"L'opinion a le sentiment de n'être plus représentée par les institutions"

Vingt ans après la chute du mur de Berlin, l'essayiste Paul Jorion prononce l'oraison funèbre du capitalisme. Dans son nouveau livre (*), il analyse les causes de sa mort prochaine et donne des pistes pour l'avenir.
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Vous annonciez en 2007 la crise du capitalisme américain. Aujourd'hui, le capitalisme serait, selon vous, à l'agonie. À quand l'acte de décès ?

Sa chute est désormais certaine car il est entré dans une dynamique d'implosion que seules pourraient enrayer des mesures dont il est clair maintenant que nos dirigeants ne les prendront pas, et tout retard supplémentaire rend un redressement éventuel plus difficile. Le répit de la Bourse ne doit pas faire illusion. Les déséquilibres sont toujours là. Et la crise financière a ruiné les États. Ils n'ont plus les moyens de financer une protection sociale qui permettait d'entretenir la croyance que tout le monde pouvait profiter du système. Or, ce système est très dur pour ceux qui ne sont plus protégés. Regardez aux États-Unis : 100.000 personnes défilent dans les rues de l'État du Wisconsin, en majorité des Blancs de la classe moyenne, pour protester contre la suspension des droits syndicaux. Et la Grande-Bretagne ne pourra pas démanteler sa protection sociale sans réaction. Les mouvements de contestation vont se multiplier et accompagner l'effondrement du capitalisme.

La crise actuelle n'est donc pas une crise cyclique dont le capitalisme se relèvera comme toujours ?

Je ne crois pas aux crises cycliques, une théorie très conservatrice qui fait croire qu'il y aura toujours un paradis après l'enfer et qui exclut par principe l'écroulement du système. Les crises ne sont jamais les mêmes. Le monde change avec les crises. C'est un point de vue que je partage avec Marx, qui fut le seul économiste moderne à prévoir la fin du capitalisme. En revanche, nous divergeons sur les causes de sa disparition. Marx l'explique par la baisse tendancielle du taux de profit. Or, les profits n'ont jamais été aussi élevés. La définition extrémiste que nous avons donnée à la propriété privée génère par le mécanisme des intérêts une concentration inéluctable des patrimoines. Pour pallier celle-ci, le crédit croît, et le système s'en trouve toujours davantage fragilisé. L'argent appelle l'argent, les riches prêtent de plus en plus et consacrent leurs excédents à la spéculation alors que les ménages tombent dans une spirale d'endettement. Le jeu prend fin lorsqu'il n'y a plus assez de joueurs.

Est-il encore temps de sauver le système ?

Il y a eu une fenêtre de tir entre 2008 et 2010 pour tenter de sauver le capitalisme, du moins dans un état de fonctionnement comparable à celui où il était auparavant. Mais il aurait fallu pour cela engager un certain nombre de réformes de fond, notamment dans la finance. Mais, après les injections massives de liquidités dans le système, les dirigeants ont finalement prétendu que l'on pouvait le rétablir exactement comme avant, mais sans le bouclier social. C'est une erreur d'une grande naïveté, qui devrait accélérer sa chute. Car la situation est encore pire qu'elle ne l'était avant la crise en termes de concentration de richesses et de puissance de la finance. Contrairement aux années 1930, où il y a eu une redistribution de l'argent, toutes les mesures prises depuis 2007 ont toujours protégé ceux qui avaient de l'argent, les banques et les investisseurs.

Quelles seraient alors les mesures à prendre ?

La priorité doit être d'empêcher la concentration de la richesse. La fiscalité peut aider mais elle ne suffira pas. La question des salaires et du partage de la valeur ajoutée est également centrale. Ce qu'il faut, ce sont des réformes radicales pour changer de trajectoire, notamment dans la finance, qui est à l'origine de beaucoup de problèmes. Interdisons par exemple les paris sur les fluctuations de prix, qui sont à mes yeux, l'un des éléments qui a le plus corrompu le système. Les banques doivent revenir à leur fonction première, l'intermédiation et les activités assurantielles sur des actifs existants, pour soutenir l'économie.

Les gouvernements semblaient avoir pris conscience très tôt de la gravité de la crise. Comment expliquez-vous cet immobilisme ?

Il y a eu une réelle volonté de changer les choses. L'une des explications de cette volte-face est de dire qu'il existe une oligarchie surpuissante qui dirige nos pays et que cette oligarchie n'a pas voulu abandonner une once de pouvoir. Cette explication, la plus couramment avancée, est insuffisante, voire erronée. À mon sens, le véritable responsable de cette inertie est la faillite de la science économique. Elle s'est montrée incapable de fournir une grille d'analyse et une boîte à outils pertinentes. Les politiques se sont tournés de bonne foi vers les économistes mais ils n'ont trouvé que des personnes dont le discours confortait ceux qui avaient précipité le monde dans la crise. La science économique actuelle ne sert qu'à produire une idéologie, celle de l'omniscience des marchés, sur des postulats erronés, avec un vernis de complexité pour faire fuir les curieux. Finalement ? à l'exception de Keynes ensuite ? Marx, dans le prolongement d'Adam Smith et de Ricardo, a été le dernier des économistes capable d'appréhender le système de l'intérieur. Mais en associant à ses analyses un projet révolutionnaire, il a suscité un rejet total de toute l'« économie politique » dont il était le représentant. Il est grand temps de reprendre les choses là où il les avait laissées et de reconstruire une science économique digne de son nom.

