Dans son rapport 2009, la Cour des comptes dénonce à nouveau les gabegies de l'Etat

Par latribune.fr  |   |  1867  mots
Présenté ce mercredi, le rapport annuel de la Cour des comptes aligne comme chaque année gabegies et dysfonctionnements de l'Etat. Un catalogue qui va des emprunts hasardeux des collectivités locales à la gestion dispendieuse de l'IGN, en passant par les exonérations de cotisations sociales pour les sportifs les mieux rémunérés.

Présenté par le Premier président de la Cour des comptes, Philippe Seguin, le rapport 2009 de l'institution pointe comme chaque année les gaspillages et dysfonctionnements des politiques publiques et de la gestion des services de l'Etat.

L'envolée de la dette

Crise oblige, le rapport annuel 2009 de la Cour des comptes s'ouvre sur le plan de relance de l'économie adopté par le gouvernement, qui aura, selon l'institution, "un effet total massif et durable sur la dette" publique. Son impact sur le déficit est censé être temporaire, mais cela n'est pas garanti, a-t-elle également averti.

Le déficit public a probablement atteint 3,2% du produit intérieur brut en 2008 et la dette du pays risque de frôler les 85% à l'horizon de 2010, contre 64% fin 2007 et 40% à la fin de 1992, estime la Cour.

Des collectivités locales mal conseillées par leurs banquiers

Le contexte de crise est également l'occasion pour la Cour d'examiner les risques pris sur les marchés financiers par de nombreuses collectivités locales, voire par des sociétés de HLM ou des hôpitaux.

Mal conseillés par leurs banquiers ou victimes d'"informations erronées", ces organismes ont contracté des "emprunts structurés" à taux extrêmement variables, affirme la Cour. "Des produits potentiellement risqués", même si certaines collectivités tirent leur épingle du jeu, dont l'opacité a été révélée par la crise financière et "dont l'utilité pour l'emprunteur est discutable".

Ces emprunts à risques "font peser sur l'évolution de la dette des collectivités de multiples incertitudes", estime la Cour des comptes, même si, relativise-t-elle, la situation financière dans l'ensemble n'est pas préoccupante.

Les autorités de contrôle du secteur financier trop clémentes

Les magistrats de la Cour ont contrôlé depuis juillet 2006 les trois organismes de régulation du secteur financier : la Commission bancaire, l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (Acam) et l'Autorité des marchés financiers (AMF). Leur constat : "les instruments de sanction mis en ?uvre par les trois autorités ne sont adaptés ni en diversité ni en puissance."

La Cour soulève ainsi le nombre peu élevé de sanctions prononcées par la Commission bancaire : 66 entre 2003 et 2008. Elle pointe également des montants de sanction trop peu élevés, malgré un relèvement de leurs plafonds opéré en 2008.

Les magistrats rappellent que les moyens de ces autorités de contrôle sont modestes en France : les trois autorités réunies disposaient fin 2007 d'un peu plus de 1.000 personnes, tandis que les agents de la FSA britannique par exemple sont deux fois plus nombreux.

L'IGN géré de manière "dispendieuse"

Après des années de vaines recommandations, la Cour a décidé d'enfoncer le clou sur la "gestion dispendieuse" de l'Institut géographique national (IGN), illustrée notamment par l'existence d'un point de vente à 15 km du centre de Bordeaux sur un site fermé par une barrière et uniquement accessible en voiture.

Cet établissement de 1.700 agents "ne présente pas de vison cohérente de son avenir", pointe la Cour. Alors que le marché de l'information géographique connaît une "croissance forte", "l'IGN apparaît isolé et peu ouvert aux autres acteurs".

"L'absence de gestion immobilière" de l'institut est également souligné. L'IGN est notamment propriétaire de deux étages d'un immeuble rue La Boétie, à côté des Champs-Elysées, qui "sont inoccupés".

L'institut possède des "directions à effectifs très nombreux au regard de leurs missions" (28 à la direction de la communication), critique encore la Cour, et n'applique pas la règle de remplacement d'un départ à la retraite sur deux. Le ministre de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo, a assuré que cette règle serait appliquée pour 2008, 2009 et 2010.

L'AFITF, une agence " inutile"

L'inutilité de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ne fait pas de doute pour les magistrats de la rue Cambon, qui recommandent sa suppression pure et simple.

Créée en 2004 et présidée par le sénateur UMP de la Meuse, Gérard Longuet, l'AFITF est chargée des investissements de l'Etat dans le secteur routier, ferroviaire, portuaire ou encore les transports en commun. Elle a été privée en grande partie de ses ressources lorsque les sociétés d'autoroutes, dont elles percevaient les dividendes, ont été privatisées. Elle est ainsi devenu "un outil administratif qui voit circuler des crédits qui partent du budget général [de l'Etat] avant d'y retourner", souligne la Cour.

De plus, les douze membres de son conseil d'administration ne jouent "aucun rôle" dans la sélection des investissements qui leur sont proposés. Le conseil accepte les projets "dans la quasi-totalité des cas" et "sans se prononcer sur [leur] opportunité économique", dénonce la Cour des comptes.

Propositions choc sur la formation continue

La Cour des comptes fait des propositions choc sur la formation professionnelle, qui doit être bientôt réformée, envisageant jusqu'à la suppression du Congé individuel de formation (CIF), qui permet tous les ans à 50.000 salariés de réorienter leur carrière.

Le CIF pèche par le nombre "marginal" de bénéficiaires et son caractère "particulièrement onéreux", selon la Cour.  Le CIF mobilise un dixième (12,1%) de l'effort financier total des entreprises pour la formation continue (1,1 milliard d'euros en 2007), poursuit la Cour, qui conclut à la nécessité d'une "réorientation profonde et rapide", notamment pour financer le DIF.

