Affaire Bettencourt : un juge met en cause le chef de l'Etat

La juge de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez, aujourd'hui dessaisie de l'affaire Bettencourt, affirme qu'un témoin a vu Nicolas Sarkozy se faire remettre des espèces chez la milliardaire, rapportent Libération et l'Express. L'Élysée dément cette information, tout comme Matignon. De son côté, Martine Aubry espère une nouvelle enquête et Jean-François Copé évoque en termes voilés une manipulation.
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Une juge met en cause Sarkozy dans l'affaire Bettencourt, écrit le quotidien Libération paru ce mercredi et L'Express, ce jeudi. Le journal et le magazine se fondent sur un livre à paraître, écrit par deux journalistes du Monde, qui ont pu rencontrer et entendre la vice-présidente du tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine). Cette version est démentie par l'Elysée: "Ce sont des allégations scandaleuses, infondées et mensongères", a-t-on déclaré à Reuters.

Le témoin présumé, une ancienne infirmière de la milliardaire, a toutefois démenti dans la soirée avoir parlé de remises d'enveloppes d'argent en 2007 au futur chef de l'Etat. "Lorsque j'ai été auditionnée par la juge Isabelle Prévost-Desprez, je ne lui ai pas parlé de remise d'enveloppes à Nicolas Sarkozy, ni à personne d'autre", dit-elle au site du magazine Marianne, qui ne donne que ses initiales H.Y. Cette femme affirme en revanche qu'un climat de peur règne autour de cette affaire: "J'ai reçu des menaces de mort. On m'a fait savoir qu'à cause de mon témoignage dans l'affaire Banier-Bettencourt on allait retrouver mon corps dans la Seine".

Plus tôt dans la matinée, François Fillon a défendu le président de la République dans un communiqué diffusé mercredi en milieu de journée. Le Premier ministre dit regretter "qu'au mépris de toute règle déontologique, de telles allégations visant le président de la République, à l'évidence dénuées de tout fondement, viennent nourrir la rumeur dans ce qu'elle a de plus détestable et de plus insidieux."

Pour Libération, les accusations d'Isabelle Prévost-Desprez semblent répondre à "l'extrême défiance" que le chef de l'Etat a alimenté à l'égard de l'institution judiciaire. Interrogée par les auteurs du livre, la juge dit avoir été frappée par la peur des témoins lors de ses investigations sur un volet du dossier Bettencourt.

Priée de dire de quoi ces témoins avaient peur, la magistrate répond : "Peur de parler sur procès-verbal à propos de Nicolas Sarkozy". Puis elle ajoute : "L'un d'eux m'a dit qu'il avait vu des remises d'espèces à Nicolas Sarkozy." Isabelle Prévost-Desprez précise qu'il s'agit de l'infirmière de la milliardaire, laquelle ne se serait toutefois pas exprimée sur procès-verbal, précise Libération. La comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thiboult, avait déjà évoqué des remises d'espèces mais d'une façon vague.

Dans le livre "Sarko m'a tuer", dont le quotidien publie des extraits, la magistrate ajoute: "Il fallait me dessaisir par tous les moyens. Il était impératif de me débarquer". Isabelle Prévost-Desprez a effectivement été dessaisie à l'automne 2010 au profit du tribunal correctionnel de Bordeaux, qui a hérité de l'ensemble du dossier.

Le parquet de Nanterre a fait savoir qu'il ignorait les éléments dévoilés par la magistrate. "A aucun moment, le parquet n'a été informé de ces faits supposés et il est très surpris que ces allégations n'aient pas suivi la procédure normale. Il convenait de les retranscrire à l'issue immédiate de l'audition pour les porter à la connaissance du procureur de la République afin qu'il puisse apprécier les suites à donner", a indiqué une porte-parole du procureur.

Aubry et Arnaud Montebourg demandent une enquête dans l'affaire Bettencourt

"Je ne comprends pas que Madame la juge n'ait pas exprimé cela devant le procureur, même si je sais les pressions dont elle a été l'objet et dont elle s'est d'ailleurs plainte. Je pense qu'aujourd'hui, je l'espère en tout cas, une nouvelle enquête va être ouverte", a réagi ce mercredi Martine Aubry sur RMC Info et BFM TV.  "C'est ce qui se passe normalement dans un pays où la justice est indépendante et libre. Quand une information comme celle-là, une allégation - qui n'est pour l'instant qu'une allégation - se retrouve sur la place publique, une nouvelle enquête doit avoir lieu", a-t-elle ajouté. Et Arnaud Montebourg d'appuyer son adversaire au primaires socialistes déclarant sur I-télé que la juge Prévost-Desprez "est un magistrat de bonne qualité, de grande réputation, sa crédibilité est totale, il est donc nécessaire que la justice ouvre ses investigations sur la foi de déclarations sérieuses".

D'autres personnalités de la gauche sont de cet avis. François Hollande a dénoncé le "trop de pressions" exercés par l'Elysées sur la justice. Pour le député socialiste de l'Essonne Julien Dray, invité d'Europe 1, "il faut que les choses soient clairement explicitées devant les juges". "Dès qu'il y a un soupçon, il doit y avoir clarification", a estimé pour sa part sur France Info le député-maire d'Evry (Essonne), Manuel Valls, candidat à l'investiture socialiste pour la présidentielle.

Copé "dupe de rien"

A droite, le secrétaire général de l'UMP, Jean-François Copé, s'est dit "étonné" du témoignage de la magistrate, évoquant à demi-mot une manipulation politique à huit mois de l'élection présidentielle. La présidence de la République parle d'"allégations scandaleuses, infondées et mensongères".

