Michel Aglietta : "l'épargne collective va être garantie par la puissance publique"

Chaque jour, cet été, nous interrogeons un grand témoin de l'actualité sur sa vision de l'après-crise. Aujourd'hui, l'économiste, Michel Aglietta doute de la capacité des politiques à mener les réformes pour réguler la finance et mise sur un nouveau contre-pouvoir, celui des investisseurs de long terme.

Le monde va-t-il changer après cette crise ?

Avant de guérir, il faut comprendre les racines du mal. C'est une crise profonde, liée à un régime de croissance déséquilibrée dont la dynamique repose, depuis les années 80, sur la dette. La finance a pris un rôle déterminant dans les entreprises, incitées à s'endetter pour maximiser les taux de profit. Les salariés et les Etats ont également été contraints de recourir au crédit pour compenser leur perte d'influence et maintenir à flot un modèle de consommation ou de régulation sociale. Et les pays émergents, anciens débiteurs, ont changé leur modèle de croissance vers les exportations, concentrant ainsi l'essentiel de la dette sur les pays occidentaux, surtout aux Etats-Unis. Toutes ces transformations n'auraient pas été possibles sans l'innovation financière qui a industrialisé l'univers de la dette et transféré les risques aux marchés. D'où l'essor incroyable de la surface financière permettant de distribuer du crédit. Ce mouvement a été encouragé par les régulateurs persuadés que les marchés seraient toujours capables de trouver de la liquidité. Cela s'est traduit par la prise de pouvoir de la banque d'affaires sur la banque commerciale, la transformation du crédit en un outil de spéculation et une solvabilité du système qui a reposé sur la hausse du prix des actifs plutôt que sur les capîtaux propres et les revenus des emprunteurs déterminant leur capacité à honorer leurs dettes. C'est dans la remise en cause de tous ces éléments que résulte le caractère systémique de la crise actuelle.

L'industrie financière a-t-elle, selon vous, tirée les leçons de la crise ?

Je ne le pense pas. Les banquiers de Wall Street estiment toujours qu'ils pourront travailler « comme avant ». Et paradoxalement, avec encore plus de pouvoir car les Etats-Unis et le Royaume Uni ont favorisé la concentration du secteur. Les responsables politiques n'ont pas saisi l'opportunité de cette crise pour restructurer en profondeur le système bancaire, changer les réglementations, inventer une nouvelle organisation de la finance qui soit au service de l'économie et non d'elle-même, comme Franklin Roosevelt avait su le faire dans les années 1930 ou le gouvernement suédois en 1992.

Pourtant le G20 a clairement appelé à une nouvelle régulation du système bancaire. Est-ce, à vos yeux, un simple v?u pieux ?

Il faudrait pour le moins exiger des banques beaucoup plus de fonds propres et revenir sur certains principes prudentiels de Bâle 2. Un de ses principes considère que la solvabilité de chaque banque, prise individuellement, suffit à sécuriser l'ensemble système parce que le risque était postulé exogène. La crise a démontré au contraire que le risque endogène, dû aux relations de contrepartie entre les banques est celui qui assèche la liquidité. Sur ce point, il faut reconnaître que des avancées notables dans les intentions ont été réalisées par le G 20 Il est affirmé qu'il faut mettre en place une régulation macro prudentielle sous la responsabilité des banques centrales pour maîtriser l'expansion du crédit lorsque l'euphorie s'empare des marchés financiers. Cette régulation sous la forme d'une exigence de capital contra cyclique doit être élargie à tous les acteurs qui se comportent comme des banques. C'est clairement un objectif de stabilité financière qui sera confiée aux banques centrales en sus de la stabilité des prix. La piste est intéressante mais malheureusement pas suffisante.


Que faut-il faire de plus ?

Il ne faut plus permettre aux banques de déterminer elles-mêmes le niveau de capital requis pour leurs activités. La crise a révélé l'insuffisance, pour ne pas dire plus, de leurs modèles de contrôle interne des risques de crédit appliqués aux produits de la titrisation. Ces modèles sont surtout impuissants à traiter le risque endogène. Il faut donc soumettre les banques à des stress test simultanés, sous le contrôle des superviseurs bancaires, et les contraindre, le cas échéant, à augmenter leurs fonds propres comme prix de l'assurance contre le risque systémique que leur octroie le prêteur en dernier ressort. Vu l'ampleur des pertes que l'on a pu constater, il faudrait au moins doubler le niveau de capital actuellement requis par les règles de Bâle 2. Ce n'est pas gagné car les banques souhaitent traiter leur bilan de manière opaque. Une volonté politique existe, mais sera-t-elle suffisante face au pouvoir des banques ? C'est tout l'enjeu des débats aujourd'hui aux Etats-Unis et dont le Congrès est la principale caisse de résonance.

