«Un chef d'entreprise ne doit pas avoir honte de son salaire»

Par Propos recueillis par Pierre Kupferman et Fabien Piliu  |   |  1688  mots
Alors qu'il lance une grande consultation auprès de ses adhérents, le patron des petits patrons prône la modestie salariale.

Selon l?Insee, la chute de la production industrielle a fortement ralenti en février. Vos adhérents perçoivent-ils également des signes conjoncturels encourageants ?

Ces chiffres encourageants me font plaisir, comme à tous les chefs d?entreprises, mais il est bien trop tôt pour dire si oui ou non il s?agit des prémisses d?une sortie de crise. Nos adhérents, qui sont pour l?essentiel des sous-traitants, continuent à souffrir. La baisse de l?activité, notamment dans le secteur automobile, reste forte.

Pensez-vous tout de même que le plus gros de la crise soit derrière nous ?

On est vraiment au creux de la vague. Mais je ne pense pas pour autant que la reprise soit pour tout de suite. On va continuer à vivre des hauts et des bas, de timides reprises alternant avec des rechutes importantes, pendant trois, quatre, peut-être même cinq ans.

Pensez vous que le gouvernement ait pris à temps la mesure de cette crise économique ?

Tout à fait. Le gouvernement français a été l?un des premiers à réagir, cet automne, bien avant ses homologues européens ou américains. Les mesures destinées à sauver le système financier ont été décidées dès le mois de septembre. On était même étonné à l?époque de cet empressement. Puis il y eu le plan PME mis en place pour amortir les effets néfastes de la crise. Sur ce dernier point, on peut juste regretter que les banques aient mis deux à trois mois pour appliquer les consignes gouvernementales qui visaient à faciliter l?accès des entreprises au crédit à court terme. Ce flottement a coûté cher aux plus vulnérables des PME. L?argent n?est pas devenu facile, mais la garantie Oseo pour trouver des crédits à court terme permet désormais aux entreprises de ne plus être handicapées par des problèmes de trésorerie. En revanche pour le financement des investissements, les banquiers nous disent qu?ils sont prêts à accorder des crédits à long terme, mais ce sont les projets qui manquent. C'est à cette forme d'autocensure des PME qu'il faut maintenant apporter des réponses.

Malgré l?action du médiateur du crédit René Ricol et les dispositifs de l?Etat qui allègent les contraintes financières des entreprises, certaines PME se plaignent encore d?être «lâchées» par leur assureur-crédit. Que faire ?

Je réclame plus de transparence sur ce sujet difficile. Trop d?entreprises ignorent qu?elles peuvent ne plus être couvertes par leur assurance-crédit. Il faut les informer. Il faut également être sûr que les assureurs crédits ne «lâchent» pas des secteurs entiers de l?économie sous prétexte qu?en leur sein certaines entreprises connaissent des difficultés.

Dans ce contexte, et à l?occasion de Planète PME que vous organisez le 16 juin prochain, vous lancez une grande consultation auprès de vos adhérents. Qu?en attendez-vous ?

Avec le concours de nos unions territoriales, nous souhaitons faire un point sur les difficultés actuelles des PME, sur leurs interrogations, leurs interpellations. A travers les sondages, nous ne disposons que de vagues ressentis. Nous voulons engager une véritable enquête de terrain et obtenir des résultats précis avant de faire remonter ces informations au gouvernement. Nous ne voulons pas nous contenter d?un ressenti un peu flou sur le niveau de confiance des dirigeants. Nous voulons des informations fiables, des questions précises. Bref, nous souhaitons disposer d?arguments puissants dont le gouvernement devra tenir compte lorsqu?il sera amené à prendre de nouvelles mesures pour assurer le développement, voire la survie, des PME.

Combien de réponses attendez-vous ?

Plusieurs milliers. Disons quatre à cinq mille. Nous nous donnons un mois pour en recueillir le plus possible.

Vous avez réagi vivement après les cas de séquestration de dirigeants d?entreprises, déclarant qu?on ne pouvait pas négocier avec le pistolet sur la tempe. Pourtant les Français, eux, ne condamnent pas ce type d?action.

Je l?ai récemment expliqué au Président de la République: si l?Etat ne met pas rapidement le holà, un drame arrivera. On ne règle pas les problèmes de cette façon.. Comme nous sommes dans un état de droit, j?invite les patrons maltraités ou simplement menacés à porter plainte.

Deux Français sur trois sont contre...

Et que se passera-t-il le jour où un salarié s?énervera, sortira un couteau et blessera ou tuera quelqu?un ?

Faut-il faire intervenir la police en cas de séquestration ?

