Les dates qui ont fait l'économie allemande (1/7) : 1143

La fondation de la cité hanséatique de Lübeck, 1143

En ce milieu du douzième siècle, les côtes brumeuses de la Baltique sont encore largement inconnues des Allemands. L'économie du Saint Empire romain germanique, fondée par Otton 1er voici plus de deux siècles, est encore surtout tournée vers l'ouest et le sud, ses régions les plus peuplées. La côte du nord-est est une zone hostile, dangereuse, occupée par des peuplades slaves très remuantes. En 1143, le comte Adolf II de Holstein-Schauenburg entend rendre ces terres, voisines des siennes, chrétiennes et allemandes. Il sait aussi que le commerce de la Baltique, dominé alors par les Scandinaves, est juteux. Il crée donc un port allemand sur cette mer. Une fenêtre vers de nouveaux marchés. Son choix se porte sur une presqu'île au milieu du fleuve Trave, tout près de son embouchure. Proche de la mer, le site est facile à défendre et c'est un lieu idéal pour construire et lancer une flotte. Cinq ans plus tôt, une ville slave, Liubice, a été détruite près de cet emplacement au cours d'une guerre entre tribus. Adolf II reprend ce nom, le germanise en Lübeck, et le peuple de colons de Westphalie. La ville qui naît dépassera les espoirs de son fondateur. Elle deviendra une des premières puissances économique du moyen-âge et le précurseur de cette tendance bien allemande au commerce international.

Débuts fulgurants

Les débuts de la ville sont fulgurants, malgré un incendie qui la détruit entièrement en 1157. Les marchands de la nouvelle ville sont très actifs et s\'enrichissent rapidement. L'Empereur Henri III « le Lion » reconnaît l'intérêt économique et stratégique de Lübeck. Il lui accorde un statut de ville qui assure la domination des grandes familles commerçantes et, surtout, en 1161, il met fin au conflit entre la ville et les marchands de Visby, sur l'île suédoise de Gotland, qui, alors, dominent le commerce de la Baltique. Par son « privilège d'Artlenburg », il impose la réciprocité de traitement entre les deux puissances économiques. Les marchands de Visby ont libre accès à Lübeck et inversement. Les droits de douanes sont levés pour le commerce entre les deux villes, mais les marchés de l'Hinterland restent protégés. Ce qui est une forme de « traité de libre-échange » est le point de départ de l'aventure de Lübeck et de la Hanse.De Londres à NovgorodLes bourgeois de Lübeck ont désormais accès au marché de Visby qui regorge de toutes les richesses de l'actuelle Russie : peaux, bois, minerais. Ils peuvent aussi vendre aux Scandinaves les richesses de leur Hinterland, à commencer par le sel de Lüneburg, si recherché pour conserver le hareng, et qui devient un des premiers produits d'exportations de la ville. Avec ses bateaux si particuliers et si commode pour le commerce, les Kogge, la Compagnie de ceux qui commerce avec le Gotland (Gotländische Genossenschaft) devient extrêmement riche et utilise ses capitaux pour rechercher d'autres marchés, notamment à l'ouest. Les tissus flamands et anglais sont très courus à l'est. Les marchands de Lübeck en feront commerce et bientôt ils installent leur propre comptoir à Novgorod, le plus grand marché de Russie où l'on trouve aussi des produits de l'Extrême-Orient.Naissance de la HanseUn peu partout dans le nord de l'Allemagne, les marchands des villes commencent à imiter ceux de Lübeck. La constitution politique de Lübeck est adopté par Hambourg, Rostock et la plupart des villes côtières du nord de l'Allemagne. Les Kogge allemandes fleurissent sur toutes les mers et sur tous les fleuves au nord des Alpes. Car le commerce se développe non seulement entre l'est et l'ouest, mais aussi entre le sud et le nord. A Bergen, en Norvège, à Londres ou à Novgorod, les cités marchandes allemandes ont leurs comptoirs qui permettent de gérer leurs stocks. Les villes sont concurrentes, mais elles savent aussi qu'isolées, elles sont trop faibles pour défendre leurs intérêts. En 1241, Lübeck et Hambourg décident donc de s\'allier par un traité de coopération. C'est le début de la Hanse, cette alliance commerciale qui deviendra une puissance politique. Le mouvement s'accélère alors qu'en 1250, le pouvoir impérial allemand s'effondre. Désormais privées la protection impériale, les villes commerçantes sont menacées par les petits pouvoirs féodaux et par les rois étrangers, surtout celui de Danemark. L'alliance se renforce donc et avec elle se renforce encore le pouvoir économique des villes et leur richesse. Parallèlement, le développement de ce commerce permet le développement de sociétés de commerce et d'une ingénierie financière que l'alliance va encore encourager.

