Ce jeudi, un président de la République est jugé

Par latribune.fr, avec Reuters  |   |  696  mots
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Point d'orgue de deux décennies "d'affaires" de la Ville de Paris, le tribunal correctionnel de Paris rend son jugement ce jeudi dans le procès de Jacques Chirac, le premier d'un ancien chef d'Etat républicain dans l'histoire du pays.

Point d'orgue de deux décennies "d'affaires" de la Ville de Paris, le tribunal correctionnel de Paris rend son jugement ce jeudi dans le procès de Jacques Chirac, le premier d'un ancien chef d'Etat républicain dans l'histoire du pays.

Poursuivi pour "détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d'intérêt" pour 28 emplois présumés fictifs de "chargés de mission" à son cabinet de maire de Paris entre 1992 et 1995, Jacques Chirac, 79 ans, encourt en théorie jusqu'à dix ans de prison mais une sanction ferme semble exclue.

Après douze ans d'immunité pénale à l'Elysée suivis d'années d'atermoiements judiciaires, l'ex-président a été autorisé en septembre à ne pas se présenter à son procès grâce à un certificat médical parlant de "troubles sévères de la mémoire" et "d'importantes erreurs de jugement et de raisonnement".

Dans cette procédure tardive, compte tenu de ces problèmes de santé et du statut de retraité de l'ancien maire de Paris, l'enjeu du jugement réside d'abord dans une éventuelle déclaration de culpabilité, avec le cas échéant une peine symbolique avec sursis, voire une dispense de peine.

Ce point est cependant essentiel pour toutes les parties. C'est l'image dans l'Histoire de celui qui fut plusieurs fois ministre à partir des années 1960, deux fois Premier ministre (1974-1976 et 1986-1988) et douze ans chef de l'Etat (1995-2007) qui risque d'être à jamais ternie, ont dit ses avocats dans leurs plaidoiries fin septembre.

"Si vous condamnez, vous direz que la France a été dirigée pendant 12 ans par un petit comptable indélicat. En reconnaissant la grandeur de l'action politique, avec ses petitesses, vous rendrez service à la démocratie", a dit Me Georges Kiejman.

Dans un message écrit lu au tribunal, Jacques Chirac s'est dit innocent : "Il n'y a ni système ni enrichissement personnel, je n'ai rien fait qui soit contraire à la probité et l'honneur. J'affirme n'avoir commis aucune faute, ni pénale, ni morale."

UN SYSTÈME DE DÉTOURNEMENT DE FONDS ?

Tout semble aller dans le sens de la défense. Lié au pouvoir exécutif, le parquet a avancé des arguments de droit pour requérir une relaxe pour Jacques Chirac et ses neuf co-prévenus, deux ex-directeurs de cabinet et des proches.

L'actuel maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë a retiré avant l'audience la partie civile de la Ville en échange d'un remboursement de 2,2 millions d'euros, dont 500.000 euros acquittés par Jacques Chirac et le reste par l'UMP.

L'opposition socialiste s'est montrée peu virulente contre son ex-adversaire, que les sondages créditent aujourd'hui d'une forte popularité dans l'opinion et dont l'âge incite la classe politique à faire preuve de retenue.

Seule voix discordante, celle de l'association anti-corruption Anticor, partie civile, s'est élevée au procès pour dénoncer ce qu'elle a qualifié de "système frauduleux" mis en place par Jacques Chirac pendant ses trois mandats comme maire de Paris (1977-1995).

L'instruction conduite par la juge Xavière Simeoni a conclu en effet à l'existence de ce système de détournement de fonds.

L'audience, malgré l'absence de Jacques Chirac ou à cause d'elle, ne lui a pas été favorable. Son rôle personnel est apparu étayé par le dossier et par plusieurs mises en cause à l'audience par Michel Roussin, son ancien directeur de cabinet.

Les pseudo-spécialistes des Africains, des Chinois ou de l'agriculture, les épouses de dignitaires RPR, le garde du corps du dirigeant syndical Marc Blondel, les amis, les "petites mains" des associations électorales ou de partis proches n'ont pas servi les Parisiens mais perçu des fonds publics par la volonté de Jacques Chirac, ont dit les témoins.

Ce dossier, selon Anticor, ne peut être dissocié d'autres procès ayant frappé les proches de Jacques Chirac pendant son passage à l'Elysée et qui ont démontré l'existence d'une corruption massive et même de fraude électorale.

Quelle qu'en soit l'issue, ce procès pourrait marquer un tournant. La gauche et le centre estiment en effet qu'il faut réformer le statut d'immunité pénale totale du chef de l'Etat, qui aboutit à leurs yeux à un privilège judiciaire.