Hollande demande un état des lieux de "l'économie positive" dans les entreprises

Par Par Claire Garnier, au Havre.  |   |  1230  mots
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Le président de la République a commandé un rapport sur la situation de cette "nouvelle économie altruiste" dans les secteurs marchand et non marchand auprès de Jacques Attali, l'économiste président de l'ONG PlaNet Finance, qui organise le LH Forum. Un colloque qui réunit actuellement au Havre des ONG, des grands patrons du CAC 40 et des syndicalistes, pour remettre "l'intérêt général" au coeur de l'économie. Revue d'idées.

Il faut couper court au «court-termisme», c'est ce qu'ont entendu les 1100 personnes inscrites au LH Forum du Havre qui a commencé jeudi 13 septembre et se poursuivra ce vendredi . Porté par le groupe PlaNet Finance et soutenu par la ville du Havre, ce forum -à peine troublé par une manifestation d'une quarantaine de personnes autour des docks- a jeté les bases d'un mouvement mondial de «l'économie positive». Experts, économistes, entrepreneurs, syndicalistes ont proposé leur vision de cette économie tournée vers le long terme. Comment passer d'une «économie individualiste» fondée sur le court terme à une économie fondée sur «l'intérêt général et l'intérêt des générations futures»? s'est interrogé Jacques Attali, président de PlaNet Finance, dans son «Manifeste». Le challenge va consister à passer d'un «modèle ancien fondé sur l'économie de la richesse» à un modèle dans lequel «les agents économiques auront d'autres obligations que la maximisation du profit», a ajouté Jacques Attali. Et d'appeler à la rescousse une «très vieille idée, celle de l'altruisme» : «le bien-être de chacun est déterminé par le bien-être des autres; chacun à intérêt à ce que l'autre soit dans la meilleure situation possible». Comment ?

Parmi les «chantiers» à engager, Jacques Attali a insisté sur la mise en place des législations permettant de faire évoluer le droit financier vers l'économie «positive» et le statut nouveau d'entreprise responsable. Bravant la mauvaise humeur du Parti socialiste en Seine-Maritime vis-à-vis d'une manifestation se tenant dans une ville dirigée par un député-maire UMP (Edouard Philippe), François Hollande a tenu bon et a répondu en duplex, depuis l'Elysée, à l'invitation de Jacques Attali. «Il faut modifier le système économique lui-même, la façon de produire et la répartition des richesses», a déclaré le président de la République. Et mettre au point les «critères» qui permettront de mesurer l'efficacité des entreprises responsables. Il a tenu à préciser que la nouvelle économie concernait à la fois «le secteur marchand et non marchand. Il ne faut pas réduire la nouvelle économie à l'économie sociale et solidaire». Il a demandé à Jacques Attali de lui remettre, dans un an, un rapport sur l'état de l'économie positive.

Le temps fort de «Mister Toilet»

«You have no choice», ont expliqué les rafrâichissants Douglas Riboud et Justin Guilbert, fondateurs de Harmless Harvest, qui a vendu 3 millions de bouteilles de lait de coco en un an. Les deux jeunes gens qui défendent «l'entreprenariat basé sur l'écosystème» se sont lancés dans la commercialisation aux Etats-Unis de lait de coco, sans marketing, ni communication. «L'économie de marché a été complètement pervertie à cause de la dictature du prix bas; le système est en train de s'écrouler», ont expliqué les deux compères, tout sourire, leur flacon de lait de coco à la main. L'argent économisé va aux producteurs «avec lesquels on a des relations normales», expliquent-ils et à la technologie très onéreuse (bouteille sous pression) qui permet de conserver le produit. «Le commerce équitable? Il n'y a tout simplement pas d'autre solution» ont-ils expliqué. Enfin, et la boucle sera bouclée, leur produit étant tout simplement le meilleur du marché, il se vend tout seul. «Les commerçants deviennent nos fans. Ils font notre publicité».

