Moody's émet de sérieux doutes sur le "triple A" de la France

Par latribune.fr, avec AFP  |   |  897  mots
Copyright Reuters
Une hausse des taux obligataires sur les marchés et une croissance économique en berne risqueraient d'avoir des conséquences négatives sur la note française.

La mise en garde de Moody's sur le "triple A" de la France, en cas de hausse durable de ses coûts de financement, a ravivé lundi les tensions sur les dettes souveraines de la zone euro et fait plonger les Bourses européennes.

Le rendement des emprunts à 10 ans, dont l'évolution reflète de façon inversée l'appétit pour la dette française, a augmenté d'une vingtaine de points après la publication de cette note et les assurances contre le risque de défaut (CDS) ont atteint des records.

Le porte-parole de l'Agence France Trésor, qui gère la dette de l'Etat, a dit à Reuters que la France continuait de bénéficier de conditions de financement parmi les meilleures depuis la création de l'euro, les taux moyens restant inférieurs aux prévisions de l'agence.

La France bénéficie de la note maximale donnée par les trois principales agences de notation - triple A avec perspective stable - mais Moody's a annoncé mi-octobre qu'elle se donnait trois mois pour évaluer cette perspective. Sa modification pourrait ensuite entraîner un abaissement de la note triple A.
Soulignant le bond des rendements de la dette française la semaine dernière, Alexander Kockerbeck, analyste principal de Moody's sur la France, déclare dans sa note que "des coûts de financement durablement élevés amplifieraient les défis budgétaires auxquels est confronté le gouvernement français dans un contexte de détérioration des perspectives de croissance, avec des conséquences négatives sur le crédit".

L'écart de rendement entre les emprunts français et allemand à 10 ans, qui était revenu sous 150 points, s'est élargi après la publication de la note, comme celui de pays périphériques de la zone euro et d'autres pays "triple A" comme l'Autriche ou la Finlande.

Les Bourses européennes ont accentué leurs pertes, l'Eurostoxx 50 et le CAC 40 perdant chacun environ 2,5% vers 13h15 GMT, les valeurs bancaires comme BNP Paribas et Société générale perdant près de 5% et affichant pendant plusieurs heures les plus fortes baisses de l'indice parisien.

LE MODÈLE SOCIAL SUR LA SELLETTE

Rappelant que l'écart de rendement entre emprunts français et allemand a franchi le seuil des 200 points de base la semaine dernière, Alexander Kockerbeck souligne qu'à ces niveaux, le coût de financement à long terme est presque le double de celui de l'Allemagne et qu'une hausse de 100 points de base des rendements représente 3 milliards d'euros de surcoût annuel.

"Avec une prévision de croissance réelle de seulement 1% en 2012, une charge de la dette plus élevée rendra d'autant plus difficile la réalisation de l'objectif de réduction du déficit public", poursuit l'analyste.

Depuis 2008, le déficit et la dette de la France se sont "considérablement détériorés", note Moody's, qui reconnaît que les mesures d'austérité adoptées par les autorités françaises attestent de leur engagement à contrôler les finances publiques.

"Les perspectives de croissance économique et la crise (de confiance) sur la dette européenne - qui échappent toutes les deux au contrôle total du gouvernement - sont des facteurs de risque important pour son bilan", souligne Moody's.

"Le modèle social français ne peut pas être financé si le potentiel de l'économie française n'est pas préservé. Un nouvel affaiblissement de la croissance du PIB mettrait à l'épreuve la capacité politique du gouvernement à dégager de nouvelles économies", prévient l'agence alors que s'amorce la campagne pour l'élection présidentielle de 2012

"LES GENS S'ATTENDENT À UNE DÉGRADATION"

Selon Olivier Bizimana, économiste chez Morgan Stanley, "dans l'environnement actuel, les gens s'attendent à ce que la France soit dégradée, mais il n'y pas vraiment d'explication pourquoi, c'est simplement que la France est immobile".

"La situation budgétaire est probablement moins bonne que celles d'autres pays triple A", a-t-il dit à Reuters, mais "cette approche est incorrecte". "La France est probablement en meilleure forme que d'autres : une des raisons est son potentiel de croissance plus élevé, ce qui signifie des rentrées fiscales plus importantes à l'avenir, essentiellement parce que la trajectoire démographique est meilleure."

Le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a estimé lundi qu'un déclassement de la deuxième économie de la zone euro serait inadapté à sa situation budgétaire et entraînerait la perte du triple A du fonds de sauvetage européen (FESF). "Je ne veux pas de ça", a-t-il dit.

La ministre française du Budget, Valérie Pécresse, a quant à elle une nouvelle fois exclu un tour de vis budgétaire supplémentaire, après deux plans d'austérité en moins de deux mois pour compenser l'impact du ralentissement économique sur les finances publiques.

"La croissance est ralentie mais elle existe encore, c'est pour cela qu'il faut qu'on la soutienne. Aujourd'hui, nous avons un budget qui est crédible, sincère", a-t-elle déclaré sur RTL.

Après un premier plan d'économies et d'impôts d'une ampleur de onze milliards d'euros pour 2012, le gouvernement a présenté début novembre un deuxième plan de 65 milliards d'euros d'ici 2016, dont 18,6 milliards pour la période 2012-2013.

La France s'est fixé pour objectif un déficit public équivalent à 4,5% du PIB en 2012, 3% en 2013 et 2% en 2014, jusqu'à l'équilibre en 2016.