"Il faut faire passer l'homme avant le fric ! "

Gérard Mulliez, fondateur du groupe Auchan, était l'invité du World Forum de Lille qui se tient sur le thème de l'argent responsable. Il nous a accordé l'une de ses rares interviews.

La Tribune - Vos interventions publiques sont très rares, pourquoi avez-vous accepté de participer au World Forum Lille ?

 

Gérard Mulliez - La première raison est que Philippe Vasseur, le fondateur et l'animateur du Forum me l'a demandé avec insistance. La seconde raison est que je veux combattre la méfiance qui existe vis à vis des entreprises familiales. Il est bon de montrer que pendant 50 ans, on applique la même loi de la réussite et que ça marche. Je voudrais que d'autres suivent notre exemple.

 

- Le comportement responsable des entreprises peut-il permettre de combler le fossé qui s'est creusé avec la crise entre le public et les entreprises ?

 

- En général, les entreprises ont un comportement responsable. Ne croyez pas qu'une entreprise se sépare de gaîté de c?ur d'un salarié par exemple. Mais il est certain que plus il y a d'écart de connaissance ou de distance, entre les actionnaires et ceux qui font le travail, plus il y a de risques de dérive. Le patron qui fait le tour de son usine tous les jours n'a pas ce problème de méconnaissance. Alors que celui qui est en haut de sa tour à New-York...D'un autre côté, le manque de formation à l'économie de beaucoup de gens est aussi en cause. Combien confondent le chiffre d'affaires avec le bénéfice par exemple. Tout le monde devrait terminer sa scolarité avec une éducation économique minimum et la connaissance de notions de base comme le bénéfice avant impôt, le compte d'exploitation, l'amortissement, etc.

 

- La crise a tout de même révélé des excès, comment y remédier ?

- Il faut faire passer l'homme avant le fric. Un certain nombre d'abus ont été commis car on a fait passer le fric avant l'homme. Je prône le retour à une certaine éthique et à une éthique certaine. Je constate que l'encyclique du Pape est parfaitement adaptée à cette situation car elle dit que l'argent n'est pas un but en soi.

 

- C'est donc une sorte de morale économique que vous voulez rétablir, y compris dans le secteur bancaire ?

- Un banquier qui prête de l'argent à une entreprise lui apporte un grand service. Le métier de banquier c'est celui là. Le banquier qui joue avec l'argent en faisant de la spéculation sort de son métier, même s'il le fait au nom de ses clients. Ceci dit, on est tous co-responsable de ce qui s'est passé en demandant aux entreprises une croissance démesurée de leur valeur. Il est très difficile pour une grande entreprise d'avoir un taux de croissance annuelle de 10%, en rythme normal la croissance pour une entreprise s'établit plutôt à 6 ou 7%.

 

- Les exigences en terme de rentabilité pour les entreprises cotées étaient plutôt de 15%, voire plus, avant la crise, cela vous semble déraisonnable d'y revenir ?

 

- C'est impossible d'avoir 15% ou 20% de rentabilité de manière durable. 15% par an signifie que vous doublez la taille de l'entreprise en 5 ans, c'est de la folie ! On ne peut le faire que lorsque l'entreprise est petite et encore, sur une courte période. Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre.

 

- On a beaucoup dit que certaines rémunérations de dirigeants et des traders étaient « pousse-au-crime » en la matière, qu'en pensez vous ?

 

- Un dirigeant qui est payé 200 fois de plus que le salarié de base est quelqu'un qui n'a pas de bon sens. Il n'y a aucune raison que ce dirigeant soit payé de façon démesurée. Gagner de l'argent sans apporter de valeur ajoutée comme un trader, j'appelle ça du vol. Le gouvernement aurait pu intervenir pour interdire les excès. Dans ma famille,il ya cinquante ans, la rémunération du patron était équivalente à 20 fois le salaire minimum du secteur textile. Nous sommes restés à près dans les mêmes proportion aujourd'hui pour la rémunération des directeurs généraux.

 

- Vous avez aussi une politique d'actionnariat des salariés, est-ce selon vous un complément de rémunération nécessaire ?

- Dès 1976, nous avons mis en place l'actionnariat salarié. A un moment donné les salariés ont détenu 20% du capital d'Auchan, aujourd'hui ils en détiennent 13%. Dans les entreprises de l'association familiales Mulliez, 200 000 sont actionnaires. Notre association compte aussi 500 actionnaires familiaux et nous souhaitons que le plus grand nombre possible d'entre eux travaille dans nos entreprises afin qu'ils restent proches de leurs activités et de l'esprit qui les anime.

 

- Etes vous optimiste quant à la perspective d'une reprise économique prochaine ?

 

- Quand on a touché le fond dela piscine, la seule solution est de donner un coup de pied pour remonter, c'est en train de se produire. J'estime qu'on ne doit parler que des choses qui progressent car c'est une incitation à progresser davantage. C'est d'ailleurs l'esprit du World Forum Lille qui présente des exemples de réussites positives. La famille Mulliez a pour le moment eu des réussites que tout le monde n'a pas eu et ...sans spéculer.

 

- Que faut-il faire dans l'avenir pour éviter une crise comme celle que nous connaissons ?