"On est à quelques mois de l'élection présidentielle, donc il ne faut être dupe de rien. Ce sont des allégations qui ont donné lieu à un démenti extrêmement clair de la part de l'Elysée", a déclaré Jean-François Copé sur Canal+. "Je crois comprendre que c'était hors procès-verbal, que ce sont des attaques de la part d'un juge en exercice. Tout cela est quand même un peu étonnant", a-t-il ajouté.

Les éléments avancés seraient indirects et flous

Si les révélations "étaient confirmées par une enquête impartiale, cela montrerait que les Français auraient porté à la tête de l'Etat un véritable système mafieux" déclare la présidente du Front Nationale, Marine Le Pen. "Ces mises en cause appellent donc d'urgence des vérifications minutieuses et exhaustives", poursuit-elle. Marine Le Pen souhaite que "toute l'affaire Bettencourt soit reprise depuis le début par un juge indépendant à qui doivent être donnés les moyens d'enquêter en échappant à tout contrôle du pouvoir politique".

L'enquête judiciaire sur le volet politique de l'affaire Bettencourt est susceptible d'être relancée par les allégations de la magistrate. Mais si des auditions sont probables, il est cependant peu plausible que l'enquête progresse sur le fond, tant les éléments avancés apparaissent indirects et flous, a estimé une source judiciaire extérieure au dossier.

"L'infirmière de Liliane Bettencourt a confié à ma greffière après son audition par moi : 'j'ai vu des remises d'espèces à Sarkozy, mais je ne pouvais pas le dire sur procès-verbal'", a déclaré la magistrate dans un livre rédigé par des journalistes qui sort cette semaine, "Sarko m'a tuer".

Les trois juges d'instruction de Bordeaux, Jean-Michel Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël, désignés pour reprendre l'enquête fin 2010 après le dessaisissement du tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine), ont la possibilité d'entendre comme témoin leur collègue, a dit un magistrat. "Même si elle a été saisie de l'affaire dans le passé, rien ne s'y oppose. C'est comme lorsqu'un magistrat ayant enquêté sur une affaire est entendu au procès du dossier", a-t-il dit. La greffière et l'infirmière peuvent aussi être entendues.

Il est en revanche peu probable que le dossier progresse sur le fond, même si les trois protagonistes, la juge, sa greffière et l'infirmière répètent l'histoire. Ces allégations de remises d'espèces à des personnalités politiques par les Bettencourt, une des plus grandes fortunes de France et du monde, étaient déjà connues, mais n'ont pas débouché à ce jour.

En qualité de chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy ne peut ni être mis en examen ni auditionné comme témoin dans une procédure pénale, selon la Constitution. Le ministère de la Justice n'a pas souhaité faire de commentaire pour l'instant. Mais ce dernier a la possibilité techniquement d'ordonner une enquête administrative ou des poursuites disciplinaires concernant Isabelle Prévost-Desprez, s'il juge que ces déclarations sont susceptibles de constituer une atteinte au devoir de réserve et au secret professionnel.

Une telle procédure donnerait l'occasion à la magistrate, très amère d'avoir été dessaisie du dossier en 2010, d'exprimer à nouveau ses accusations sur les pressions politiques dont elle se dit victime.

Commentaires 9
à écrit le 02/09/2011 à 7:38
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imaginez la galère si un voisin déclarait que vous êtes le témoin d'un fait délictueux alors que ce n'est pas vrai et que cette déclaration , jetée sur le trottoir , n'existait pas..... , des sanctions s'imposeraient pour manquement à l'obligation...

à écrit le 01/09/2011 à 14:01
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je pense que ce n'est pas comme témoin qU4ELLE DEVRAIT ËTRE ENTENDUE MAIS COMME MISE EN CAUSE D4UNE FAUTE PROFESSIONNELLE COONSISTANT 0 UN MANQUEMENT AU DEVOIR DE RESERVE QUI S4IMPOSE 0 TOUT MAGISTRAT.LE CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE?COMPETENT...

le 01/09/2011 à 19:14
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le devoir de réserve a "ses limites" ! elle doit aussi s'exprimer ! Sarkoland n'est pas une "monarchie"...

à écrit le 01/09/2011 à 14:01
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je pense que ce n'est pas comme témoin qU4ELLE DEVRAIT ËTRE ENTENDUE MAIS COMME MISE EN CAUSE D4UNE FAUTE PROFESSIONNELLE COONSISTANT 0 UN MANQUEMENT AU DEVOIR DE RESERVE QUI S4IMPOSE 0 TOUT MAGISTRAT.LE CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE?COMPETENT...

à écrit le 01/09/2011 à 11:30
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Voilà un beau feuilleton pour la rentrée, qui ne nous fera pas oublier les vrais problèmes, dont la hausse des prix et la baisse de notre pouvoir d'achat suite aux "bonnes mesures " prises pendant les vacances par nos "très chers Ministres" !... Mais...

à écrit le 01/09/2011 à 10:01
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Pitoyable, bravo la classe politique française ! ça vaudrait la peine de restaurer les tribunaux révolutionnaires et de balancer tout ça au centre de traitement des déchets de La Hague, si tant est qu'on puisse en tirer quelque chose. Parti comme cel...

le 01/09/2011 à 13:55
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La difference avec les dechets nucleaires, c'est qu'avant de le devenir, ils ont servi à qqch...

à écrit le 01/09/2011 à 9:57
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Au fait !! à quel syndicat appartient ce magistrat??? dites le et tout serait lumineux!!! par ailleurs je suis d'accord avec vos commentateurs qui considérent que la Presse colporte au lieu d'enqueter !!!!

le 01/09/2011 à 12:37
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On nous fait encore le coup du juge rouge... Original.

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