Louis Schweitzer : «La croissance n'est plus spontanée, il faut la stimuler»

De la TPE artisanale à la jeune start-up innovante, Initiative France est le principal réseau d'aide aux créateurs ou repreneurs d'entreprise en France. Près de 18 000 PME ont ainsi été financées en 2011. L'ex P-dg emblématique de Renault, Louis Schweitzer, préside le réseau depuis le printemps. Il a initié, en octobre 2012, une opération de changement interne, visant à délaisser l'ancienne marque (France Initiative), au profit de la nouvelle (Initiative France), prélude à une nouvelle ambition territoriale.
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Comment doit-on interpréter ce changement de nom ?
Ce n'est pas un changement de stratégie, puisque notre champ d'activité reste le même. En réalité, nous avions le souci -d'accroître la lisibilité et la notoriété de notre réseau. Jusqu'à ce jour, nos 230 plates-formes implantées localement fonctionnent bien, mais la synergie qui les unit n'est pas assez connue. Cela me frappe, en particulier, chaque fois que j'évoque Initiative France avec des élus locaux. Ils sont étonnés quand je leur dis que nous finançons 18 000 entreprises et aidons la création de 35 000 emplois en une année. Un nouveau logo est un bon moyen d'améliorer notre visibilité. De même, notre nouvelle dénomination ne repose pas seulement sur l'inversion des termes « France » et « Initiative ». Elle permettra de nous retrouver plus facilement, que ce soit sur internet ou au plan local, où nous accolerons le nom de la région à « Initiative », sur le modèle « Initiative Languedoc-Roussillon », par exemple.

Prévoyez-vous, à terme, de modifier vos règles ou votre périmètre d'intervention ?
Non. Notre premier objectif demeure l'aide à la création d'entreprise. Notre second objectif reste l'aide à la reprise d'entreprise, qui représente un tiers de nos interventions. En matière d'aide aux entreprises innovantes, nous passons en majorité par l'échelon national, car nos plates-formes locales ne sont pas forcément les mieux outillées pour cela. Nous aidons aussi à la croissance de ces entreprises, et nous voulons faire plus sur ce volet. Elles affichent un taux de pérennité de 95 %, ce qui est tout à fait satisfaisant. Mais il faut maintenir notre effort d'accompagnement quand elles sont en phase de première croissance, c'est à dire quand elles créent leurs premiers emplois. Techniquement, certains comités d'agrément le font en région, mais pas tous. Nous devons étendre cette démarche.

Ces objectifs nécessitent-ils une augmentation de vos fonds ?
Je le souhaite. Nous gérons, d'une part, des fonds de prêt. Leur première -ressource réside bien entendu dans le remboursement des prêts accordés, pour lequel nous atteignons un taux de 98 %. Il y a quelques cas où ce mécanisme atteint ses limites, mais ils sont peu nombreux. Nous disposons, d'autre part, de fonds d'accompagnement. Ils servent à financer notre mission auprès des entrepreneurs. Cela constitue, pour Initiative France, une certaine contrainte, car les services que nous offrons sont gratuits, alors que nous gérons 900 salariés au plan national, que nous supportons des frais importants sur le montage des dossiers, le fonctionnement des comités, etc. Les discussions pour accroître ces fonds sont constantes, et nous les menons au plan local. En effet, notre financement, à plus de 50 %, provient des régions.

Votre plan d'action, voté pour la période 2007-2013, prendra fin l'an prochain. Quels seront les grands axes du suivant ?
En tant que mouvement associatif, ce plan doit faire l'objet d'une concertation interne. Notre prochaine assemblée générale, prévue au printemps 2013, devra l'approuver. Je ne vois pas en quoi nos thématiques majeures d'intervention changeraient. Il s'agira toujours de consolider la croissance et de mobiliser les ressources des territoires. À ceci près que, dans la conjoncture actuelle, la croissance de l'activité n'est plus spontanée. Il faut désormais la stimuler.