 

- On devrait mettre les traders sous le boisseau et mettre les gens qui travaillent en vitrine. Soit nous laissons aire les grands prédateurs, soit nous changeons tous nos références sur ce qui est bien et ce qui est mal.

 

 

 

Son opinion sur la grande distribution

 

- Plusieurs grands distributeurs ont récemment été assignés en justice au sujet du contenu des contrats avec leurs fournisseurs, pour quelle raison ?

 

- Quand un ministre dit quelque chose de critique sur l'ensemble de la distribution, il casse le moral de ceux qui travaillent dans ce secteur. C'est grave de dresser les gens les uns contre les autres. Le gouvernement n'est pas content de la rédaction de nos contrats et il nous met au ban de la société. On nous reproche notamment de prévoir dans nos contrats qu'en cas de baisse des prix des matières premières, le fournisseur l'applique dans ses propres prix, de la même manière qu'en sens inverse il applique la hausse. L'Etat n'a pas à intervenir dans l'organisation sinon il n'y a plus de limite et on arrive à la suppression de la liberté du commerce et de la liberté individuelle. On résoudra le problème en mettant les trois acteurs autour d'une table : les agriculteurs, les industriels transformateurs et les distributeurs. Nous avons tous un intérêt commun : améliorer le pouvoir d'achat des clients.

- La loi de modernisation de l'économie visait justement l'amélioration du pouvoir d'achat des consommateurs et du pouvoir de négociation des producteurs. A-t-elle manqué son but ?

 

- L'Etat prend souvent une loi sous la pression d'un lobby, et celui des industriels de l'agro-alimentaire est très fort. La loi LME qui réduit le crédit du client vis-à-vis de son fournisseur a en fait transféré l'argent des entreprises de distribution vers les entreprises de fabrication. Chez Auchan, 20 de nos fournisseurs multinationaux nous apportent 40% des produits. C'est eux qui ont bénéficié de la plus grosse part de la remontée du crédit en provenance des distributeurs. Si cet argent sert à baisser les prix des fournisseurs pour en faire bénéficier le consommateur, c'est bien, mais nous attendons de voir. S'il ne sert qu'à servir de meilleurs dividendes aux fonds de pension qui possèdent ces entreprises, je n'en vois pas l'intérêt pour la France et je me permets de le regretter.

 

- L'Etat n'a -t-il pas un rôle à jouer dans la régulation économique ?

 

La régulation économique dans la distribution existe de fait en France car il y a peu de pays au monde qui ont autant de chaîne concurrentes sur un si petit territoire. Chaque hyper français a autour de lui au moins une centaine de concurrents sérieux dans sa zone de chalandise. Aujourd'hui la concurrence n'a jamais été aussi forte.

Commentaires 8
à écrit le 22/01/2010 à 13:40
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Ecoutez donc ce que disent les caissières d'auchan!!! elles vivent la réalité toute crue et sont loin d'être payé correctement, elle sont dégagées sans ménagement! écoutez l'émission sur France inter maintenant vendredi 22 Janvier 15h38... EDIFIANT!!...

à écrit le 24/11/2009 à 21:03
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Pour modérer l'enthousiasme, faudrait pas oublier que quand on est rentré dans les 100 plus grandes fortunes mondiales en quarante ans en vendant lessive et fromage, c' est bien sur le dos de l'homme que l'on a fait son fric, et que le fric était le ...

à écrit le 20/11/2009 à 13:41
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Ce sont des Hommes comme Mr.MULLIEZ dont nous avons besoin pour nous gouverner et pas la bande de politicards qui est en place, ni même ceux qui voudraient bien les remplacer.

à écrit le 20/11/2009 à 8:57
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Rare d'entendre de tels propos dans la bouche du dirigeant d'un grand groupe; et en plus il a raison; en matière d'écart de salaires entre l'ouvrier et le patron, Ford avait compris qu'il fallait que l'écart ne soit pas excessif pour permettre à ses...

à écrit le 20/11/2009 à 7:38
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Chez M. Mulliez, il semble que la réforme prévue des lycées aille tout à fait dans votre sens (avis que je partage d'ailleurs). L'Homme & l'Entreprise ne sont RIEN l'un sans l'autre... Le respect mutuel s'impose... Et pourtant !...

à écrit le 20/11/2009 à 5:57
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Juste quelques phrases extraites de l'interview que M.Gérard Mulliez a accordée au journal " La Tribune " dont je viens de lire l'édition " papier " parue aujourd'hui, vendredi 20 Novembre : - Un banquier qui prête de l'argent à une entreprise lui ...

à écrit le 20/11/2009 à 2:19
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Cher Monsieur Mulliez, Ces quelques extraits de l'interview que vous avez accordée au quotidien " La Tribune " m'ont convaincu d'aller acheter ce matin l'édition papier de ce journal et ainsi d'avoir la possibilité de prendre connaissance in extenso...

à écrit le 19/11/2009 à 21:31
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« L'entreprise est pour l'homme et non l'homme pour l'entreprise. » « Le capital doit être au service du travail et non le travail au service du capital. » (le Pape Jean-Paul II, encyclique Laborem exercens)

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