Quand Saclay rimera avec Berkeley

Situé à quelques kilomètres de Paris, le campus de Saclay sera dans dix ans en mesure de rivaliser avec les plus grands centres scientifiques mondiaux d'ici à 2020. C'est du moins l'objectif de l'Etat qui y a investi près de 2 milliards d'euros. Mais la route de l'excellence mondiale est semée de nombreux obstacles...

Tout un symbole. Trois semaines tout juste après la visite du président de la République (notre photo) sur le plateau de Saclay, le ministre de la Défense Hervé Morin a posé ce vendredi la première pierre du futur campus de l'Ecole nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA PArisTech). Un acte fondateur censé concrétiser l'arrivée du "premier établissement d'enseignement supérieur et de recherche".

Le nouveau campus de l'ENSTA sera livré en 2012

"C'est un vieux projet. Nos locaux parisiens sont limités et quand Polytechnique a quitté Paris pour Palaiseau en 1976, nous projetions déjà de créer un pôle sur le plateau mais le coût était trop élevé", explique Yves Demay, le directeur de l'ENSTA. Résultat, le principe du déménagement ne fut acté que... 30 ans plus tard et les bâtiments flambant neufs (32.500 m2 dont 10.400 de logements) ne seront livrés qu'en 2012 (coût : 130 millions d'euros financés par). Pourtant, selon Yves Demay, les avantages de ce mouvement sont nombreux : augmentation de 30 % du nombre d'étudiants (près de 700), intensification de la recherche et accroissement de l'ouverture internationale (22 % d'étudiants étrangers aujourd'hui).

Autres avantages : mutualiser les enseignements entre écoles, resserrer les liens avec les entreprises avec par exemple la création de masters spécialisés, comme cela va être le cas avec Renault, et améliorer la collaboration scientifique. "Nous n'aurons plus aucun laboratoires en propre", prévoit Yves Demay. Certains seront intégrés à l'école des Mines, d'autres partagés, d'autres encore cédés, comme l'activité recherche en télécoms, que va récupérer Télécom ParisTech, qui va aussi "monter" sur le plateau de Saclay.

Des discussions sont en cours avec EDF, qui compte déplacer son centre de recherche de Clamart à Saclay en 2014. "Nous leur cédons nos actifs, c'est une démarche peu courante" concède Yves Demay. Et à faire avaler aux équipes, pour lesquelles un an de préparation aura été nécessaire. Sans compter l'attachement des étudiants aux facilités de transport qu'offre le sud du XVe arrondissement. Mais, comme nombre de ses alter ego, Yves Demay est "viscéralement convaincu que l'enseignement supérieur et la recherche française ne peuvent rester en l'état". "Mais attention à ne pas se noyer dans des calendriers courant au-delà de 10-15 ans !", prévient-il.

Le déménagement de Paris 11 s'étalera de 2014 à 2018

Le cas de l'ENSTA est un bon condensé des tribulations du campus de Saclay depuis... plus de 30 ans (on évoquait déjà d'une cité scientifique dans les années 70). De l'implantation du CNRS en 1946 et de l'X en 1976 (sous l'impulsion de Georges Pompidou) au grand "cluster" international à même de rivaliser avec les champions des classements mondiaux que sont le MIT, Berkeley, Stanford et autres Oxford à l'horizon 2020, la route est longue et semée d'embûches... Les établissements français sont rares dans les top 100. Polytechnique, le mieux classé des établissements de Saclay, pointe par exemple au 36 rang du QS et au 39e du Times Higher Education. L'université Paris Sud 11 a rétrogradé à la 45e place dans celui de Shanghai. Quant à son déménagement, il s'étalera de 2014 à 2018, avec un cadrage financier encore en partie inconnu, indique Guy Couarraze, son président.

Bref, si Saclay bénéficie actuellement d'un coup d'accélérateur indéniable et d'investissements privilégiés (1,8 milliard d'euros sont prévus au titre de l'opération campus et du grand emprunt, sans compter la mise des collectivités locales), ce dernier doit se construire à partir d'un existant très dispersé et les obstacles restent nombreux. Alors qu'au même moment, comme le fait remarquer le général Xavier Michel, directeur général de Polytechnique, "trois Saclay poussent à Shanghai".

Pour Pierre Veltz, nommé le 7 octobre PDG de l'établissement public de Paris-Saclay, chargé de la mise en ?uvre du projet, il faut pour cela "densifier" et mutualiser cet espace de 9 km2. En finir avec cette "mosaïque d'institutions mal coordonnées" stigmatisée fin septembre par le chef de l'Etat. Polytechnique va ainsi partager son immense campus (bien plus grand que ceux de Berkeley et Stanford). Plus question de voir se poursuivre la logique de "lotissement" qui a prévalu jusque là, insiste Pierre Veltz, chaque établissement s'implantant avec ses propres bâtiments même lors de projets communs. C'est à cette condition que Saclay pourra concurrencer les plus grands. "L'innovation est aujourd'hui plus aléatoire et interdisciplinaire. Ce qui marche ailleurs ce sont ces grandes plates-formes industrialo universitaires, ce fameux triangle recherche-université-entreprise que l'on trouve aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, comme à Cambridge", constate Pierre Veltz qui croit à un modèle "bottom up" (du bas vers le haut), porté par les acteurs. "Mais il faut y mettre les conditions car il y a des résistances », convient-il.

