Les clés pour comprendre le vote de dimanche... et la suite

Par Ivan Best  |   |  1158  mots
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Cette élection présidentielle marque une montée du vote d'extrême droite, au cœur de la population: au premier tour, les 25-49 ans ont placé Marine Le Pen devant Nicolas Sarkozy. La probabilité existe d'une poursuite de cette tendance qui bouleverserait la donne politique

Qui a voté pour Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy ou François Hollande le 22 avril ? La question peut paraître dépassée, à la veille du second tour. Pourtant, elle va peser lourdement sur le scrutin et dimanche, et surtout sur les échéances à venir. Bien au-delà des législatives, la sociologie du vote, notamment d'extrême droite, qui a été bouleversée lors de ce scrutin, contribuera à structurer la vie politique au cours des prochaines années. Car si Marine Le Pen n'a pas été qualifiée pour le second tour, elle a recueilli un nombre de voix beaucoup plus important que celui de son père qui l'avait été en 2002 (6,4 millions contre 4,8 millions), preuve d'une tendance lourde à la montée de l'extrême droite. Un phénomène qui risque notamment d'amener une radicalisation durable du discours de droite.

Un électorat FN rajeuni
En 2002 et encore en 2007, le vote FN était surtout l'apanage de personnes âgées, de nostalgiques d'un temps passé, pendant lequel régnaient l'ordre et l'autorité. Ce n'est plus le cas. Bien au contraire, le vote Front national le 22 avril est majeur dans la tranche d'âge des 25-49 ans, mais en déclin pour les seniors (seuls 9% de ces derniers optent pour l'extrême droite). Comme le souligne Olivier Berruyer, auteur du blog les crises, qui a tiré des données des instituts CSA et Ifop des graphiques éclairants, sur cette tranche d'âge centrale des 25-49 ans, Marine Le Pen se place après François Hollande mais devant Nicolas Sarkozy. Alors que, contrairement à ce qui avait pu être indiqué, les 18-24 ans ne votent pas d'abord Le Pen, mais plutôt Hollande, à hauteur de 28% et ensuite Sarkozy (23%), les électeurs un peu plus âgés ont opté, après François Hollande,  pour la candidate d'extrême droite. A tel point que ceux de la tranche 35-49 ans  ont choisi Le Pen pour 25% d'entre eux ! C'est le cas de 22% des 25-34 ans. Que fera cette classe d'âge au second tour ? Massivement, elle s'abstiendra ou votera pour François Hollande (59% pour les 25-34 ans, 55% pour les 35-49 ans), selon un sondage Opinion-way publié ce vendredi. Ces Français qui ont fait le choix de l'extrême droite se trouvent donc non pas aux marges mais au c?ur de la population active.

Les ouvriers choisissent Le Pen, puis Hollande
Le vote Le Pen se situe d'autant plus au c?ur de la France des actifs qu'il n'est plus le fait des indépendants, commerçants, comme ce fut le cas dans le passé. Ce sont les salariés les moins bien lotis qui votent massivement pour l'extrême droite. Le premier vote ouvrier, c'est en faveur de Le Pen, à hauteur de 31%. François Hollande recueille 21% des voix de cette catégorie, et Nicolas Sarkozy seulement 17%, non loin de Jean-Luc Mélenchon dont le discours pourtant populiste et ouvriériste a peu séduit. S'agissant des employés, François Hollande arrive en tête (28%), mais suivi de peu par Marine Le Pen (25%), loin devant Nicolas Sarkozy (21%). Quant aux professions intermédiaires, elles optent encore plus clairement pour le candidat PS (33%), loin devant celui de l'UMP (22%). 

Ce qui fait dire à François Kalfon, secrétaire national du PS, délégué général aux études d'opinion, que «Nicolas Sarkozy a été abandonné par le salariat ». Même si l'on considère les cadres et professions libérales, Nicolas Sarkozy se situe, dans cette catégorie, juste derrière François Hollande (31% contre 30%). Son score du premier tour, le président sortant le doit uniquement aux artisans et commerçants (43% d'entre eux ont glissé un bulletin Sarkozy) et aux personnes âgées (41% des 65 ans et plus).Au second tour, ces ouvriers, employés et membres des professions intermédiaires s'abstiendront ou feront massivement le choix du vote Hollande (pour respectivement 59,5%, 59,3% et 55,6% d'entre eux, selon un sondage BVA publié ce vendredi).

Une césure entre « l'élite » et le peuple

Les électeurs de Front national relèvent à l'évidence des catégories populaires. Un autre critère témoigne encore plus clairement d'une césure entre les «élites » urbaines, qui refusent le vote FN, et le "peuple", enclin à voter à l'extrême droite, c'est celui du diplôme. Ce sont, et de loin, les « sans diplôme » qui ont le plus voté pour Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle. Cela a été le cas pour 31% d'entre eux. Les titulaires d'un BEPC ou d'un CAP ont voté à hauteur 26%, à égalité, pour François Hollande et Nicolas Sarkozy, tout en accordant un score supérieur à la moyenne à Marine Le Pen (23%). Ainsi, à mesure que l'on monte dans l'échelle des diplômes, le vote FN diminue, pour tomber à 8% s'agissant des Bac+3 ou plus.
Au second tour, toujours selon BVA, les sans diplôme s'abstiendront ou voteront, pour 53,1% d'entre eux, en faveur de François Hollande (un score supérieur à la moyenne de 52,5% affichée par cet organisme de sondage).

Un fort vote d'extrême droite en zone péri-urbaine

Traditionnellement élevé à l'Est d'une ligne Rouen-Marseille, le vote FN s'est renforcé dans cette zone. Mais il a augmenté dans toutes les zones rurales et surtout péri-urbaines. La progression du vote à gauche et la baisse du vote FN en proche banlieue parisienne peuvent être corrélées à la sur-représentation des populations d'origine immigrée, qui fuient évidemment les partis aux relents xénophobes. En revanche, à mesure qu'on s'éloigne des zones urbaines, le vote FN atteint des sommets.
Il est souvent le fait d'ouvriers ou employés ayant quitté la proche banlieue des grandes villes, pour échapper au phénomène de ghettoïsation. Ces représentants d'une classe moyenne dite inférieure subissent la crise de plein fouet : ils rencontrent des difficultés croissantes dans la vie quotidienne (transports problématiques, prix de l'essence), auquel s'ajoute un sentiment de déclassement, en raison de leur situation personnelle ou de celle de leurs enfants, de plus en plus en plus dégradée .
Le risque est élevé de voir ces difficultés croître encore dans une situation économique générale qui ne devrait pas s'améliorer de sitôt. La probabilité existe donc d'un développement du vote front national : il posera problème, d'abord à  la droite traditionnelle, qui en subira les effets lors des élections législatives des 10 et 17 juin. Selon les estimations, des triangulaires -un candidat FN toujours présent au second tour- pourraient avoir lieu dans 100 à 150 circonscriptions. Peu de candidats d'extrême droite se feront sans doute élire. Mais ils feront chuter de nombreux représentants de l'UMP.
A plus long terme, la droite traditionnelle devra s'adapter à cette nouvelle donne sociologico-électorale. Assistera-t-on à un durcissement de ses positions, comme on l'a vu pendant la campagne ? Voire à un éclatement de l'UMP, que Marine Le Pen entend favoriser, désireuse, à la différence de son père, d'accéder au pouvoir ?