Recherche et développement : les régions de France en pointe

Le rapport 2010 de l'Observatoire des sciences et techniques pointe les atouts français qui permettront de résister à la concurrence des émergents.

Le rapport biennal 2010 de l'observatoire des sciences et techniques (OST) publié fin 2010 (avec des données de 2008) met en exergue les évolutions de ces dernières années en matière de recherche et développement (R&D) tant en France, qu'en Europe et dans le monde.

Si la France a vu la part de ses dépenses de R&D dans l'activité nationale baisser entre 2002 et 2007 et la part de ses brevets dans le monde reculer entre 2008 et 2003 (- 5% pour les brevets européens et - 16% pour les américains) face à la poussée de l'Asie, l'implication grandissante des régions pourrait s'avérer un gage de solidité à long terme. "Les régions s'impliquent de manière croissante dans la R&D ; elles ont, depuis 2008, un rôle reconnu dans la politique des pôles de compétitivité ; elles peuvent mieux dialoguer avec des universités désormais capables de définir des stratégies adaptées à leurs atouts et contraintes spécifiques", note en préambule le président de l'OST, Thierry Weil.

Des dépenses inégalement réparties sur le territoire

Mais les dépenses en R&D sont très inégalement réparties sur le territoire. Le top 10 des régions (voir carte ci-contre) qui investissent est tiré par les traditionnellement plus dynamiques d'entre elles : l'Ile-de-France (41,3% de la dépense intérieure et 40,5% des chercheurs), Rhône-Alpes (respectivement 12% et 11,7% ), Midi-Pyrénnées (8,2% et 7,6%) et Provence-Alpes-Côte d'Azur (6,8% et 7,7%). Des régions connus pour leurs pôles en microélectronique, en aéronautique ou encore les technologies. L'Ile-de-France accueille quant à elle pas moins de sept pôles de compétitivité, 1.500 PME innovantes, 53 grandes écoles et dix-sept universités, et emploie en tout 137.000 personnes dans la R&D, dont 81.300 chercheurs.

Forte spécialisation dans certaines régions

Pour autant, à la faveur d'une "redistribution" sur le territoire, elle recule tout doucement depuis des années, note la directrice de l'OST, Ghislaine Filliatreau. Par ailleurs, certaines régions se distinguent par de fortes spécialisations telle la Bretagne, l'une des régions qui progresse le plus, avec les télécommunications. À noter que les régions qui "produisent" le plus (publications, brevets) sont celles qui coopèrent le plus au niveau interrégional.

Reste à savoir si les régions, de plus en plus mises à contribution, pourront continuer à investir davantage et permettre ainsi à la France de résister à la poussée de l'Asie.

TROIS INDICATEURS A SUIVRE

Nombre de chercheurs, de plus en plus dans le privé

375.235 personnes (en équivalent temps plein) "participent aux activités de R&D" en France, selon l'Observatoire des sciences et des techniques (OST), dont 59% sont chercheurs et enseignants-chercheurs. En dix ans, le nombre de personnes travaillant dans la R&D a progressé de 21% ; celui des chercheurs de... 45%. Le fossé entre recherche académique et recherche appliquée serait en train de se combler. De fait, selon l'OST, 55% des chercheurs travaillaient dans le public il y a quinze ans. A l'inverse, en 2007, ils étaient 56,2% à oeuvrer dans les laboratoires des entreprises. Depuis 1981, leur nombre a même plus que triplé dans le privé. Mais attention, nuance l'OST, cette inversion n'est pas due à un relâchement des efforts du public (dont les chercheurs sont passés de 80.716 en 1997 à 97.100 en 2007) mais à une croissance plus marquée du personnel dans les entreprises.

Crédit d'impôt recherche, un dispositif coûteux plébiscité par les entreprises

Principal levier du gouvernement pour stimuler la recherche des entreprises et les partenariats avec les laboratoires publics, le crédit impôt recherche (CIR) n'a pas échappé à la rigueur, même si le coup de rabot est symbolique. En effet, l'avantage fiscal des entreprises qui investissent pour la première fois dans la recherche via le CIR a été réduit de 50% à 40% la première année, et de 40% à 35% la deuxième. Le gain pour l'Etat est de 100 millions d'euros, à comparer aux 2,1 milliards d'euros que coûte le dispositif aux finances publiques. Pour soutenir le financement de la recherche dans les PME, le gouvernement a prolongé pour ces seules entreprises le remboursement anticipé du CIR décidé en 2009 au plus fort de la crise. Cette mesure d'urgence ne concerne plus les autres entreprises qui devront, comme avant 2009, attendre trois ans pour voir leur CIR remboursé par l'Etat.

