EXCLUSIF Claude Bébéar présente ses 21 propositions pour favoriser la diversité

Par Propos recueillis par Catherine Gaudenz  |   |  1250  mots
Président de IMS-Entreprendre pour la Cité, et fondateur du géant français de l'assurance Axa, Claude Bébéar a adressé le 10 mars dernier à Yazid Sabeg, Commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, un rapport comprenant 21 propositions « pour des entreprises à l'image de la France du XXIème siècle ». Avec des propositions décoiffantes. A retrouver au http://www.latribune.fr/static/pdf/BebearItw.pdf.

- Latribune.fr : Vous venez de remettre à Yazid Sabeg 21 propositions « pour des entreprises à l'image de la France du XXIème siècle » A retrouver au https://www.latribune.fr/static/pdf/BebearItw.pdf Pourquoi ?

- Claude Bébéar: Il me paraissait important de dresser le bilan de ce qui a été fait ces cinq dernières années, et d'actualiser ces premières propositions pour pouvoir continuer à progresser. L'idée est de redonner une impulsion à la dynamique engagée en 2004 (avec la charte pour la diversité progressivement signée par toutes les grandes entreprises NDR). Car nous ne sommes pas encore là où nous devrions être. Dans certains métiers, et parmi les cadres, il y a encore trop peu de gens issus des minorités. Ce que vivent ces gens aujourd'hui, c'est ce que vivaient les femmes il y a trente ans: on ne les recrutait que pour des postes subalternes, ou parce qu'il n'y avait pas d'autre possibilité. J'ai moi-même vu des gens demander à changer de service parce qu'ils ne voulaient pas être dirigés par une femme. Je crois que nous devons continuer notre travail de sensibilisation auprès des chefs d'entreprise. Il faut augmenter le vivier de gens issus de la diversité dans les entreprises, afin que l'idée d'être dirigé par quelqu'un que nous jugeons différent se banalise.

- Quels sont les points qui vous paraissent avoir progressé ou au contraire stagné depuis 2004?

- Côté positif, les entreprises ont pris conscience que nous avons en France un problème de diversité et qu'elles ont, pour contribuer à le résoudre, un rôle très important à jouer. Signe de cette prise de conscience: la Charte de la diversité, lancée en 2004, a été signée par 2200 entreprises à ce jour. En région, certaines se regroupent pour échanger leurs bonnes pratiques et passer à l'action, comme par exemple au sein des Clubs E&Q de l'IMS, que j'encourage d'ailleurs à se développer.
Parmi les points qui restent à améliorer, je renouvelle ma proposition de 2004 concernant une campagne nationale d'information sur les stéréotypes et sur les avantages de la diversité, qui n'a pas été suivie d'effet. L'entreprise seule ne peut pas changer les mentalités. Il faut aussi une prise de conscience des élus et de la population dans son ensemble. Je crois beaucoup à la vertu des exemples.

- Parmi vos propositions d'aujourd'hui, vous suggérez que les entreprises rendent compte des pratiques d'objectivation des recrutements dans leur rapport annuel. Quel est aujourd'hui votre position sur le CV anonyme ?

- Le CV anonyme ne concerne que les grandes et moyennes entreprises. C'est un sujet sur lequel la France est à la traîne. Lors de son discours sur la diversité prononcé à l'école Polytechnique en décembre, le président de la République a annoncé une expérimentation. Le gouvernement doit proposer cette année à 100 grandes entreprises de le mettre en place. Avec la sensibilisation des équipes et la formation des managers, le CV anonyme est, en effet, un des moyens de lutter contre les discriminations à l'embauche. De grandes entreprises qui l'utilisent constatent déjà qu'il fonctionne: il leur permet d'embaucher des gens qu'ils n'auraient pas recrutés autrement. Je suis convaincu que la discrimination est ancrée dans la nature humaine. Que ce soit envers les jeunes ou les vieux, les Noirs, les Maghrébins, les handicapés, ou les femmes, les préjugés sont tenaces.

