Olivier Mongin : "on croyait le monde illimité : c'est une illusion"

Par Propos recueillis par Valérie Segond  |   |  926  mots
Dans notre série d'été Visions de l'après-crise, "La Tribune" a interrogé Olivier Mongin, directeur de la revue "Esprit ". Cet essayiste, historien et philosophe de formation explique que l'avenir se joue autant au niveau de la métropole qu'à celui de la coordination mondiale.

"Le monde ne sera plus jamais comme avant" a dit Nicolas Sarkozy. Partagez vous ce pronostic ?

La crise n'a pas tant été un déclencheur de changements à venir qu'un révélateur de mutations structurelles profondes déjà anciennes. Comme les événements de 1989 ou de 2001, la crise de 2008 a cristallisé les importantes transformations qui sont à l'origine de la violence du choc que le monde connaît. Parmi celles-ci, il y a celles qui étaient déjà à l'?uvre lors de la crise des années trente, en particulier l'autorégulation par le marché, qui s'est avérée un leurre. Ou encore l'explosion du crédit aux ménages venue compenser la faiblesse des gains salariaux qui n'ont pas suivi les gains de productivité. Dans notre système économique, le crédit à destination d'une population peu solvable a remplacé les hausses de salaires. Et puis, il y a les phénomènes propres à cette crise. D'abord, le nouveau régime de croissance du post-fordisme où la concurrence entre salariés se joue à l'échelle de la planète, pesant d'autant plus sur leur évolution. Et surtout l'interdépendance généralisée des acteurs et des économies. Il existe une fluidité inédite des décisions qui amplifie à l'extrême les mouvements de l'économie, et partant ses déséquilibres et ses ajustements.

Où donc classez vous la crise écologique ?

C'est en effet un phénomène très particulier, car c'est une crise de rareté dans un monde de surabondance de liquidités. Et à ce titre, la crise est tout à fait singulière. D'un côté, l'économie numérique portée par les nouvelles technologies a créé l'illusion d'un monde illimité, où tout devient possible. De même, la finance a démultiplié les possibles en titrisant les nouveaux crédits. Dès lors, pourquoi attacher de l'importance à la solvabilité de ses clients si l'on cède immédiatement les crédits que l'on vient de leur accorder ? En clair, le numérique comme la finance ont brouillé notre rapport au réel : sans le faire disparaître, ils l'ont dévalorisé. De l'autre, la raréfaction des énergies fossiles comme des matières premières agricoles et minières est venue nous rappeler brutalement que le monde est fini, car les ressources terrestres sont limitées. Le caractère illimité du monde virtuel comme du monde financier n'est donc qu'une illusion, nous dit la crise. C'est une prise de conscience fondamentale : le choc vient de cette confrontation qui surgit avec la violence d'un boomerang.

Les appels à une régulation mondiale vous paraissent-ils être à la hauteur de ce choc ?

Je ne suis pas certain que la réforme de la gouvernance par la régulation mondiale soit la réponse appropriée à la crise protéiforme que nous connaissons. Cette réponse "par le haut" ne me paraît pas suffisante pour répondre aux besoins de réarticuler les flux mondiaux et les fondamentaux territoriaux que l'on sent poindre partout. Il me semble plutôt qu'en recréant des territoires significatifs, dotés d'une régulation économique à bonne échelle et répondant aux besoins locaux, on parviendra bien mieux à résoudre le double défi écologique et économique qu'en imposant seulement des réponses nationales ou internationales. On voit bien qu'en France avec le Grand Paris, comme ailleurs, la conception des nouvelles métropoles est devenue centrale dans les stratégies de développement et de rééquilibrage des économies. Alors que chacun se trouve aujourd'hui physiquement confronté au retour du réel, la crise, dans toutes ses dimensions, est bel et bien l'occasion de repenser le fonctionnement des territoires.

Dès lors, le mouvement de globalisation par propagation du modus operandi et des valeurs américaines comme des valeurs européennes, pourrait-il s'en trouver interrompu ? Va-t-on assister à un nouveau mouvement de fragmentation du monde, défaisant le travail de la mondialisation ?

Il est clair que la reterritorialisation des politiques, et l'émancipation des nouvelles puissances vis-à-vis de l'histoire des vieux pays, pourraient contribuer à décentrer le monde. Qui aspire encore à accéder à l'histoire des vieilles puissances ? Mais quelles que soient les nouvelles cultures qui émergeront, la question anthropologique me paraît désormais centrale, et se pose partout : qu'est-ce qu'habiter un monde où l'urbanisation est galopante, où les ressources sont limitées et où le fonctionnement local doit s'articuler aux mouvement continu des flux globaux ? C'est la question à laquelle tous les responsables politiques vont devoir répondre. Car c'est une attente forte des citoyens, comme l'ont révélé les élections européennes de juin 2009 qui ont mis en lumière leur forte inquiétude écologique, et leur besoin de sécurité pour l'avenir. Les citoyens ne sont pas seulement demandeurs d'un discours global sur la crise, mais aussi d'une réponse qui soit adaptée à leur situation locale. A mon sens, le monde d'après se dessinera bien davantage au niveau des métropoles, et non seulement au niveau du monde ou même seulement des Etats.
 

Bio express :  cet essayiste de 58 ans, historien et philosophe de formation, dirige la revue "Esprit" depuis plus de vingt ans, un espace intellectuel de référence qui pense notre monde en fonction des événements qui troublent son ordre. Auteur de plusieurs ouvrages sur les passions démocratiques, il est aussi un penseur actif de l'urbanisme. Son dernier ouvrage : "Sarkozy, corps et âme d'un président", chez Perrin.
 

Demain, suite de notre série avec l'interview de Thierry de Montbrial