"Il manquera près de 10 milliards d'euros aux collectivités en 2012"

Par Propos recueillis par Clarisse Jay et Mathias Thépot  |   |  752  mots
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Le financement des collectivités locales s'annonce très incertain en 2012. Les financements bancaires viennent à manquer et l'agence de financement que veulent créer les élus ne naîtra pas avant 2013. Les élus locaux ne veulent d'ailleurs pas de la garantie de l'Etat pour cette agence car cela signifierait pour eux de perdre son contrôle. Entretien avec Philippe Laurent, président de la commission des finances de l'AMF.

La perte du triple A de la France va-t-elle changer la donne pour les collectivités locales et pour l'agence de financement que veulent créer les élus ?

La perte du triple A de la France ne peut pas avoir d'incidence positive. Ce n'est cependant pas le principal problème des collectivités locales en ce moment, qui se trouve être l'accès à l'emprunt. Ce sujet est aujourd'hui considéré comme un problème politique plutôt que de techniques financières, c'est là où le bât blesse ! La perte du triple A n'aura pas non plus de conséquence sur le mécanisme de création de l'agence de financement des collectivités locales qui ne verra pas le jour avant 2013. En revanche, elle renchérira le coût des futures émissions de l'agence.

Valérie Pécresse a récemment déclaré que cette agence de financement nécessite la garantie de l'Etat, ce que vous ne souhaitez pas. Cela ne met-il pas en péril sa création ?

Nous ne sommes pas d'accord. Nous ne voulons pas de garantie de l'Etat car nous ne voulons pas de son contrôle. Aucun argument juridique ne défend le besoin de cette garantie de l'Etat. C'est une posture politique. Il est possible que le gouvernement soit d'accord pour une agence de financement, mais gérée par l'Etat. Ce qui reviendrait peu ou prou à recréer la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales (C.A.E.C.L).

Dans quelle mesure les collectivités vont-elles manquer de financements en 2012 ?

Il y a urgence. Sur 16 à 18 milliards d'euros en besoins d'emprunt, il manquera cette année près de 10 milliards aux collectivités. Les deux seules banques encore présentes sur le marché du financement du secteur public local - Caisse d'Epargne et Crédit Agricole - ne prêteront à elles deux qu'environ 8 milliards d'euros. Elles risquent d'être seules à soutenir financièrement les collectivités cette année : le leader historique du marché, Dexia, n'a aujourd'hui plus d'activité de prêt. La CDC craint pour son triple A et ne veut pas remettre au pot comme en 2011. Et pour ne rien arranger, les négociations pour la création de la nouvelle banque des collectivités locales, qui doit être gérée par La Banque Postale et la CDC, coincent. Le montage envisagé aboutit à faire reprendre une grande partie des salariés de Dexia par La Banque Postale, ce que cette dernière ne souhaite pas. Enfin les ratios de liquidité de Bâle 3 n'encouragent pas les deux entités à venir secourir le secteur public local.

Que faudrait-il aujourd'hui pour couvrir le manque de financement ?

Pour que les collectivités se financent à leur "rythme de croisière", il y aurait besoin à la fois de l'alliance CDC/La Banque Postale qui apporterait entre 3 et 5 milliards d'euros annuels, et de l'agence de financement qui pourrait permettre d'emprunter 5 milliards d'euros par an sur le marché obligataire.

Le gouvernement veut davantage associer les collectivités à la rigueur au motif que les effectifs des fonctionnaires territoriaux ont augmenté de 40% ces dix dernières années ...

Attention, indépendamment des transferts de compétences dus à la décentralisation, les collectivités ont énormément développé les services, particulièrement dans le domaine social. L'intercommunalité a aussi été un facteur d'élargissement des services. Nous avons donc atteint un pic mais avec la progression de la mutualisation des services dans le cadre de l'intercommunalité, cela devrait se stabiliser. Mais cela sera lent.

Le chef de l'Etat vous a récemment appelé à appliquer la RGPP et a convié les collectivités à un sommet en février. Comment appréhendez-vous ce rendez-vous ?

Nous disons non à la RGPP ! En vertu de la libre administration des collectivités, l'Etat ne peut pas leur demander cela. Le seul levier sur lequel peut encore agir le gouvernement, c'est de baisser encore les dotations au collectivités, dans le cadre d'un coup de rabot général.

Quelles peuvent en être les conséquences ?

Les investissements des collectivités se montent à 50 milliards d'euros par an. Trente milliards se font par autofinancement, dix proviennent de recettes diverses spécifiques à l'investissement (5 à 6 milliards de remboursement de TVA, ventes d'actifs, amendes de police, compensations de taxe...), le reste vient de l'endettement. Si nous sommes contraints de réduire notre part d'autofinancement, je suis convaincu qu'on aura une diminution significative des investissements avec le report des chantiers prévus. Cela va surtout se ressentir à partir de 2013.