Brevets, les PME sensibilisées à la propriété industrielle

Un peu plus de 16.100 brevets ont été déposés en France en 2009, selon les derniers chiffres publiés par l'Inpi (Institut national de la propriété industrielle). C'est un peu moins bien qu'en 2008 (3,6%) mais ce bilan révèle une tendance intéressante : une hausse de 6,8% des dépôts des PME, l'Inpi ayant lancé une vaste campagne de sensibilisation à la protection de l'innovation à destination des petites entreprises. Dans le top 10 des plus gros déposants, derrière les leaders PSA, Renault et L'Oréal, trois organismes de recherche publics sont présents, le CEA, le CNRS et l'IFP (Institut français du pétrole), signe encourageant de la prise de conscience des chercheurs à mieux valoriser leurs travaux. Le cru 2010, qui sera connu dans quelques semaines, devrait afficher des résultats satisfaisants même s'il couvre la période marquée par la crise économique.

Les pôles de compétitivité doivent changer de dimension

Comme l'indique leur nom, les pôles de compétitivité, créés en 2005, doivent "booster" la compétitivité de la France en favorisant sa capacité d'innovation. Comment ? En rapprochant les acteurs économiques et académiques sur un territoire. Mais leur nombre élevé - 71 - a pu peser sur leurs résultats, pas toujours probants (faible présence de la recherche publique, des PME...). D'où de récents ajustements.

Clarification

Après évaluation, des pôles ont été délabellisés au profit de nouveaux, consacrés aux écotechnologies. Afin de mieux peser sur la scène internationale, le gouvernement a souhaité faire de la "phase 2" (2009-2012) celle de la clarification. Le précédent ministre de l'Industrie, Christian Estrosi, a ainsi enjoint les pôles de compétitivité à se rapprocher par grandes thématiques ou complémentarités pour faire émerger des interpôles. Aujourd'hui, son successeur, Eric Besson, compte aller plus loin. Il intensifie les discussions avec le commissaire européen à l'Industrie, Antonio Tajani, pour créer des pôles européens.

Le rôle du grand emprunt

Quant au grand emprunt, il cherche à impliquer les pôles à tous les niveaux : instituts de recherche technologique (qui ont vocation à devenir des clusters internationaux) et pour les énergies décarbonées (3 milliards d'euros), plates-formes mutualisées d'innovation (200 millions), projets de R&D structurants (300 millions) mais aussi laboratoires ou initiatives d'excellence. La ministre de la Recherche plaide d'ailleurs pour des liens plus étroits avec la recherche publique et a d'ailleurs récemment invité le CNRS à participer davantage aux pôles. A plus long terme, un changement de statut est envisagé (les pôles sont des associations loi de 1901).

Nouveaux adhérents

Encore jeunes, les pôles doivent encore faire leurs preuves en matière d'impact sur la R&D. Mais déjà, entre 2007 et 2008, les entreprises membres d'un pôle sont passés de 5.879 à 6.826, les nouveaux adhérents étant quasiment tous des PME. "L'effet d'entraînement des pôles au niveau microéconomique ne pourra se mesurer que sur le long terme", prévient en tout cas Ghislaine Filliatreau, directrice de l'OST.

Le poids croissant des pays émergents

"Avant, on allait aux Etats-Unis, désormais il faut aller en Chine", confie Jacques Caen, professeur de médecine qui a créé en 2001 la Fondation franco-chinoise pour la science et ses applications (FFCSA). Cet avis est corroboré par le classement des pays selon le montant investi dans la R&D établi dans l'édition 2010 du rapport biennal de l'OST. Si la domination des Etats-Unis, du Japon et de l'Union européenne demeure entre 2002 et 2007, en revanche, les économies émergentes réalisent une percée spectaculaire. La Chine est désormais troisième, la Corée du Sud sixième et l'Inde huitième.

Mais c'est surtout leur part dans la R&D mondiale qui augmente. "Entre 2002 et 2007, Pékin, Séoul et New Delhi ont fortement accru leur part mondiale des dépenses intérieures de R&D. La Chine passe de 5,1% en 2002 à 9,2% en 2007, la Corée du Sud de 2,9% à 3,7% et l'Inde de 1,7% à 2,2%", souligne le rapport. Ainsi, la Chine dépensait 39,2 milliards de dollars pour sa R&D en 2002, 102,3 milliards de dollars en 2007. En comparaison, la France a régressé de 5% à 3,8% et les Etats-Unis, le leader, de 36% à 33,5%. Les publications scientifiques sont aussi un autre bon indicateur. "La Chine est le pays le plus dynamique. L'augmentation de sa part mondiale s'accélère à partir de 2003 pour atteindre, en 2008, plus de quatre fois sa part mondiale en 1998", indique le rapport de l'OST. "En 2020, la Chine sera l'un des deux premiers pays au monde en matière scientifique", pronostique Jacques Caen.

