux États-Unis, ce qui s'est traduit par des coûts de 130 millions de dollars sur l'exercice fiscal 2015.

La totalité des profits va à l'actionnaire

Les profits pourraient par ailleurs être considérablement augmentés en réduisant les budgets marketing si l'on voulait traire la vache. Si l'intérêt à le faire à long terme est discutable, une politique d'investissement volontariste dissimule bel et bien une partie significative de la capacité bénéficiaire de Gap.

Considérant que la totalité des profits va à l'actionnaire (sous forme de rachats d'actions principalement, complétée par un dividende), il est difficile de ne pas envisager à terme une croissance de la capacité bénéficiaire par action (d'ailleurs malgré des ventes stagnantes depuis une dizaine d'années le free cash-flow par action a été multiplié par trois), sauf effondrement précipité des marques Gap et Old Navy.

Or le cours actuel price très précisément une décroissance pérenne et importante de la capacité bénéficiaire par action de l'entreprise - ce qui semble excessivement pessimiste alors que les perspectives à long terme ne semblent pas bien plus mauvaises que la moyenne des entreprises du S&P 500.

Allocation du capital

Le capex est limité à son strict minimum et le groupe n'est pas prompt à se développer au travers d'acquisitions. On note une capacité historique à promouvoir des marques vedettes pour supplanter les cash-cows historiques : Old Navy est venu compléter Gap, tandis que le management actuel travaille à faire monter en puissance la marque Athleta.

L'essentiel des free cash-flows est retourné aux actionnaires. Ainsi, depuis 2010, c'est l'équivalent de la capitalisation actuelle qui a été rachetée sur le marché. Ajoutons à cela 1,8 milliard versé en dividendes sur la même période. Le rendement actuel est de 5% et le dividende ne semble pas menacé malgré les difficultés que rencontre le groupe.

2016 s'est annoncé comme une année charnière :

  • GAP doit rembourser 400 millions de dettes en octobre. À noter toutefois qu'une option d'extension d'un an est possible. Les autres dettes ont des maturités plus longues et la charge d'intérêts est largement couverte par la capacité bénéficiaire.
  • Des charges conjoncturelles pour un montant de 200 millions viendront impacter le FCF.

Avec 1,3 milliard de cash au bilan et un free cash-flow qui sera sans doute supérieur à 500 millions malgré toutes les péripéties de 2016, le groupe a de quoi :

  • faire face à ses engagements financiers
  • financer ses opérations. Le BFR est légèrement positif, de l'ordre de 500 millions
  • maintenir son dividende (moins de 400 millions).
  • Continuer de racheter des actions, mais dans des proportions plus modestes. Cette enveloppe allouée aux rachats pourrait servir de variable d'ajustement en cas de besoin. On pourrait malgré tout voir 400 à 500 millions d'actions rachetées cette année. Il est d'ailleurs dommage, d'un point de vue financier, que ce ne soit pas le dividende qui soit coupé, mais Gap est une blue chip...

Valorisation

Au prix de 7,5 milliards de dollars, on paie actuellement moins de 7 fois le profit moyen de ces cinq dernières années et moins de 9 fois le profit le plus bas, ce qui nous semble tout à fait raisonnable compte tenu de la qualité des marques, de la régularité des résultats et de l'allocation de capital ultra accommodante vis-à-vis des actionnaires.

1 milliard de free cash-flow par an

Sans aucune croissance, avec 15 milliards de ventes et une structure de coût optimisée, Gap peut générer de l'ordre de 1 milliard de free cash-flow par an. Sachant qu'il sera presque intégralement rendu aux actionnaires on peut, dans cet investissement, se passer de la croissance.

Vu sous un autre angle, Gap est une collection de marques à rayonnement mondial qui cote à 1,8 fois ses dépenses administratives annuelles, soit sans doute très significativement en-dessous de tout estimé raisonnable de son coût de reproduction. Formulé autrement, si on nous confiait la mission et le cash, on ne voit pas comment reproduire les marques Gap, Old Navy, Banana Republic et Athleta en moins de deux ans avec les budgets annuels de l'entreprise.

Il est intéressant de noter que Gap faisait encore partie en 2013 des 100 marques les mieux valorisées du monde par le cabinet spécialisé Interbrand avec une estimation proche des 4 milliards de dollars.

Le CEO semble partager le même avis que nous dans la mesure où il a acheté pour plus d'un million de dollars d'actions à 27 dollars à la fin de l'année 1015, tout comme des membres de la famille fondatrice qui en ont racheté pour plus de 13 millions à l'automne 2015 à un cours de 33 dollars.

Conclusion

Le bilan est solide, la capacité bénéficiaire éprouvée, et elle peut être durablement divisée par deux sans que nous ne perdions d'argent. L'entreprise, avec une culture familiale forte et un portefeuille bâti autour de marques solides, a prouvé historiquement sa capacité à se réinventer, et il s'agit sans doute d'une des blue chips les moins chères du marché actuellement.

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Les principaux chiffres sur les 5 dernières années :

Ticker : GPS:US- Capitalisation : 7,5 milliards de dollars - Cours retenu pour l'analyse : 18 dollars (le cours de clôture de la séance du lundi 8 août s'affichait à 25,1 dollars).


Cette analyse reflète la seule opinion de son auteur : elle n'est pas une recommandation d'achat. L'équipe de l'IF décline toute responsabilité concernant les développements (favorables ou défavorables) d'un investissement dans l'entreprise présentée; chaque lecteur est maître de ses décisions. À date de publication, l'auteur possède des actions de l'entreprise présentée.

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