Couper dans la dépense publique : facile... sur le papier

Par Ivan Best  |   |  1050  mots
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Après François Bayrou, qui table sur une baisse drastique de la dépense publique, la Cour des comptes insiste, elle aussi, sur ce moyen de rétablir les finances publiques. Mais entre ces incantations et la réalité socio-économique française, il y a comme un hiatus... Même l'objectif de François Hollande, qui table sur une hausse de la dépense limitée à 1% l'an en volume, sera difficile à atteindre

Pour rééquilibrer les finances publiques, au lieu d'augmenter les impôts, il "n'y à qu'à" baisser la dépense... Après François Bayrou, qui fonde son programme de retour à l'équilibre budgétaire sur une baisse annuelle de près de 2% des crédits publics (une fois défalquée la hausse des prix) jusqu'en 2016, la Cour des comptes insiste, elle aussi, sur la rigueur dans la gestion des crédits publics.

Il "n'y a qu'à"... Mais alors pourquoi Nicolas Sarkozy, qui est parvenu au pouvoir avec une ferme volonté réformatrice ne l'a-t-il pas fait ? Puisque, semble-t-il, il suffit de le vouloir...

Et si les choses n'étaient pas si simples ? D'abord, il faut faire justice du mythe des expériences réussies, à l'étranger. En Suède, pays qui n'a rien de libéral, l'Etat est parvenu à baisser drastiquement sa dépense, au début des années 90. Tout comme l'Etat canadien. Deux pays qui avaient perdu leur précieuse note AAA. Les dépenses publiques en Suède sont passées de 65% du PIB en 1993 à 55% en 2002. Un effort considérable, sans remise en cause du « modèle suédois ». Sauf que... il s'agit là d'un ratio, celui qui rapporte les dépenses au PIB. Même si les dépenses ne bougent pas, il suffit que le PIB augmente plus que les dépenses pour que ce ratio diminue.... C'est exactement ce qui s'est passé en Suède comme au Canada. La dépense a diminué une année, mais elle a augmenté ensuite. Sur le moyen terme, sa progression a été ramenée à zéro (en monnaie constante), ce qui représente déjà un résultat considérable. Mais en aucun cas, in fine, le nombre de milliards de couronnes suédoises ou de dollars canadiens dépensés chaque année par la sphère publique n'a diminué. Le PIB a progressé plus vite, grâce à des dévaluations massives, gage de compétitivité retrouvée.

L'Allemagne a réussi en cassant son modèle social

Le seul pays ayant réussi à baisser ses dépenses publiques, en proportion du PIB, sans croissance économique, c'est l'Allemagne. Mais au prix d'une véritable remise en cause de son modèle social. C'est ce que n'a pas voulu ou pas osé faire Nicolas Sarkozy. « Nous sommes allés aussi loin que possible dans les économies sans remise en cause du modèle social », a pu dire l'un de ses conseillers.

Voilà pourquoi le programme Bayrou, qui table sur une stabilisation en valeur de la dépense publique (soit, donc, une diminution de 2% l'an une fois l'inflation déduite) pendant les deux premières années peut paraître intéressant, voire séduisant. Mais son raisonnement théorique fonctionne surtout sur le papier. Car les calculs d'économistes, sur un coin de table, peuvent-ils vraiment se transformer en réalité budgétaire tangible ?

La dépense publique, c'est avant tout de la protection sociale (41,5% du total, selon la ventilation réalisée par Eurostat), des dépenses de santé (14,8%), d'éducation (11%).... Elle émane beaucoup plus de la sécurité sociale et des collectivités locales que du budget de l'Etat, le seul à même de contrôler vraiment son niveau de crédits. Or, les crédits de l'Etat, c'est seulement 300 milliards d'euros sur un total de dépenses publiques de 1.090 milliards....

Sabrer dans les prestations sociales ?

Comment sabrer dans toutes ces prestations sociales? Des prestations correspondant pour beaucoup à des systèmes d'assurance (maladie, vieillesse...), qui dans d'autres pays, sont tout aussi élevées, mais assurées par des organismes privés : à ce titre, elles ne sont donc pas comptabilisées dans la dépense publique. Voilà pourquoi la France affiche un taux de dépense publique (et donc de prélèvements obligatoires) plutôt élevé.

Que faut-il faire, alors, aujourd'hui ? Geler le niveau des pensions de retraite, pour les diminuer en euros constants, comme le préconise la Cour des comptes ? En réalité, les pensions diminuent déjà, compte tenu des exigences nées des réformes successives....

En préconisant une progression de la dépense limitée à 0,4% par an en volume au cours du prochain quinquennat, l'UMP place déjà la barre assez haut, si l'on peut dire. C'est le cas aussi de François Hollande, dénoncé comme un dépensier par l'UMP, alors que contenir la hausse de la dépense publique à 1% en volume chaque année, nécessiterait un effort important de maitrise des budgets de l'Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales. En effet, un regard historique montre que la pente "naturelle" de la dépense publique, c'est +2% par an. En 1997, le Premier ministre d'alors, Alain Juppé, avait serré tous les boulons, pour maîtriser l'ensemble des crédits. Finalement, la dépense avait tout de même augmenté de 1,6%. Et pourtant son budget pour 1997, celui de la qualification de la France pour l'euro, avait été en affichage l'un des plus rigoureux jamais présenté. La droite avait d'ailleurs perdu les élections après la dissolution ratée de Jacques Chirac...

Baisser de 10% le traitement des fonctionnaires

Pour parvenir à une baisse de 2% de la dépense réelle comme l'affiche François Bayrou, il faudrait prendre des mesures drastiques. Par exemple baisser, année après année, les rémunérations des fonctionnaires. Car, qu'ils relèvent des collectivités locales, des hôpitaux (donc de la sécurité sociale) ou de l'Etat, c'est le gouvernement qui détermine l'évolution de leurs traitements, en décidant du point d'indice de la fonction publique. Avec une baisse de 10% des traitements des agents, répétée année après année, Bayrou pourrait peut-être réaliser son programme. Réaliste? Ou alors, il pourrait remettre en cause le caractère entièrement public de l'assurance maladie, qui serait réservée aux plus pauvres ou aux personnes âgées, selon le modèle américain. Les Français sont-ils prêts à une telle réforme? Poser la question, c'est y répondre.

Pour l'instant, le candidat du centre s'est contenté d'afficher un objectif, rigoureux et ambitieux, mais pas très documenté sur les conséquences d'un tel choix politique.