Syndicats : la longue histoire des divorces entre la base et le sommet

La condamnation des leaders syndicaux par la Confédération reste exceptionnelle. Historique.
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Atypique, le spectaculaire communiqué de la CFDT, dans lequel la Confédération et la Fédération des transports condamnent de concert la « lourde responsabilité » des leaders CFDT de la compagnie maritime SeaFrance ? Oui, si l'on retient l'exceptionnelle publicité faite à cette crise interne. « Il est très rare qu'une confédération désavoue publiquement un leader syndical, dit Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail. En général, quand il y a désaccord, il se traite par une reprise en main plus discrète de l'appareil. »

Lorsque, en août 2009, le délégué cégétiste de Continental, Xavier Mathieu, accuse publiquement Thibault d'être « tout juste bon à frayer avec le gouvernement et à calmer les bases », Thibault, qui s'était montré très critique sur le saccage de la sous-préfecture de Compiègne par les « casseurs de Conti », règle l'affaire en interne. « Aujourd'hui, on est dans une affaire totalement exceptionnelle », insiste le secrétaire général adjoint de la CFDT, Marcel Grignard.

Pourtant, ce n'est pas la première fois que la CFDT, dotée d'une histoire et d'une organisation qui la différencient de la CGT et de FO, connaît une crise aiguë entre la base et le sommet. Dans les années 1970, où domine une forte culture autogestionnaire de transformation de l'économie par la base, les syndicats lancent dans les entreprises des mouvements durs alors toujours appuyés par les fédérations et la Confédération. Mais dans les années 1980, alors que la gauche au gouvernement amorce son virage, la Confédération se réforme en intégrant la logique d'économie de marché, et encadre davantage les conflits, quitte à coiffer les mouvements susceptibles de déraper.

Ce tournant, confirmé par Jean Kaspar en 1988, puis par Nicole Notat en 1992, et enfin par François Chérèque, a été refusé par de nombreux militants, qui entendaient rester sur la ligne d'un affrontement dur : en 1988, puis entre 1995 et 1998, années où SUD prit son essor avec des transfuges de la CFDT, et enfin après la réforme des retraites de 2003, période durant laquelle l'organisation connaît des départs massifs de militants qui refusent la ligne pragmatique et réformiste du sommet. Départs d'autant plus importants qu'un « nettoyage » systématique des fédérations est mené dans de nombreuses régions par le secrétaire général adjoint sous Nicole Notat, Jacky Bontemps. Et ce, jusque dans les années 2000.

Ne pas laisser Calais à la CGT

« C'est dans le droit fil de l'histoire de la CFDT qu'il faut comprendre l'affaire SeaFrance, ainsi que la réaction très virulente de la Confédération à l'égard de sa base », explique Bernard Vivier. « C'est bien d'une reprise en main par la CFDT dont il s'agit », estime, lui aussi, Paul-Henri Antonmattei, qui enseigne les relations du travail à Montpellier I. Tenue par les syndicats de la compagnie maritime à l'écart de l'étude des propositions de reprise, la Confédération frappe aujourd'hui un coup de poing sur la table, réaffirme sa priorité absolue à l'emploi, et condamne les manières de brigands de ces leaders locaux qui, si elles étaient confirmées par la justice, leur vaudraient exclusion de la CFDT. Mais ce n'est pas tout. Car cette affaire présente un autre enjeu majeur pour la CFDT, comme l'explique Bernard Vivier : « Il s'agit de ne pas laisser Calais tomber dans les mains de la CGT qui contrôle déjà presque tous les ports de France. »

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