Compétitivité : «L'Etat pourrait améliorer le cadre sans trop se mêler de la cuisine interne des entreprises»

<b> INTERVIEW -</b> A quelques jours de la remise du rapport Gallois sur la compétitivité de la France, Stéphane Gregoir, économiste et directeur du centre de recherche de l'Edhec, estime que, pour aider les entreprises, l'Etat doit veiller au respect des règles du jeu économique plutôt qu'à leurs modes d'organisation.
Stéphane Grégoir, économiste et directeur du centre de recherche de l'Edhec

LA TRIBUNE - Alors que le débat fait rage entre patronat et Etat sur les critères de compétitivité, quels sont selon vous les indicateurs les plus pertinents qu'il nous faudrait regarder?

Stéphane Gregoir : La compétitivité est un vaste champ très complexe dans lequel certains éléments sont du ressort de l'Etat, et d'autres des entreprises, et enfin des entreprises seules dans leurs stratégies et leurs organisations. L'Etat n'est pas naturellement armé pour se mêler de ce dernier type de questions. La France est confrontée au fait que les pays d'Europe du Sud ont été amenés à mettre en place une baisse du coût du travail et de fait subi une pression concurrentielle sur son marché intérieur et ses marchés à l'exportation. Mais si la question est réelle, l'Etat devra retrouver la perte de cet allègement de charges en ponctionnant les ménages et donc risque d'affaiblir encore la demande en interne. Il ne faut donc pas s'attendre, par ce principe des vases communicants, à ce que cela change grand-chose sur le court terme en matière de compétitivité mais pèsera sur l'activité. En fait, l'Etat par ses missions peut contribuer à l'amélioration de la compétitivité des entreprises. C'est par exemple s'assurer que le droit qui sécurise les affaires est bien appliqué, que les infrastructures du pays, propres à assurer la logistique et l'alimentation en énergie, sont performantes, que les institutions d'enseignement et le système de santé fonctionnent bien. Si la France est dans ce domaine internationalement bien placée, il faut que d'une part, cela le soit au meilleur coût et d'autre part, que la qualité de ces fonctions soit assurée dans le futur... Et là, il y a débat.

Le rôle de l'Etat est donc avant tout d'assurer efficacement ces missions qui contribuent à la compétitivité des entreprises?

Oui. Une de ces missions, entre autres, est d'assurer une concurrence saine entre les entreprises. Cependant, dans les secteurs des services en France, il y a des secteurs peu concurrentiels. Ceci pèse naturellement sur les coûts des entreprises industrielles qui font appel à leurs services alors qu'elles sont exposées à la concurrence internationale. Elles sont ainsi contraintes de réduire leurs marges, ce qui entrave leurs investissements productifs et leur avenir.

A quoi faut-il donc alors s'attaquer en premier?

Aujourd'hui nous sommes face à un problème de calendrier. Les conditions macro-économiques ne sont pas idéales pour un choc «négatif». Si une flexibilisation de la relation de travail doit être envisagée, la mettre en ?uvre rapidement risque de fragiliser encore plus l'économie. L'Allemagne a appliqué ce type d'ajustement dans un environnement économique beaucoup moins sombre. On pourrait plutôt travailler sur une dérégulation des marchés des services encore très réglementés pour favoriser l'emploi. De même, il faudrait avant une réforme du marché du travail améliorer le fonctionnement de la formation professionnelle: elle mobilise 25 milliards d'euros pour peu de résultats. L'Etat pourrait donc travailler à rendre ce système plus efficace. A cela s'ajoutent les actions qui ont été entreprises sur le développement de la recherche et des innovations technologiques qui ne donneront des fruits qu'à moyen terme. Enfin il s'agirait aussi de se préoccuper des banques pour qu'elles remplissent leur mission de financement de l'économie. Et ainsi améliorer le cadre sans trop se mêler de la cuisine interne des entreprises.

Et sur quoi l'entreprise doit-elle alors travailler pour être plus compétitive?

D'emblée, je dirais la productivité bien sûr. Elle résulte de nombreux facteurs. Il y a le choix des investissements en machines, le recours à différents niveaux de qualification du travail et le choix du mode de gestion et d'organisation. La structure des coûts des deux premiers facteurs joue un rôle important et l'on revient à la question initiale. Mais le management et l'organisation du travail sont également des éléments non négligeables. Une étude américaine qui a compilé sur plusieurs années différents critères sur les pratiques managériales d'entreprises entre 100 et 5000 salariés, classe la France dans ce domaine à la sixième position derrière les Etats-Unis, l'Allemagne, la Suède, le Japon, et le Canada. Les critères évalués portent sur le monitoring, la communication des objectifs individuels, la politique de recrutement, de promotions... et il ressort une corrélation positive entre la performance de l'entreprise et son score managérial. Cette étude montre aussi que l'organisation managériale est d'autant plus efficace que ses employés sont qualifiés, que l'entreprise est sur un marché concurrentiel ou une multinationale ou qu'elle exporte. Enfin il ressort que les entreprises familiales qui ont des managers n'appartenant pas au cercle familial sont en moyenne mieux gérées. Preuve qu'il y a une place pour la fonction managériale dans l'utilisation efficace des ressources.

Comment voyez-vous l'apport du rapport Gallois dans ce contexte?

Si on ne connaît pas à ce jour son contenu réel, il semble axé sur les coûts et peut manquer de traiter les mécanismes qui seraient à même d'inverser la spirale descendante dans laquelle nous sommes engagés. Si nous n'avons pas à rougir de la productivité de nos entreprises manufacturières, il n'en va pas de même pour celles des services. Ces entreprises sont majoritairement les bénéficiaires des baisses de contributions sociales sur les bas salaires et certaines sont ainsi maintenues en survie artificiellement. Cela contribue à plomber la compétitivité globale du pays. Sans compter que ceci a entraîné le recrutement de jeunes diplômés à des postes peu qualifiés, sous employés ou sous-payés. Ce signal n'est pas bon pour les générations suivantes dont la volonté de se former sera un élément important de notre compétitivité de demain.

Commentaires 4
à écrit le 02/11/2012 à 17:53
Signaler
il suffit de continuer à sous payer les medecins,les transferts de charges sur tel ou tel,mais surtout on n'augmente pas les medecins brillant ce jeune homme,il va finir depute français

à écrit le 02/11/2012 à 11:44
Signaler
Question subsidiaire jamais posée : les chefs d'entreprise français sont-ils compétitifs face à leurs homologues allemands et américains?

le 02/11/2012 à 16:52
Signaler
Très bonne question !

le 03/11/2012 à 10:03
Signaler
Qui osera la poser publiquement pour un débat dépassant les quelques exceptions que l'on nous sort lors de telles discussions? Pouvons-nous gagner avec des héritiers, des anciens fonctionnaires, et la limitation des sources à trois écoles ? Nos conc...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.