Oncle Bernard Maris : de Charlie Hebdo à la Banque de France

Par Stanislas Jourdan  |   |  969  mots
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Bernard Maris, alias Oncle Bernard, une des voix françaises de l'anti-libéralisme, s'embourgeoise : le voici nommé le 21 décembre par le président du Sénat pour siéger au Conseil général de la Banque de France. Surprenant parcours pour l'économiste et chroniqueur "iconoclaste"...

A l'occasion du renouvellement triennal, par moitié, des membres du conseil général de la Banque de France, Jean-Pierre Bel , président du Sénat, a nommé le 21 décembre 2011 l'économiste Bernard Maris, informe un communiqué de la Haute Assemblée. Bernard Maris succède à Monique Millot-Pernin à ce poste.

Si l'information est anodine, le profil de Bernard Maris, lui est plutôt atypique.

Agrégé de science économique, professeur des universités à l'Institut d'études européennes de Paris VIII, chroniqueur dans divers journaux, à France Inter et sur i-TELE, Bernard Maris est aussi auteur de nombreux ouvrages, dont "Keynes ou l'économiste citoyen", "Ah Dieu! Que la Guerre économique est jolie!" (1998), "Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui nous prennent pour des imbéciles" (1999) et "La Bourse ou la vie" (2000). L'économiste avait par ailleurs été candidat en 2002 aux élections législatives pour les Verts, en plus d'avoir été membre du conseil scientifique d'Attac et est responsable du secteur économie du journal satirique Charlie Hebdo. 

Pour un défaut sur la dette souveraine, y compris en France

A l'image des titres de ses ouvrages, Bernard Maris a des propositions iconoclastes pour sortir de la crise. Ainsi, dans une interview accordée au JDD le 4 décembre dernier, Bernard Maris se prononçait ni plus ni moins en faveur d'un défaut de la France sur sa dette publique :

"Tous les pays européens devront, tôt au tard, se résigner à effacer une partie de leur dette. Il faut la renégocier au-delà du seuil de 60% du PIB pour de nouveau respecter les critères de Maastricht. Les créanciers, et donc les banques, devront évidemment consentir un effort important. Même les grands pays comme l'Allemagne et la France n'y échapperont pas. C'est le seul moyen de permettre aux États de la zone euro de relancer leur économie."

Et de poursuivre : "Sans croissance, ils n'arriveront pas à faire face à leur endettement. Comme l'ont fait les pays africains pendant plusieurs décennies, ils rembourseront indéfiniment une dette qui étouffera l'Europe. C'est le seul moyen d'éviter quinze ans de stagnation de l'économie comme au Japon ou au Portugal sous Salazar. Le seul moyen aussi de prévenir une chute très forte du pouvoir d'achat des ménages et des conflits sociaux majeurs. Le choix de l'Allemagne ruinera aussi son économie à long terme. Ce n'est pas un cercle vertueux mais vicieux. Elle préfère abaisser le niveau de vie des Allemands pour être compétitive."

Un revenu d'existence, pour tous

Autre proposition subversive que prône périodiquement Maris dans ses interventions médiatiques : le revenu minimum d'existence. Similaire au "revenu de base" que défend Christine Boutin et au "revenu citoyen" de Dominique De Villepin, il s'agirait selon lui d'un "revenu que l'on donne à tout être humain, riche ou pauvre, qu'il peut toucher toute sa vie, et qu'il peut cumuler avec n'importe quel revenu d'activité, ou de patrimoine sans restriction !"

L'avantage d'une telle proposition ? Selon Maris, cela permettrait, dans une société où la situation marché du travail ne garantit plus un revenu et donc une existence digne pour tous, de "détacher l'existence du travail". Avec un revenu garantissant l'accès aux besoins de base, c'est comme si l'on donnait droit à un "as d'atout" à tous le monde, explique Maris dans une de ses chroniques.

Ce faisant, "on ne peut plus accuser la malchance" argumente-il. "Après, c'est à chacun de nous de jouer avec plus ou moins de talent" poursuit-il, avant de conclure : "En fait, le revenu d'existence est, tout simplement, un droit à l'autonomie."

Mais quelle influence à la Banque de France ?

Ces propositions vont clairement à contre-courant de la réflexion actuelle des dirigeants. Mais seront-elles écoutées au sein de la Banque de France ? Rien n'est moins sûr, d'autant que depuis l'euro, les décisions de politique monétaire relèvent désormais des organes de la BCE :  le directoire et le conseil des gouverneurs auquel participe seulement Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France.

Bernard Maris, lui, siègera au conseil général, équivalent du conseil d'administration pour une entreprise, qui se réunit une fois par mois. Le rôle de ce dernier est essentiellement de délibérer sur les questions relatives à la gestion des activités de la Banque de France autres que celles qui relèvent des missions du Système européen de banques centrales, ainsi que de délibérer sur les statuts du personnel.

"Le conseil général délibère également de l'emploi des fonds propres et établit, en veillant à doter la banque des moyens nécessaires à l'exercice des missions qui lui sont dévolues à raison de sa participation au système européen de banques centrales, les budgets prévisionnels et rectificatifs de dépenses, arrête le bilan et les comptes de la banque, ainsi que le projet d'affectation du bénéfice et de fixation du dividende revenant à l'Etat." précisé également le code monétaire et financier.

Ce conseil est composé au total de 13 membres désignés en conseil des ministres, par le président du Sénat et de l'Assemblée nationale, un autre membre désigné par le personnel et deux censeurs. Le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a reconduit pour sa part Philippe Auberger. Ancien député UMP, Philippe Auberger a été rapporteur général du budget à l'Assemblée.

Reste que cette expérience devrait être très enrichissante pour l'économiste, qui pourra désormais voir les choses "de l'intérieur". Cette nomination devrait également augmenter sa réputation. En revanche, son devoir de réserve l'empêchera certainement de parler autant qu'il n'avait pris l'habitude de le faire. 

Au grand regret de ses auditeurs, probablement.