Les pays émergents ne sont-ils pas l'avenir du capitalisme ?

Les émergents tentent de faire leur révolution industrielle avec beaucoup de retard. Ils reproduisent les mêmes schémas qu'en Occident et ils produiront les mêmes impasses. Seule la Chine est rétive. Les Chinois ne sont pas convaincus des vertus du capitalisme, ni même d'ailleurs de la démocratie. Ils sont dans l'expérimentation permanente sans avoir de théorie. Toutefois, ils ne peuvent s'extraire de la mondialisation et commencent à souffrir eux aussi des délocalisations.

La critique du système ne nourrit-elle pas le populisme ?

Le populisme se développe quand l'opinion a le sentiment de n'être plus représentée par les institutions. Comment manifester son opposition à ce qui se passe aujourd'hui ? Seuls les sondages expriment le ras-le-bol de l'opinion et ils dégagent souvent de larges majorités sur des questions posées. Mais ces majorités s'éparpillent un peu au hasard dès qu'il faut les traduire en intentions de vote. Il ne reste que des votes protestataires. Sans compter tous ceux qui ne votent plus car ils estiment que cela n'a plus aucun sens. La responsabilité des politiques est énorme : ils proclament la réforme du capitalisme et deux ans plus tard les mêmes disent que ce n'est plus la peine. Et Quand Marine Le Pen grimpe dans les sondages, la seule réponse politique est de changer la loi sur les sondages ! En fait, la politique n'a plus de contenu, et encore moins d'alternative à proposer. C'est aussi une faillite de la démocratie.

Une alternative au capitalisme est-elle réellement envisageable ? 

Oui, on peut toujours briser les tabous, essayer des choses nouvelles. L'exemple de la Révolution française est très intéressant. C'est une période d'expérimentations dans laquelle on n'a pas encore les outils conceptuels pour comprendre ce qui se passe et proposer une alternative. Les révolutionnaires n'ont aucun exemple sur quoi fonder leurs expériences. Mais ils avaient la volonté de tout remettre à plat et ils ont réussi à bâtir un projet politique et un Etat moderne dont Napoléon saura récolter les fruits.

Croyez-vous en un 4 août des PDG du CAC 40 ?

Oui, car les élites commencent à douter.

 

(*) "Le Capitalisme à l'agonie", Fayard, 340 pages, 20 euros.

Commentaires 8
à écrit le 27/03/2011 à 12:14
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M Jorion nous fait du Marx aux petits pieds, il oublie aux passage les caractéristiques du capitalisme de ces trentes dernières années. Elles se retrouvent des deux côtés de l'atlantique. Là où il a raison c'est lorsqu'il parle de la révolution franç...

à écrit le 27/03/2011 à 10:08
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Bonjour Paul, super votre photo j'en veux une aussi pas moyen de la copié collée à partir de cet article...Aussi pouviez vous la faire paraître sur votre blog...Si l'erreur "data base" qui m'empêche actuellement d'aller sur votre blog s'évanouit dans...

à écrit le 22/03/2011 à 9:55
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Comment créer une nouvelle science économique alors que l'économie est par essence un ensemble de données fluctuantes avec en prime un effet émotionnel non négligable (exemple l'irationnalité des bourses) .La relativité en physique existe, la relati...

à écrit le 22/03/2011 à 8:34
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Quand les politiques se déresponsabilise en confiant le pouvoir à "la corbeille", ils agissent comme la fait Sarkozy ses dernières années; à coup de marketing, de com., de "pipolisation", de représentation commerciale à l'étranger,de réformes qui n...

à écrit le 22/03/2011 à 8:32
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Il est temps d'adopter le système de démocratie (semi)directe " à la suisse", le seul vrai démocratique : - possibilité pour le peuple, par une pétition recueillant un nombre minimal relativement faible) de signatures, de faire retirer une loi votée ...

à écrit le 21/03/2011 à 16:18
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Dis Paul, as tu suffisamment d'aura pour lancer quelque chose de crédible ? Ne rien trouver à quoi s'engager après Fukushima n'est pas satisfaisant.

à écrit le 21/03/2011 à 16:12
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Il me semble que vous oubliez l'Homme, l'humain. La gloire, la cupidité, l'égocentrisme, l'égoïsme... le caractérisent souvent. Alors quoi, la "science économique" responsable ? Peut être, mais l'homme en premier non ? Nous sombrons par manque de rép...

à écrit le 21/03/2011 à 15:49
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Effectivement, j'ai toujours voté BLANC et on n'a JAMAIS parlé de moi ni tenu compte de mon vote. C'est promis la prochaine fois on parlera de moi et de mon vote !!!

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