Nicolas Sarkozy peut-il encore gagner ?

Par Par Philippe Mabille  |   |  1396  mots
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Fort de la dynamique du premier tour, François Hollande peut espérer l'emporter largement le 6 mai. Mais le président-candidat va tenter le tout pour le tout pour chasser les voix de François Bayrou et surtout celles de Marine Le Pen. Pour les partisans de Nicolas Sarkozy, une nouvelle campagne commence. Europe, immigration, dramatisation des enjeux autour de la crise : Nicolas Sarkozy peut-il encore reconquérir les 4 à 5 millions d'électeurs qui n'ont pas décidé ce qu'ils feront au second tour ?

Le premier tour de l'élection présidentielle 2012 peut se résumer simplement. La droite a perdu 10 points sur son total de voix de 2007 ; la gauche a gagné 10 points et fait son meilleur score depuis 1988. Jamais un président sortant n'avait terminé second au premier tour. Nicolas Sarkozy a donc raté son pari, celui de prendre le virage vers le 6 mai en tête. Désavoué par une partie de ses électeurs de 2007, où il avait fait 31,18% des voix au premier tour, le président candidat ne semble pas bénéficier d'assez de réserves de voix pour espérer passer la barre des 50% au second tour. Sur quelques 200 sondages réalisés, François Hollande l'a pratiquement toujours emporté largement avec un écart de 6 à 10 points d'avance. Le dernier en date publié dimanche donne un résultat à la "Mitterrand 1988" de 54% pour Hollande contre 46% pour Nicolas Sarkozy. Le président sortant reste donc le challenger qu'il n'a cessé d'être depuis le début de la campagne présidentielle.

Mais faut-il croire ces sondages qui prédisent une élection gagnée d'avance pour François Hollande, désormais soutenu par l'ensemble de la gauche plurielle, des Verts à Jean-Luc Mélenchon, qui a appelé à faire battre Nicolas Sarkozy ? Le président de la République a-t-il définitivement "perdu", comme l'a affirmé hier Jean-Marie Le Pen, commentant le score historique de sa fille Marine, supérieur au sien en 2002 ? Une chose semble sûre, le camp Hollande aurait tort de croire à la résignation du candidat sortant. C'est un dur combat qui s'annonce pour les quinze prochains jours, un véritable match de boxe annoncé.

Dans les derniers jours, une vive polémique a eu lieu au sein de l'équipe du président sortant, au sujet de la stratégie menée, consistant à droitiser le discours et à durcir le ton sur l'immigration. Une stratégie inspirée par Patrick Buisson, le Mr Sondage du président, ancien directeur du journal Minute et partisan d'une course-poursuite après les voix du Front national. Au vu des résultats du premier tour, qui montrent un effondrement du centriste François Bayrou sous les 10% et confirment la sous-évaluation manifeste par tous les sondeurs du score de Marine Le Pen, il y a gros à parier que cette ligne Buisson restera le fil rouge de la tactique électorale de Nicolas Sarkozy. C'est d'ailleurs ce qu'il a laissé entendre dés dimanche soir en faisant de ce scrutin un "vote de crise" où se sont exprimées "les inquiétudes et les angoisses" du peuple français qui "souffre", et en remettant "les frontières de l'Europe" au centre de l'élection.

