Ethylotests : les fabricants organisent-ils la pénurie pour faire monter les prix ?

Par Adeline Raynal  |   |  646  mots
Alors que le gouvernement vient d'annoncer un nouveau report de la sanction de 11 euros dans le cas d'un défaut d'équipement en éthylotests, des engagements pris auprès des autorités en termes de livraison ne semblent pas avoir été respectés.

51,2% des automobilistes ne se sont toujours pas procuré d'éthylotests malgré la loi les y obligeant depuis le 1er juillet dernier. Pour 60,2% d'entre eux, c'est tout simplement faute d'en avoir trouvé dans le commerce. Au vu de cette rupture de stocks, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a annoncé lundi un nouveau report des sanctions: elles ne débuteront que le 1er mars 2013.

D'ici là, les autorités espèrent que les produits seront à nouveau disponibles en nombre suffisant pour équiper les quelques 36 millions d'automobiles françaises. Mais comment s'explique cette rupture de stocks? L'explosion soudaine de la demande n'aurait-elle pas pu être anticipée?

Seuls deux fournisseurs se partagent le marché

Du côté des autorités, la réponse est claire: "Ce n'est pas de la faute de l'administration si des sociétés ont pris des engagements difficiles à tenir", se défendait Frédéric Péchenard, délégué interministériel à la sécurité routière, dans une interview publiée mardi par Le Parisien. Seules deux entreprises sont en charge de l'approvisionnement du marché en éthylotests chimiques (à usage unique et qui coûtent environ 1,50 euro): la française Contralco et la sud-africaine Red-Line Products (via l'importateur alsacien Pelimex). Les autres fabricants d'éthylotests certifiés aux normes françaises ne vendent que des éthylotests électroniques, souvent réservés aux professionnels et aux forces de l'ordre, à un prix minimum d'environ 100 euros.

Chez Contralco, on n'hésite pas à attribuer la faute au concurrent direct: "Red-Line Products s'était engagé à fournir chaque mois 7 millions d'éthylotests chimiques destinés au marché français. Or, en réalité, ils n'en ont fourni que 2 millions par mois, jusqu'à ne plus approvisionner du tout le marché aujourd'hui", accuse Guillaume Neau, le directeur marketing et commercial de Contralco. Contacté à plusieurs reprises, le concurrent n'a pas donné suite à nos demandes d'interview. A la délégation interministérielle à la sécurité routière, on se montre également peu disert sur le montant des quotas pour lesquels les fabricants s'étaient engagés, ni sur le respect ou non de ceux-ci.

Une rétention volontaire ?

Autre hypothèse envisageable: une rétention volontaire, de la part des distributeurs ou des fabricants, pour faire "monter" les prix. Certains consommateurs ont d'ailleurs déclaré avoir dû débourser jusqu'à 5 euros pour un simple éthylotest chimique. De petits commerçants, interrogés par Le Parisien, ont visiblement rencontré des difficultés pour s'approvisionner:  "j'ai passé la commande en avril, mais je n'ai toujours rien reçu. Je l'ai renouvelée en mai, juin, juillet, août. Et puis j'en ai eu marre!", s'indigne un pompiste de Saint-Ouen. "C'est compliqué, ils les donnent au compte-gouttes", confirme une pharmacienne de région parisienne. Y a-t-il eu entente entre certains distributeurs? Difficile de trancher.

Manne commerciale

Ce qui est certain, c'est la manne commerciale exceptionnelle dont bénéficient Contralco et Red Lines Product. La société héraultaise a doublé ses ventes en un an, passant de 7 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2011 à 14 millions escomptés pour 2012. "Nous avons investi 3,5 millions d'euros cette année et commandé huit nouvelles machines", indique Guillaume Neau. Et bon point pour l'emploi: pas moins de 200 personnes auront été embauchées à Gignac sur l'année 2012, grâce à la loi obligeant tous les automobilistes à s'équiper en éthylotests. Ce qui tend à faire tiquer, en revanche, c'est le lien entre l'association "I-tests" ayant fortement prôné l'adoption de cette mesure par le parlement et les principaux fabricants. En effet, son président, Daniel Orgeval est partie prenante puisqu'il travaille pour Contralco, comme a pu le vérifier La Tribune. Il s'agit donc purement et simplement de lobbying auprès des dirigeants politiques. Pierre Elefteriou, le président de Pelimex est d'ailleurs pour sa part vice-président d'I-tests. Et tous deux sont membres du comité de certification NF pour les éthylotests.