- Faudrait-il selon vous légiférer dans ce domaine ?

- Je ne suis pas favorable au recours à la loi sur ce type de sujet. Elle peut certes faire avancer les choses, comme cela a été le cas pour les personnes handicapées. Mais il faut qu'elle reste limitée dans le temps. Sous peine d'avoir des effets pervers. Le risque, au bout d'un moment, est que les gens se mettent à penser que si telle ou telle catégorie bénéficie d'un quota c'est pour compenser une incompétence.

- Autre grand sujet de débat en matière de diversité: les statistiques. Vous proposez de réaliser, dans les entreprises de plus de 300 salariés, une enquête sur la perception et le ressenti des discriminations auprès des salariés. Qu'entendez-vous par là ?

- Les statistiques fondées sur le patronyme ne me paraissent pas toujours adaptées. Je connais une région de Normandie qui compte de très nombreux Isaac. Ils ne sont plus juifs depuis des siècles. A mon avis, il y a deux questions à poser : vous considérez-vous comme membre d'une minorité ? Et si oui, vous sentez-vous victime de discrimination ? Les entreprises peuvent poser ces questions à leurs salariés dans des questionnaires annuels, qui leur permettront d'évaluer leurs progrès.

- Craignez-vous qu'avec la crise, les entreprises réduisent leurs efforts en matière de diversité ?

- C'est dans la population récemment immigrée que l'on trouve souvent les personnes les moins qualifiés. Ils sont, en période de crise, les premiers sacrifiés. En ce sens, oui, l'impact risque d'être négatif. Certains jeunes issus des quartiers difficiles, qui n'ont jamais vu leurs parents travailler, ne maîtrisent pas les codes de l'entreprise. Ils risquent eux aussi d'être touchés. Pour y pallier, il faut encourager le tutorat et, pour cela le reconnaître officiellement comme une compétence du salarié.

- Quelles sont précisément vos propositions en matière de formation initiale ?

- Nous avons en France un problème fondamental: 150.000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans savoir correctement lire, écrire ou compter. L'Education nationale doit revoir ses méthodes de formation au niveau de l'école primaire. Il faut à mon avis donner plus de pouvoir aux instituteurs et aux directeurs d'école dans les quartiers pour élaborer leur propre projet pédagogique. Un gros travail doit par ailleurs être fait au niveau de l'orientation. La formation en alternance et l'apprentissage sont deux dispositifs qui fonctionnent très bien. Je propose une prime à la taxe d'apprentissage pour les filières d'enseignement supérieur qui font le plus d'efforts en matière d'ouverture sociale.

- Yazid Sabeg doit rendre d'ici quelques semaines ses recommandations pour promouvoir la diversité au président de la République. Lesquelles de vos propositions espérez-vous le voir reprendre ?

- Toutes! Plus sérieusement, Yazid Sabeg va bien sûr faire un tri. Mais je suis certain que nous sommes sur la même longueur d'ondes. Je vous rappelle que c'est avec lui que j'ai lancé la Charte de la diversité en 2004. A mon avis, il y a aujourd'hui deux priorités: l'emploi, et même si ce n'est pas de notre ressort, le logement. Il faut rétablir la mixité dans la population des quartiers.

- Pourquoi le thème de la diversité vous paraît-il si important?

- La France, comme l'Europe, où le taux de natalité est relativement faible, a vocation a accueillir des immigrants. Puisque nous devons les accueillir, autant que cet accueil soit réussi.

- La politique d'immigration du gouvernement vous paraît-elle répondre à cet impératif ?

- Elle me paraît en tout cas guidée par le souci de ne pas accepter les gens dans de mauvaises conditions. Je crois personnellement que nous devons accepter des migrants, et je partage l'idée que nous devons le faire correctement. Autrement dit, les loger et leur donner du travail, et un avenir.