Une politique volontariste

Ce dynamisme est d'abord le résultat d'une politique volontariste initiée par le Premier ministre chinois Wen Jiabao. En 2003, il a défendu le principe d'un investissement massif dans une politique industrielle fondée sur l'innovation, clé du développement de l'économie. "La Chine devrait être en 2011 le pays déposant le plus grand nombre de brevets dans le monde", concluait une étude publiée en octobre par IP Solutions (Thomson Reuters). Entre 2003 et 2009, le nombre de brevets déposés a crû au rythme annuel de 26,1% en Chine contre 5,5% pour les Etats-Unis.

Toutefois, cette performance est à nuancer : la moitié des brevets déposés sont en fait des "certificats d'utilité" qui permettent, à la différence d'un "brevet d'invention", de protéger une invention pour un coût moins élevé et pour une durée moindre (six à dix ans contre vingt ans pour le brevet). Aussi, malgré l'amélioration croissante de la qualité des brevets déposés, la course au volume masque la réalité de l'innovation.

L'avis de la directrice de l'Observatoire des Sciences et Techniques (OST)

La Tribune - Ghislaine Filliatreau, vous êtes directrice de l'OST. En 2008, la recherche et développement ne pesait plus que 2,08% du PIB contre plus de 2,2% en 2002. Faut-il conclure à un affaiblissement de la R&D en France ?

Ghislaine Filliatreau - Tout d'abord, ce chiffre est tiré de données OCDE qui s'arrêtent en 2007. Or on voit, d'après les données du ministère de la Recherche, qu'en 2008 ce rapport avait commencé à augmenter. Par ailleurs, en 2007, la France est deuxième derrière l'Allemagne et devant le Royaume-Uni, avec 16,1% des dépenses en R&D de l'Union européenne, après une période de baisse. Il est vrai que la recherche, entre 2000 et 2007, était moins en tête des priorités. Ce qui explique la prise de conscience qui a eu lieu à ce moment, provoquée notamment par l'ambition de l'Union européenne d'être en pointe des sociétés de la connaissance, le mouvement des chercheurs de 2006, les données OCDE et le choc des classements internationaux. Ceux-ci ont mis en lumière le faible positionnement de nos universités et une courbe relativement plate de l'intensité de recherche. Il faudra donc observer les tendances ultérieures.

- Les initiatives récentes (autonomie des universités, grand emprunt...) sont-elles à même de maintenir la France dans la course ?

- Il y a eu ces dernières années une bien meilleure appréhension par les politiques de ce qu'est la R&D. La société de la connaissance, longtemps délaissée car non visiblement rentable à court terme, est enfin mise sur le haut de la pile. Mais en R&D on ne peut avoir qu'une approche permissive car tout dépend des actions individuelles, multiples et des liens entre micro et macro. La R&D est un biotope dans lequel chaque élément compte. Nous sommes en phase de rattrapage mais dans un contexte de compétition internationale, nous devons rester dans la course en profitant de la progression de nos concurrents.

L'EDITORIAL DE LA TRIBUNE : "Chercheurs et trouveurs"

"Des chercheurs, on en trouve ; mais des trouveurs, on en cherche", avait lancé le général de Gaulle, pourtant peu avare en politiques de soutien aux grands projets, du Concorde (avant Airbus) au TGV, en passant par le nucléaire. Ce serait toutefois faire un faux procès aux dirigeants français que de les accuser de méconnaître l'importance de la recherche pour l'avenir de la croissance et de la richesse nationales. Les efforts accomplis ces dernières années à coups de pôles de compétitivité, de crédit d'impôt recherche, de soutien aux filières, d'autonomie des universités, témoignent de cette mobilisation.

Du coup, la stagnation de notre pays à un étiage très insuffisant de 2% du PIB consacrés à la recherche a de quoi donner le bourdon. Tout ça pour ça... En entrant dans le coeur du réacteur, on s'interroge : la France fait-elle de la "bonne" recherche, écartelée entre une tradition estimable de recherche fondamentale et un impératif économique cher aux grandes entreprises de recherche appliquée ? Opposer l'une à l'autre n'a guère de sens. On ne transforme pas en un tour de main le professeur Tournesol en VRP de la dernière invention électroménagère. Mais ne pas imposer un minimum de contrainte économique aux équipes de recherche peut tout à la fois aboutir à une découverte géniale ou à un gaspillage stérile.

C'est donc à un réglage subtil qu'il faut parvenir en évitant les à-coups. Une politique de recherche se bâtit dans la durée. En intégrant la grande inertie du système. Comme sur le Titanic, les coups de barre brutaux et tardifs ne permettent pas d'éviter les icebergs. D'ailleurs, optimiser la politique française de recherche passe aussi, en amont de la chaîne, par une amélioration de notre système éducatif, en le rendant à la fois plus efficace et plus ouvert sur le monde économique. Ce ne sera pas la partie la plus facile du chantier.

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