Campus de Jussieu : un gouffre financier, selon la Cour des comptes

Par Clarisse Jay  |   |  903  mots
La Cour des comptes a annoncé jeudi avoir saisi la Cour de discipline budgétaire du dossier du désamiantage du campus universitaire parisien de Jussieu, dont elle dénonce "le bilan financier accablant". REUTERS
Dans un rapport présenté ce jeudi, la Cour des comptes dresse un bilan accablant de la réhabilitation du campus de Jussieu. Ce chantier, qui devait durer trois ans et coûter 183 millions d'euros, s'étalera finalement sur près de vingt ans pour un coût estimé à 1,8 milliard. La juridiction a transmis le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière.

Lancé en 1996, le chantier devait durer trois ans et ne que coûter "que" 183 millions d'euros. Las, il sera achevé "au mieux" en 2015 pour une facture totale estimée pour l'heure à 1,8 milliard d'euros, sachant que les 2 milliards sont déjà évoqués. Ce gouffre financier, c'est celui de l'imposant campus de Jussieu, connu pour son architecture des années 60 mais surtout pour l'opération de désamiantage lancée en 1996 à grands renforts de relais médiatiques. La Cour des comptes en a dressé un bilan accablant ce jeudi dans un rapport thématique. Le constat est d'autant plus sévère que les magistrats de la rue Cambon avaient déjà effectués deux contrôles en 1999 et 2003 assortis de recommandations qui "n'ont pas été suivies", a regretté le président de la Cour des comptes, Didier Migaud. D'où la décision de la Cour de se livrer à un "bilan d'ensemble", axé principalement sur les opérations de travaux menés par l'établissement public du campus de Jussieu (EPCJ) chargé de la maîtrise d'ouvrage et sur les modalités de pilotage de cette opération.

45.000 étudiants au lieu de 25.000

Le constat majeur est sans concession, même si la Cour reconnaît que ce projet qui concerne une surface de 311.000 m2 . "Cette opération a subi d'importantes dérives en matière de coût et de délais. C'est un cas d'école d'opération mal conduite", a résumé en préambule Didier Migaud en présentant les trois grandes faiblesses de l'opération Jussieu. Tout d'abord, celle-ci est né sous de mauvais auspice, caractérisée dès le départ par une "grande complexité", note la Cour, du fait notamment d'une absence de plans de structure et de documentation sur les méthodes de construction des bâtiments et leur occupation. A cet égard, la "sur occupation" des locaux rendait dès le début le chantier complexe du fait des transferts d'étudiants et de personnels à prévoir pendant les travaux.

"En 1996, chaque mètre carré était occupé [...] au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité", pointe le rapport. Prévu initialement pour 25.000 étudiants, le campus accueillait en 1996 45.000 étudiants et 10.000 personnels. Selon le rapport Larrouturou de février 2010 sur l'immobilier parisien, le ratio m2/étudiant est de 15,87 à l'université Paris 6-Pierre et Marie Curie (qui occupe la majorité des lieux) contre 2,02 à Paris 1...Par ailleurs, les phases de préparation ont été délaissées et les études et diagnostics négligés.

Dès le départ, le coût de l'opération a été "sous-estimé" et les solutions alternatives (deconstruction-reconstruction) délaissées. Le choix de procéder par tranches, obligeant à reloger à tour des rôles des occupants a entraîné des surcoûts de loyers. Chaque tranche a été marquée par une dérive financière (hausse de 61% pour la tour centrale, 38,6% pour l'Atrium, 25% pour le secteur ouest...).

Deuxième grande critique, la "dilution des responsabilités". Les parties prenantes (Paris 6, Paris 7, l'Institut de physique du Globe, l'établissement public du campus de Jussieu chargé de la maîtrise d'ouvrage, depuis remplacé par l'Epaurif...). Manque de pilotage, un EPCJ mal calibré, des établissements universitaires "dans une situation de clients qui ne paient pas le coût de leurs exigences" mais aussi des blocages internes. Certains services ou laboratoires ont parfois refusé de quitter leurs locaux provisoires, entraînant des prolongations de baux et des surcoûts de loyers, parfois de 22 millions d'euros par an (ilôt Cuvier). Quant à l'Etat, qui a montré "un sens aigu du compromis", "il n'a pas assuré son rôle d'arbitrage", juge la Cour des comptes.

Les loyers ont alourdi la facture

Bref, le bilan est jugé "désastreux", avec des délais par deux fois repoussés et un coût total multiplié par 10. Au final, le coût du désamiantage ne pèse que... 6% de la facture globale et les loyers de locaux provisoire... 33% ! Le coût de la réhabilitation s'élève ainsi à 3.646 euros par m2 contre 2.476 euros pour la Zac Paris Rive-Gauche, nouveau campus de Paris 7-Diderot. Au vu de ces dérives, la Cour des comptes a décidé de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière. Elle formule aussi une série de recommandations : que l'Etat s'assure des compétences et des moyens des porteurs de projet, que les établissements soient responsabilisés et définissent leurs besoins notamment en fonction de la carte francilienne des formations et enfin que soient créées les conditions d'un pilotage stratégique par l'Etat des opérations immobilières universitaires.

Dans un communiqué publié jeudi, le ministre de l'Enseignement supérieur, Laurent Wauquiez, a assuré qu'il "serait attentif à ce que toutes les améliorations possibles puissent être apportées à l'organisation des projets, et les recommandations formulées dans le rapport de la Cours des Comptes seront donc mises à profit pour progresser encore dans les processus qui assureront une meilleure maîtrise des opérations immobilières universitaires".

Faute de pouvoir réduire la facture financière et la dérive temporelle, Didier Migaud a estimé que "la compréhension de leurs causes et de la chaîne de responsabilités" doivent "servir de leçon dans le cadre des nouvelles opérations telles que l'opération campus (5 milliard d'euros dont 1 milliard pour Saclay) et les investissements d'avenir".