Vous insistez sur la synergie avec les régions. En Languedoc-Roussillon, votre mission est relayée par Créalia. Comment percevez-vous son action ?
J'en apprendrai davantage à l'occasion de mon déplacement à Montpellier, jeudi 11 octobre*. Avec 533 dossiers traités en 2011, le Languedoc-Roussillon n'est pas la première région en terme de volume. Mais elle a connu une croissance de plus de 25 % au cours des dernières années. Elle est donc sur une dynamique positive. Au-delà, il faut voir qu'Initiative France est une fédération, dont la base de fonctionnement réside dans ces 230 plates-formes. Il est crucial d'avoir un échelon régional. Non pas parce que c'est un échelon hiérarchique, mais parce qu'il permet de se concerter, parfois plus facilement qu'au niveau national. Bien sûr, il y a une diversité de vitalité selon les plates-formes. Nous devons donc aider chacune d'entre elles à développer son activité, sans sacrifier le degré de qualité exigé dans les dossiers que nous traitons.

Au c?ur de votre action, il y a l'octroi de prêts d'honneur. S'agit-il, sur un segment risqué tel que la création d'entreprise, de pallier la défaillance du système bancaire traditionnel ?
Un prêt d'honneur est accordé sans intérêt, sans garantie, directement à la personne qui porte le projet, et non à l'entreprise elle-même. Ces trois critères sont cruciaux. Si nous vous prêtons 10 000 Ä, ils ne pèseront pas sur votre compte d'exploitation. Vous les investirez. Ce sont vos fonds propres. Sur cette base, les banques pourront donc vous prêter. En moyenne, quand nous prêtons un, les banques prêtent huit. L'effet levier généré par ce prêt de 10 000 Ä pourrait alors s'élever à 80 000 Ä. En résumé, notre rôle est de prêter à des créateurs d'entreprise à qui les banques ne prêteraient pas sans nous. De cette façon, nous avons soutenu 16 000 entreprises en 2011, soit 17 750 prêts d'honneur accordés.

La culture d'entreprise est-elle, aujourd'hui, suffisamment défendue en France ?
Nous voyons des créateurs d'entreprise tous les jours. Ils ont l'esprit d'entreprise alors qu'ils n'ont pas, bien souvent, un passé d'entrepreneur. Par ailleurs, quand ils n'ont pas les compétences pour être entrepreneur, nous les aidons à les acquérir. Tous les créateurs bénéficient de conseils formels et informels, de la part des salariés d'une plate-forme. Et une certaine proportion d'entre eux bénéficie d'un parrainage, assuré par un entrepreneur ou un cadre supérieur expérimenté. 2 800 entreprises, créées dans l'année, ont ainsi bénéficié des conseils de 8 500 parrains en 2011. Je veux, désormais, que nous améliorions ce pourcentage.

Un collectif de créateurs de start-up, qui se font appeler les « pigeons », a récemment attaqué le gouvernement, au motif que sa politique fiscale risquait de décourager l'investissement dans les entreprises. Partagez-vous ces craintes ?
Les mesures fiscales annoncées par le gouvernement portent sur des patrimoines bien plus importants que ceux de nos clients. Et j'observe que ces « pigeons », pour la plupart d'entre eux, ne sont pas non plus concernés par ces mesures. Il faut donc rester vigilant. Il existe en France un certain niveau de dépenses publiques, dont il faut répartir la charge de façon équitable. Ce qui ne signifie pas que le gouvernement cible plus spécifiquement les chefs d'entreprise. Le Premier ministre, au mois d'août, a prononcé le discours d'ouverture de l'université d'été du Medef, le plus grand rassemblement d'entrepreneurs en France. C'est un signe positif.

Vous étiez P-dg du groupe Renault de 1992 à 2005. Le secteur automobile français reste-t-il compétitif dans la conjoncture mondiale actuelle ?
Si on le compare à l'Allemagne, la réponse est non. Après les mesures prises par le gouvernement du Chancelier Gerhard Schröder, l'industrie automobile allemande a enregistré des progrès, en quelques années, que nous n'avons pas connus en France. En terme de compétitivité-coût, la France avait l'avantage, mais nous sommes désormais à égalité. En terme de compétitivité-qualité, l'Allemagne était devant nous, mais plus aujourd'hui. En terme d'image de marque des constructeurs, elle a pris une grosse avance. Notre position relative par rapport à l'Allemagne est donc dégradée. Mais la compétitivité du secteur automobile français ne l'est pas autant par rapport à tous les pays.

Propos recueillis par Anthony Rey, à Montpellier, Objectif Languedoc-Roussillon

* : entretien réalisé le 4 octobre 2012.
 

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