Dans le style décoiffant, il y a eu aussi l'excellent Mr Toilet, alias Jack Sim, fondateur de l'ONG World Toilet Organization. Selon Mister Toilet -qui est à l'origine du sommet mondial des toilettes qui se tient chaque année dans un lieu différent- 2,6 milliards d'habitants n'ont pas accès à des toilettes sur la planète, ce qui engendre quantité de problèmes de santé. Le personnage originaire de Singapour a fait rire l'assistance avec la délicate question de la «gestion de la merde» (managing shit) dans les pays émergents, expliquant, images à l'appui, les inconvénients de la défécation à l'air libre. Il a décidé de mettre son humour au service des tabous sur le sujet. Rejetant la charité, il a noué un partenariat avec le groupe Unilever et mis en place un système de micro-entreprises («micro franchises») pour la création et l'installation de toilettes dans les pays en voie de développement.

«Les 15% de rendement sur fonds propres sont une imbécillité»

Henri Lachmann, président du Conseil de surveillance de Schneider Electric, a expliqué, de son côté que pour faire évoluer l'entreprise, il fallait commencer par mesurer la richesse globale produite par celle-ci, avec ses clients, ses collaborateurs et les territoires concernés. «Ce type de mesure peut changer les comportements et avoir une influence sur la dictature des marchés financiers. Les 15% de rendements sur fonds propres avec une inflation à 2% c'est une imbécillité pousse au crime», a-t-il indiqué, sans remettre en cause la finance elle-même. «La finance est un outil. Elle doit se remettre au service de l'économie».

Quand on s'appelle GDF Suez, que l'on est côté en Bourse et que l'on doit rendre des comptes à ses actionnaires, peut-on être un agent économique «altruiste» selon la formule de Jacques Attali ?
Gérard Mestrallet, Pdg de GDF Suez, s'est livré à un exercice d'équilibriste évoquant tour à tour la réussite de sa Fondation GDF Suez (qui reçoit 15.000 jeunes par an) et qualifiant de «devoir absolu» la sécurité d'approvisionnement en gaz, secteur où «l'on ne gagne rien». «La France en 35 ans, n'a jamais manqué de gaz. C'est notre devoir d'apporter des services essentiels dans les meilleures conditions d'approvisionnement et de coût». Considérant que la «finance est indispensable», il appelle de ses v?ux une «finance responsable qui doit se remettre en question et être au service de l'entreprise et non de la finance elle-même». Le patron de GDF Suez a par ailleurs rappelé que son entreprise recrutait à tour de bras et qu'en accord avec les partenaires sociaux, elle avait distribué des actions «gratuites» à ses salariés.

Sans surprise, François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, s'est situé sur le terrain social en soulignant qu'il fallait «repenser les relations entre les entreprises et les salariés et entre les entreprises et leur écosystème». Ce qui impose d'évaluer les «performances collectives» des entreprises. Au chapitre des outils, il a mis en avant le levier de la RSE et présenté trois «pistes» allant dans le sens de la «performance sociale» des entreprises : un fonds d'investissement «responsable» pour l'épargne salariale ; une notation sociale venant en complément de la traditionnelle notation financière ; et enfin, François Chérèque suggère que l'on «oriente les rémunérations des chefs d'entreprise en fonction des résultats sociaux» de l'entreprise.

Reste une question que tout le monde se posait jeudi : pourquoi ce forum au Havre ? Pourquoi pas à Paris ? Sans doute parce que Jacques Attali a la conviction que Le Havre est le débouché naturel de Paris, aucune métropole ne pouvant, selon lui, atteindre une échelle mondiale sans dimension maritime. «Les villes-monde d'hier et de demain glissent toutes vers leurs ports» avait-il écrit dans «Paris et la mer» en 2010. Entre la poire et le fromage jeudi, il a demandé à Edouard Philippe, le maitre des lieux, s'il pourrait de nouveau accueillir son Forum l'année prochaine.