Dans  "Le Monde" du 13 mars dernier, Patrick Buisson avait expliqué la stratégie qu'il prône pour contrer la montée du Front national : "Le projet que porte Nicolas Sarkozy s'adresse à tout l'électorat populaire. Il est clairement le candidat d'une Europe des frontières. C'est en cela qu'il est le candidat du peuple qui souffre de l'absence de frontières et de ses conséquences en chaîne : libre-échangisme sans limites, concurrence déloyale, dumping social, délocalisation de l'emploi, déferlante migratoire (...) J'entends dire çà et là que la stratégie qui consiste, non pas à se "droitiser", mais à prendre en compte les préoccupations populaires serait un échec. Un échec pour qui ? Il y a un an, les sondages donnaient Nicolas Sarkozy au coude-à-coude avec Marine Le Pen sans certitude de qualification pour le second tour. A la fin de janvier 2012, il ne la devançait que de 3 points en moyenne. Aujourd'hui, l'écart se situe entre 10 et 12 points. ».
Patrick Buisson expliquait aussi dans la même interview que l'objectif du candidat Sarkozy était de mobiliser en sa faveur les voix du Front National au second tour. « Entre 40 % et 50 % de l'électorat de Marine Le Pen se refuse à faire un choix pour le second tour dans le cas d'un duel Sarkozy-Hollande, et environ un tiers de l'électorat de François Bayrou est dans ce cas". Selon lui, donc, "l'avantage du candidat socialiste est donc construit sur un scénario qui verrait 4 à 5 millions d'électeurs du premier tour ne pas aller voter au second. Autrement dit, sur du sable".  "Depuis 1965, il n'y a pas eu un scrutin présidentiel où la participation au second tour n'a pas été supérieure à celle du premier. La plupart de ceux qui disent ne pas vouloir choisir iront voter le 6 mai. Et les réserves sont ici plutôt du côté de Nicolas Sarkozy que de François Hollande", assurait Patrick Buisson.
Ce scénario, sur lequel table visiblement encore le président sortant pour mobiliser ses soutiens, est-il crédible ? Certes, il reste quinze jours de campagne et le ton a déjà changé dés dimanche. Nicolas Sarkozy a parlé dans son allocution d'un « moment de vérité et de courage » où « nul de pourra se dérober ». Le même qui il y a peu assurait que la crise était derrière nous laisse dire, par l'intermédiaire de François Fillon par exemple, que "la crise de la dette n'est pas finie". C'est donc très clair, la fin de campagne va se faire sur la dramatisation des enjeux, sur le ton de "moi ou le chaos". Cela suffira-t-il pour faire se déplacer en sa faveur les quelques 5 millions de voix qui lui manquent. C'est évidemment très peu probable. Selon un sondage Ipsos réalisé entre le 18 et le 20 avril, les reports de voix vers Nicolas Sarkozy restent très faibles. Alors que 80% des électeurs Jean-Luc Mélenchon se reporteraient sur François Hollande (7% sur Nicolas Sarkozy), les intentions de vote de ceux de Marine Le Pen sont très incertaines : 12% iraient à François Hollande, 45% à Nicolas Sarkozy et 43% ont refusé d'exprimer une intention de vote. Un tiers des électeurs de François Bayrou seraient dans ce cas, les deux autres tiers se répartissant à égalité entre les deux finalistes.

La difficulté, pour Nicolas Sarkozy, sera évidemment de faire le grand écart entre ces deux électorats que tout oppose. Comment attirer à la fois les électeurs de François Bayrou, qui sont pro-européens et plutôt libéraux, et ceux de Marine Le Pen, qui rejettent l'euro, réclament une fermeture des frontières et une politique dure contre l'immigration. Le piège, dans lequel Nicolas Sarkozy s'est mis lui-même, est en train de se refermer sur le candidat, qui ne peut plus être élu qu'avec les voix de Marine Le Pen, mais sans pouvoir aller jusqu'à une alliance avec elle (ce qui serait l'ultime rupture, évidemment impossible, avec Jacques Chirac). Le seul argument en sa faveur est la forte participation, inattendue, qui, si elle se renouvelle au second tour, pourrait rebattre des cartes qui semblent néanmoins déjà jouées.

Reste le danger d'une telle stratégie jusqu'au-boutiste pour la droite traditionnelle qui pourrait refuser de se laisser entrainer sur telle pente. Car au-delà de l'élection présidentielle, ce sont aussi les élections législatives qui sont en train de se jouer en ce moment. Le score très élevé du Front national laisse présager un très grand nombre de triangulaires dans les circonscriptions tenues par l'UMP qui risque d'imploser , surtout dans les régions où Marine Le Pen devance le président sortant (l'arc Nord, Est et Sud de la France). Ce que montrent aussi les résultats, c'est qu'une défaite de son champion le 6 mai pourrait entrainer une violente crise d'identité à droite et un possible éclatement de l'UMP entre les centristes, que cherchera sans doute à fédérer François Bayrou, malgré son score décevant ; la droite néo-gaulliste pour laquelle vont se battre Jean-François Copé, Alain Juppé et François Fillon ; et une droite dite « populaire », tentée au niveau local par une alliance avec un Front national qui se présente désormais comme « la seule vraie opposition à la gauche laxiste et internationaliste », comme l'a affirmé dimanche Marine Le Pen. Le troisième tour législatif sera au moins aussi compliqué à négocier que le second tour de la présidentielle pour une droite affaiblie après dix ans au pouvoir. Une vaste reconfiguration du paysage politique pourrait ainsi surgir du vote-sanction exprimé par les Français en ce dimanche 22 avril 2012.