Je veux que l?Etat soit clair avec ceux qui recourent à ces actions: elles sont illégales. Une négociation ne peut se mener qu?en respectant les règles de la République. A nouveau, et particulièrement dans le contexte économique actuel, je réclame encore et toujours plus de transparence, plus de dialogue, plus de communication entre les dirigeants, les salariés et leurs représentants. C?est la meilleure, et la seule manière, de favoriser le développement d?une entreprise, ou d?assurer sa survie dans la tempête. On le voit bien dans les PME: quand la transparence est là, les salariés acceptent plus facilement de faire des sacrifices et en tout cas, il n?y a pas de recours à la violence.

Y compris la transparence sur la rémunération du dirigeant ?

Il faut qu?un chef d?entreprise n?ait pas honte de son salaire. S'il n?ose pas le dire, c?est qu?il pense lui-même qu?il gagne trop. Gagner de l'argent n'est pas déshonorant lorsque l'on sait pourquoi et que l'entreprise progresse. Lorsqu'elle est en difficulté, c'est beaucoup plus difficile à justifier.

Considérez-vous que les différences entre les rémunérations des salariés et celles des grands patrons ont atteint un niveau inacceptable ?

Dans certaines grandes entreprises, il y a trop de différences entre le salaire de ceux qui sont en bas de l?échelle et celui de leurs dirigeants dont les risques sont, somme toute, relativement limités. Qu?un patron gagne beaucoup d?argent parce qu?il en fait gagner beaucoup à l?entreprise, ce n?est pas un problème dès lors qu?il ne s?agit pas d?un salaire. Pour cela, il y a une méthode simple et sage: l?intéressement. Bien sûr, ils travaillent 60, voire 70 heures par semaine, mais c?est aussi parce que le job les passionne. Qu?ils gagnent plus, cela ne me gène pas du tout, mais pas mille fois?

Vous êtes pour l?instauration d?un salaire maximal ?

Cela a été instauré par décret dans les entreprises qui ont été aidées par l?Etat. Mais je ne crois qu?il faille de façon définitive créer des limites: on risque de voir des grandes entreprises installer leur siège ailleurs qu?en France. Il est plus efficace d?imposer la transparence totale.

C?est le cas pour les entreprises cotées et pourtant?

Justement, ce que l?on observe ces derniers mois devrait conduire les actionnaires, les membres des conseils d?administration, des comités de rémunération à faire attention à leurs décisions. Ils savent que s?ils cherchent toujours à satisfaire les désirs de leur président, ils vont se faire «tacler». Cela devrait les inciter à faire leur travail plus correctement. Il y a sans doute lieu aussi de se pencher sur la composition de ces comités de rémunération ?

Et les stocks options ?

Tant que cela permet à des entreprises en devenir d?embaucher des jeunes dynamiques, j?y suis favorable. Mais je ne suis pas sûr qu?il faille les maintenir dans le temps. Est-ce que cela a du sens de les garder pendant dix ou quinze ans ? Cela mérite réflexion. En tout cas, ce qui est sûr, c?est qu?il faut supprimer les golden parachutes. C?est facile  il suffit d?aligner les conditions dans lesquelles une entreprise peut se séparer d?un dirigeant avec les règles prévues pour les cadres par les conventions collectives de sa branche.

Vous discutez de tout cela avec le Medef ?

Non. Mais on est globalement d?accord. La seule différence, c?est que je n?ai pas d?adhérents qui soient directement concernés par ces excès. Je vous rappelle qu'en moyenne, un dirigeant de PME gagne 4.000 euros par mois ?.

Les vôtres sont-ils un peu choqués par le niveau des rémunérations des grands patrons ou les goldens parachutes ?

Ils ne sont pas un peu, mais totalement choqués. Et moi le premier. J?espère franchement que la crise va amener les responsables des grandes entreprises à changer. Au-delà de l'éthique c'est même une question de bon sens.

Mais comment en est-on arrivé là ?

Il arrive un moment où on n?est plus en phase avec la réalité. Les seuls éléments qui permettent à ce petit groupe d?hommes et de femmes de se jauger, c?est ce que gagnent leurs homologues ici ou ailleurs.

Le gouvernement veut faire de l?emploi des jeunes une de ses priorités pour 2009. Allez-vous l?aider ?

L?enjeu est important. Trop de jeunes continuent à être orientés vers des secteurs sans débouchés. Il faut leur donner les moyens de choisir en connaissance de cause. La publication d?un observatoire annuel des métiers où la demande est forte y contribuerait. Mais pour attirer des jeunes vers les métiers manuels, on n?évitera pas de mettre à plat la question des salaires. Je suggère notamment que pour un certain nombre de ces métiers, on puisse baisser les charges et que l?économie réalisée soit automatiquement réaffectée aux salaires. Pourquoi ne pas obtenir du jeune pris en apprentissage dans une PME l'engagement de rester à l'issue de cette formation, pour une durée au moins équivalente?