Le manque de concertation irrite de nombreux chercheurs

De fait, nombre de chercheurs critiquent un pilotage "à marche forcée", sans concertation et sans que le problème des transports n'ait été réglé. Le Snesup-FSU dénonce "une entreprise de démolition du service public d'enseignement supérieur et de recherche. Patrick Montfort (CNRS), du SNCS-FUS, craint "que personne n'y aille et que l'on aboutisse à l'effet inverse". Certaines grandes écoles telles les Mines ou l'Institut Telecom, souhaiteraient de fait garder un pied dans Paris. "Le projet est certes porté par Nicolas Sarkozy mais il l'est aussi par les scientifiques. Et nous allons veiller à ce qu'ils s'impliquent", indique l'entourage du chef de l'Etat.

Paul Vialle, le président de la Fondation de coopération scientifique (FCS) qui porte le projet scientifique du futur campus, assure de fait que les 23 acteurs du campus "ont beaucoup bougé cette année : les responsables ont parfaitement compris qu'il fallait jouer collectif". Le ministère de l'Enseignement supérieur surveille de près la pertinence des projets communs et leur aptitude à "développer une marque Paris-Saclay". A la FCS, très exigeante sur la "visibilité internationale des programmes", la "convergence" est de mise et les acteurs se sont engagés à structurer leurs activités autour de 12 domaines scientifiques.

Paris Sud 11, CEA et CNRS fusionneront leurs forces

Les rapprochements en matière de nanotechnologies placent Saclay à la première place européenne. L'université Paris Sud 11, le CEA et le CNRS vont fusionner leurs forces pour créer un pôle biologie-santé de premier ordre. L'Institut des hautes études scientifiques (IHES), Paris Sud 11 et Polytechnique vont créer une fondation mathématiques (qui bénéficie dès cette année d'une dotation en capital de 40 millions d'euros) à même de rivaliser avec les compétences de Boston ou de San Francisco en la matière.

Même discours au Commissariat général à l'investissement, chargé de piloter le grand emprunt : pour la partie immobilière de l'opération campus, "tout cela doit se faire de manière cohérente autour de deux pôles (Le Moulon et Polytechnique) dotés d'une vraie vie de campus, d'une réelle synergie, de centres communs et d'une densité comparables aux standard internationaux. "Nous pensons que la densification du campus va nous permettre de créer ensemble une graduate school", projette ainsi Xavier Michel, qui va bénéficier de la proximité immédiate d'une dizaine d'établissements (Thalès, Danone, Horiba, Nanno-Innov, ENSTA, ENSAE, Ecole des Mines, Inria, Institut Télécom, Institut d'optique...).

Et de nouvelles « entreprises nous contactent en ce moment, séduites à l'idée de venir travailler avec nous », se félicite le général. Pour la partie scientifique, le CGI a aussi incité les acteurs à resserrer leurs réponses aux appels à projet. Résultat, ne seront soumis qu'un seul projet d'initiative d'excellence (contre deux prévus au départ), un seul d'Institut de recherche technologique (IRT) ou encore 13 équipements d'excellence (contre 59 prévus). Quant aux laboratoires d'excellence, le travail est en cours.

Saclay concentre les crédits et l'assume

Jean-Lou Chameau, le président du California Institut of Technology (Caltech), dans le top 10 de tous les classements mondiaux, estime que "si la structure du système français ne l'aide pas à monter dans les classements" en raison de programmes trop spécialisés et de la dissociation universités-organismes de recherche, les "réformes en cours vont dans la bonne direction, avec des financements plus compétitifs, comme aux Etats-Unis", estime cet ingénieur installé outre-Atlantique depuis 30 ans. Selon lui, au-delà de la densification de l'espace, la mise en réseau des acteurs joue autant pour la compétitivité. Pour autant que les transports soient à la hauteur. Une nécessité alors que certains établissements comme HEC ou l'Université Versailles Saint-Quentin restent à l'écart des deux pôles phares du plateau.

Autre risque, celui d'une concentration des crédits sur Saclay, critique récurrente de la communauté universitaire et de la région Ile-de-France. Ce risque est totalement assumé : "La répartition de l'argent dans la recherche est compétitive partout dans le monde. Il y aura une concentration et c'est ce que nous voulons explicitement. Aux Etats-Unis, seule une trentaine d'universités font de la recherche de premier plan sur 2.000. Nous essayons de faire la même chose sur Saclay". Mais le patron de l'établissement public de Paris-Saclay nuance : "Saclay est un élément du système universitaire francilien." Selon lui, ce n'est d'ailleurs qu'à l'échelle de l'Ile-de-France que la comparaison, galvaudée, avec la Silicon Valley pourrait éventuellement s'entendre. 

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