La Cour recommande aussi de restreindre "très fortement" le Droit individuel à la formation (DIF) aux salariés "prioritaires", ceux des petites entreprises, les 50 ans ou plus, ou dépourvus de qualification. Crée en 2004, le DIF, qui ne permet pas de se reconvertir, sert à des formations courtes avec accord de l'employeur. Le principe est de capitaliser 20 heures par an.

Un DIF, qui selon la Cour, est une bombe à retardement : "si tous les salariés du privé capitalisaient leurs heures pour ne les utiliser, comme ils en ont la possibilité, qu'au bout de six ans, la charge potentielle cumulée pour les entreprises atteindrait 77 milliards d'euros".

Un accord entre le patronat et tous les syndicats, conclu le 7 janvier, exclut la suppression du CIF, et stipule, que notamment grâce à ce dispositif, les salariés sans qualification et souhaitant reprendre des études "devraient avoir accès" à une formation qualifiante ou diplômante.

Le réseau de chauffage urbain de Paris : une gestion de 90 ans...

Le réseau de chauffage urbain de la ville de Paris, l'un des plus importants au monde, est régi par une délégation de service public conclue avec la Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU), qui date de...1927 et prendra fin en 2017.

La CPCU, dont la Ville de Paris, autorité délégante, est actionnaire minoritaire, aura ainsi régné sans partage pendant 90 ans sur ce réseau qui fournit 25% de la consommation de chauffage parisienne, sans avoir jamais été remise en concurrence.

Par ailleurs, la CPCU est libre de fixer ses tarifs. Or, selon la Cour des comptes, les clauses tarifaires "doivent garantir la juste rémunération du délégataire, mais elles doivent aussi assurer à l'usager le bénéfice d'une part des gains de productivité réalisés par l'exploitant".

Enfin, la remise en état du réseau risque d'être trop tardive, et elle ne pourra vraisemblablement pas être achevée avant le terme de la délégation de service public, met en garde la Cour des comptes. Les investissements réalisés par la CPCU à partir de 2004 font l'objet d'un contrôle insuffisant par la ville de Paris, estime également la Cour.

Le 1% logement : les mêmes dysfonctionnements qu'il y a trois ans

La Cour revient aussi à la charge sur la gestion du "1% logement", financé par les employeurs pour loger leurs salariés et géré paritairement par syndicats et patronat, constatant que les dysfonctionnements pointés il y a trois ans sont toujours d'actualité.

Toutefois les magistrats reconnaissent que la loi sur le logement de Christine Boutin instituant une réforme de la participation des employeurs au 1%, "contribuera sans doute à une meilleure efficacité du système". Cette loi va obliger le 1% logement à verser à l'Etat 850 millions supplémentaires par an, de 2009 à 2011, pour pouvoir financer l'Agence nationale de rénovation urbaine, l'Agence nationale de l'habitat et la politique de rénovation des quartiers anciens dégradés.

L'Union économique et sociale pour le logement (UESL), qui chapeaute le 1% logement, entend par ailleurs diviser par quatre le nombre d'organismes collecteurs - très critiqué par la Cour des Comptes - pour le réduire à une trentaine, contre 111 actuellement et 203 il y a six ans.

Des cadeaux aux sportifs les mieux rémunérés

Parmi la trentaine de thèmes retenus, le rapport de la Cour se penche sur les cadeaux consentis aux "sportifs professionnels les mieux rémunérés" sous forme d'exonérations de cotisations sociales portant sur une fraction de 30% de leur rémunération brute.

Ces exonérations entrées en vigueur fin 2004 - sous le nom de Droit à l'image collective (DIC) - sont supérieures à elles seules à l'ensemble des crédits alloués au sport amateur.

"Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'Etat contribue [...] à financer le sport professionnel - et notamment le foot - qui ne manque pourtant pas de ressources", a déclaré le Premier président de la Cour, Philippe Séguin, lors d'une conférence de presse. "Nous nous interrogeons - et c'est l'un de nos euphémismes favoris - sur le bien-fondé d'une telle aide", a-t-il ajouté.

Adoption internationale : trop de disparités

La Cour des comptes est très critique envers le dispositif d'adoption internationale en France. En 2006, 27.404 parents français disposaient d'un agrément d'adoption, alors que le nombre d'enfants adoptés est passé sous la barre des 4.000 par an, les trois-quarts effectuées à l'étranger (3.266 en 2008).

62% des adoptions internationales passent par l'Agence française de l'adoption (19%) et les organismes autorisés pour l'adoption (OAA) (42%). De taille souvent réduite, implantés dans un petit nombre de pays, les 42 OAA forment un "ensemble hétérogène". Confrontés à une demande très supérieure à leurs capacités, ces OAA sélectionnent les dossiers selon des critères propres.

La contribution financière demandée aux parents est très variable (de 2.929 à 8.861 euros pour les OAA en Colombie, 3.999 à 6.929 euros en Ethiopie, 3.030 euros au Brésil, 6.849 pour Haïti avec Médecins du Monde). S'ajoute le coût des voyages qui peut faire doubler le montant initial.

"Le défaut de coordination, voire la concurrence entre les OAA" entraîne une "démultiplication" des contacts avec les autorités des pays concernés et "l'éparpillement des interventions", souligne la Cour. Par ailleurs, la situation financière de certaines OAA "paraît fragile". Enfance et Avenir est ainsi déficitaire, et Médecins du Monde tient grâce à ses autres activités.

La réforme engagée par le gouvernement répond en partie à certaines recommandations de la Cour des comptes, qui demande également une réflexion sur les liens entre adoption et action humanitaire.

 

(retrouvez le rapport 2009 de la Cour des Comptes).