Doit-on revenir à une finance administrée ?

Non, ce n'est plus possible parce que le financement des retraites requiert une épargne de long terme qui ne peut s'investir que dans les marchés de capitaux. Il est scandaleux, voire absurde de prétendre que les individus puissent gérer les risques de leurs cycles de vie. Les risques de l'investissement long doivent être mutualisés par des investisseurs institutionnels. Les fonds de pension privés sans garantie de revenu et les fonds communs de placement ont échoué dans cette tâche dans la mesure où ils sont les otages passifs des intermédiaires de marché (banques d'affaires, agences de notation et hedge funds). En tant qu'apporteurs de capitaux, il leur revient d'exercer un contre pouvoir pour faire prévaloir les intérêts du long terme sur ceux de la spéculation. Pour ce faire, ils doivent se doter de l'expertise nécessaire pour évaluer eux-mêmes les risques des produits financiers qu'ils achètent et pouir imposer une gouvernance stricte à leurs mandataires délégués. Les fonds publics ou quasi publics sont les mieux armés pour assumer cette mission. Il faut donc s'attendre à un développement des fonds d'investissement d'Etat ou plus ou moins garantis par l'Etat .

Est-ce l'amorce d'un nouveau Big Bang de la finance ?

Il va se produire ce qui s'est déjà passé dans la banque après la seconde guerre mondiale : tous les salaires ont alors été payé en monnaie bancaire, ce qui a contraint les Etats à imaginer des systèmes de garantie des dépôts. Le système de paiement est alors devenu un lien social. De même, je suis persuadé qu'un des grands changements de la finance sera la reconnaissance que l'épargne collective relève également du lien social et qu'elle doit être garantie par la puissance publique, même lorsqu'elle reste gérée de façon privée. Ceci devrait profondément bouleverser les rapports de force dans la finance et amener peut être la prise en compte de nouvelles normes de long terme dans les choix financiers. Imaginez alors la force de frappe d'une épargne de long terme, estimée à quelques 30.000 milliards de dollars aujourd'hui, faisant jouer les forces de stabilisation propres aux effets de retour vers la moyenne qui sont caractéristiques du long terme. Les investisseurs institutionnels deviendraient les acteurs prépondérants d'une nouvelle régulation financière.

 

Bio express : Michel Aglietta est économiste au Cepii et professeur à l'université Paris X. Il est un des fondateurs de l'école de la régulation en France et il est connu pour ses travaux sur le fonctionnement des marchés financiers. Dans de nombreux ouvrages, il a ainsi souligné les failles et les dérives du système financier. Dernier livre paru : "Crise et rénovation de la finance" (Odile Jacob).

Demain, suite de notre série avec l'interview de Nathalie Kosciusko-Morizet

Commentaires 5
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'épargne garantie par la puissance publique mais gérée par le privé !!! Prise au pied de la lettre l'idée est explosive et bien trop dangereuse. Pour qu'elle soit réaliste il faut imposé bien des contraintes au privé. La conséquence serait que le pr...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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" Il faudrait pour le moins exiger des banques beaucoup plus de fonds propres et revenir sur certains principes prudentiels de Bâle 2..." il faudrait au moins doubler le niveau de capital actuellement requis par les règles de Bâle 2 " dites-vous enc...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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"Il est scandaleux, voire absurde de prétendre que les individus puissent gérer les risques de leurs cycles de vie. " Je trouve cette affirmation un peu excessive. Je peux comprendre qu'elle participe comme argument dans la démonstration macroéconomi...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Point d'étape de la série des réflexions de nos économistes qui se sont exprimés sur le thème de la crise, dans les colonnes du quotidien La tribune, au 25 Aout 2009 : Synthèse proposée de vos analyses et commentaires : 1) LES SYMPTÔMES DE LA C...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Chère Coralie, Il est 16h30, aujourd'hui 25 août. Je constate que La Tribune pas encore publié la synthèse que je me suis efforcé de faire ce matin à partir des contributions de ses nombreux invités comme vous en aviez manifesté le désir. Pourtant j...

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