Rigueur ou croissance, réforme des retraites : les conseils pour la France de Dominique Strauss-Kahn

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"L'Europe n'est pas seule à être endettée, mais la différence c'est qu'en Europe il n'y pas de croissance. S'il y avait 3% de croissance, on ne parlerait pas tellement du problème de la dette et on n'aurait pas les attaques sur l'euro", a lancé ce jeudi soir sur France 2 le directeur général du FMI (Fonds monétaire international), le français Dominique Strauss-Kahn.

L'Allemagne et la France ne devraient pas se focaliser sur la réduction de leurs déficits budgétaires dans un laps de temps trop court, sous peine de casser la croissance, a déclaré ce jeudi soir Dominique Strauss-Kahn. Interrogé par France 2 à la veille d'une nouvelle réunion des ministres des Finances de l'Euroland, le directeur général du Fonds monétaire international a également estimé que la zone euro avait besoin d'une gouvernance économique forte et d'une politique de croissance pour sortir de la crise actuelle.

S'il ne conteste pas la nécessité pour la Grèce, le Portugal ou l'Espagne de réduire leur endettement, Dominique Strauss-Kahn s'inquiète des velléités d'austérité des grands pays de la zone euro, Allemagne et France en tête. "Il ne faut pas que les gros pays ralentissent trop vite sinon on va casser la croissance", a-t-il déclaré en répétant un avis maintes fois exprimé par le FMI.

"Il n'est pas écrit dans le marbre qu'il faille absolument qu'en 2012 ou 2013 on soit revenu à 3% (de déficit-NDLR)", a-t-il dit en notant que "la situation allemande, française n'a rien de dramatique sauf en termes de croissance". "Plus on a un plan trop ambitieux, impossible à réaliser, moins il est crédible. Il vaut mieux avoir des choses plus crédibles, plus lentes, socialement beaucoup plus supportables", a expliqué l'ex-ministre socialiste."Il faut effectivement réduire les déficits mais ne pas vouloir le faire à marche forcée", a-t-il ajouté.

Dominique Strauss-Kahn a plaidé en faveur d'une plus grande coordination en Europe. "Je ne crois pas que la zone euro soit en risque d'exploser, en revanche le risque c'est qu'elle fonctionne mal", a déclaré le patron du FMI qui, comme ministre français des Finances, avait participé à la création de la monnaie unique à la fin des années 1990.

Insistance sur la croissance

Un comité de travail dirigé par Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, tient vendredi une première réunion consacrée aux moyens de renforcer la gouvernance économique dans l'Union européenne et la zone euro. Pour le directeur général du FMI, la crise actuelle a souligné le problème de la dette, mais plus encore ceux de la croissance et de la crise de confiance dans le politique.

"La maison Europe n'est pas en ordre", a-t-il dit en regrettant qu'il ait fallu "des mois et des mois, arriver au bord du gouffre" pour s'entendre sur le sauvetage de la Grèce. "La solidarité ce n'est pas la charité, les pays de la zone euro sont ensemble et il faut qu'ils soient capables de travailler ensemble, honnêtement on voit bien que ce n'est pas trop le cas", a-t-il déclaré en visant l'Allemagne."La conséquence c'est que tout tire à hue et à dia, le monde entier regarde ça, regarde le fait que cela produit peu de croissance et perd confiance dans l'Europe".

Interrogé sur la croisade de la chancelière allemande Angela Merkel contre la spéculation, il a estimé que les attaques contre l'euro n'auraient pas lieu si l'Europe parlait d'une seule voix et n'était pas à la traîne en matière de croissance. "Il y a des spéculateurs et il faut lutter contre, mais il n'y a pas que des spéculateurs. (...) La spéculation n'est en rien pardonnable mais elle n'est que la traduction qu'en-dessous de tout cela les choses ne vont pas bien", a-t-il dit.

En forçant les Européens à renforcer leur coordination économique, "la crise peut être un mal pour un bien", a ajouté Dominique Strauss-Kahn. Le FMI prévoit une croissance de seulement 1% dans la zone euro cette année, contre 3% aux Etats-Unis où, a-t-il souligné, l'exécutif fédéral a beaucoup plus de poids dans la politique économique. "L'Europe n'est pas seule à être endettée mais la différence c'est qu'en Europe il n'y pas de croissance. S'il y avait 3% de croissance on ne parlerait pas tellement du problème de la dette et on n'aurait pas les attaques sur l'euro", a-t-il affirmé.

Retraite : pas de dogme sur les 60 ans

Par ailleurs sur le projet de Nicolas Sarkozy concernant la réforme des retraites, Dominique Strauss-Kahn a estiméqu'il fallait éviter le dogmatisme, notamment au sujet de l'âge légal de départ à la retraite. Il a évoqué des pistes, l'allongement de la durée de cotisation, l'épargne individuelle ou la baisse du niveau des pensions. "Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne solution mais c'est possible", a fait valoir l'ancien ministre socialiste de l'Economie, qui a pris soin de dire qu'il ne souhaitait pas parler de la situation française en particulier.

Nicolas Sarkozy a fait de la réforme des retraites sa priorité pour 2010. Le gouvernement prépare un projet de loi pour la mi-juin. Le Parti socialiste a présenté cette semaine son contre-projet de réforme des retraites, faisant un axiome du maintien de l'âge de départ à la retraite à 60 ans, repoussant l'allongement de la durée de cotisation à l'après-2025 et instaurant une série de taxes sur les revenus du capital.

Interrogé sur le "dogme" des 60 ans, Dominique Strauss-Kahn a répondu: "Je ne crois pas qu'il faille avoir de dogme". Il a ajouté que, puisque l'espérance de vie augmentait, "il faudra bien d'une manière ou d'une autre ajuster tout ça". "Le monde change très vite (...) On ne peut pas vivre enfermé à Berlin, à Londres, Rome ou Paris sans regarder ce qui se passe en Chine, en Inde, au Brésil, dans le reste du monde (...) Si on a les yeux braqués sur le XXe siècle, sur la rue d'en face, les autres avancent et on se retrouve dans la situation où c'est l'Europe qui finalement apparaît le maillon faible de l'ensemble du système", a-t-il prévenu. A ses yeux, l'âge de départ à la retraite "doit être très différent selon les individus et les professions". "Je me suis battu longtemps sur ces idées de pénibilité, sur le fait qu'on fait des carrières différentes, plus ou moins pénibles et la justice, c'est quand même à l'arrivée que vous puissiez partir plus tôt", a estimé Dominique Strauss-Kahn.