La « Reine de la Hanse »

En 1356, Lübeck accueille la première réunion de l'assemblée de la Hanse (Hansetag) où sont représentées 130 villes et pas seulement des villes allemandes : des cités flamandes, frisonnes, norvégiennes, suédoises sont présentes. Le cœur de la Hanse est cependant allemand : Brême, Hambourg, Rostock, Cologne et bien sûr Lübeck. La ville est connue comme la « reine de la Hanse. » Elle affirme sa puissance avec son architecte si riche, sa cathédrale gothique la Marienkirche, et ses fortifications ornées de portes imposantes comme la célèbre Holstentor. Elle est si riche qu'elle obtient le droit de battre monnaie et, cas alors unique en Allemagne, des monnaies d'or. Le florin de Lübeck est la première monnaie d'or d'Allemagne. Mais le mark de Lübeck, monnaie d'usage plus fréquent, est alors déjà la monnaie de référence de l'ensemble du bassin balte et de l'Allemagne.

Une ville qui fait des rois

L'acmé de la puissance de Lübeck et de la Hanse est atteinte en 1370. Neuf plus tôt, le roi danois Valdemar IV a détruit et occupé Visby. Il entend imposer ses conditions au commerce dans la Baltique. Les villes hanséatiques se réunissent alors en alliance militaire, la Confédération de Cologne, et parviennent à vaincre le Danemark. Par la paix de Stralsund, la Hanse obtient même le droit de valider le choix du monarque danois. Elle n'usera jamais de ce droit. A présent que le commerce de la Baltique est libéré, l'essentiel est obtenu.

Concurrences et guerres

L'étoile de la Hanse commence à décliner au milieu du 15ème siècle. De nouveaux concurrents apparaissent, notamment les Hollandais qui s'allient avec les Danois pour prendre des marchés dans la Baltique aux cités allemandes. En 1441, après une guerre de trois ans, la Hanse, divisée, doit reconnaître un traitement égal aux Hollandais sur leur principal marché. Mais le déclin s'amorce réellement à la fin du siècle. En 1494, le prince de Moscovie, Ivan III, s'empare de Novgorod et ferme les comptoirs des villes hanséatiques. Les privilèges de la Hanse en Russie disparaissent, alors même que le point de gravité du commerce mondial évolue avec la découverte de l'Amérique et l'ouverture de la route des Indes. Le long monopole de la Hanse a figé les villes dans une routine néfaste. Elles ne peuvent se lancer à l'assaut des nouveaux marchés. Au début du 17ème siècle, les succès outre-mer des Hollandais leur assurent une puissance commerciale et des capitaux que les villes hanséatiques ne peuvent égaler. Suédois et Russes deviennent des puissances qu'il n'est plus possible de contrer. Quant à l'Allemagne, elle est ravagée par la Guerre de Trente ans (1618-1648). Sa population est réduite d'un tiers, son économie ruinée. La prospérité de l'Hinterland de la Hanse s'effondre. Neuf villes se réunissent encore à Lübeck en 1669 pour le dernier Hansetag. Les villes de la Hanse tombent ensuite dans l'anonymat, à l'exception de Hambourg qui sait profiter de sa fenêtre sur l'Atlantique et de son secteur financier.

Souvenirs et empreintes

Que reste-t-il de la Hanse aujourd'hui ? Une fierté pour les Allemands qui ne manquent jamais une occasion de célébrer cette alliance commerciale. La compagnie nationale a du reste repris le vieux nom médiéval de la Hanse pour devenir la « Hanse aérienne », Lufthansa. Quatre anciennes villes de l'alliance, Hambourg, Brême, Rostock et Lübeck ont adopté, quant à elle, le terme officiel de « villes hanséatiques » et leur signe sur les plaques minéralogiques commencent par le H de « Hansestadt. » Mais au-delà du symbole, cette fierté n'est pas un hasard. Les Allemands savent que les villes de la Hanse ont inauguré deux éléments clés du capitalisme allemand moderne : la primauté du commerce extérieur et la méfiance des entrepreneurs vis-à-vis des grandes structures étatiques et centralisatrices. 

Demain : Le 23 août 1521, la gloire des Fugger (2/7) 

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