"Ne pas valoriser les seuls entrepreneurs, mais aussi les "intrapreneurs"

Par Propos recueillis par Ivan Best  |   |  624  mots
Vincent Champain, écnomiste, directeur "secteur public" General Electric
Il faut mettre en valeur les chercheurs, ingénieurs, qui innovent au sein des grandes entreprises, estime l'économiste Vincent Champain, qui a dirigé une étude européenne sur les moyens de doper la croissance, commanditée par General Electric

Vincent Champain, économiste, directeur "secteur public" chez General Electric, a dirigé la rédaction d'un rapport sur les moyens de lever les freins à la croissance en Europe, sous l'égide de General Electric

 -Vous soulignez dans votre rapport l'existence de freins à la croissance qui sont rarement mis en avant. Comme le déficit « d'intrapreneurs », qui nuit à l'innovation... qu'entendez vous par là ?

En France, notamment, le modèle qui est le plus valorisé, aujourd'hui, qui est au centre des débats, est celui de l'entrepreneur innovant qui crée sa PME. Evidemment il est important d'avoir des entrepreneurs qui créent des entreprises. Mais il est aussi important d'avoir des « intrapreneurs », qui innovent au sein des grandes entreprises - par exemple un chercheur ou un directeur de projet innovant - ou même au sein de l'administration. En caricaturant à peine, on considère mieux, et on imposera moins celui qui crée puis revend un site internet érotique que le chercheur d'un groupe pharmaceutique qui touche une prime pour un nouveau vaccin qui sauvera des milliers de vies. C'est ce salarié d'un grand groupe, chercheur, ingénieur, chef de projet à la source d'innovations, que j'appelle « intrapreneur ». Il est essentiel à la diffusion de l'innovation à l'échelle mondiale - car c'est souvent des grandes entreprises, ou de petites devenues grandes, qui le font. La réussite de l'économie française repose donc autant sur l'entrepreneur que sur cet « intrapreneur », qui saura mobiliser les ressources d'un grand groupe pour innover. Notons également que dans certains secteurs, l'innovation nécessite une taille minimale - par exemple, dans l'aéronautique ou les technologies vertes, il faut souvent pouvoir investir des milliards d'euros... ce que ne peut évidemment pas faire une PME.
Il faudrait donc un statut de «l'intrapreneur », qui offre la même reconnaissance dans les discours publics et les mêmes avantages que le statut d'entrepreneur. Faute de quoi nous ne serons jamais en situation de passer de l'innovation au succès planétaire.

-Le rapport souligne l'existence d'une autre lacune, dans toute l'Europe, c'est l'absence totale d'évaluation de la contribution à la croissance des secteurs publics. En quoi est-ce un frein à la croissance ?
-On ne cesse de parler du coût des services publics, de la dépense des administrations, des déficits qui en résultent, mais nul ne s'interroge en Europe sur l'apport de ce secteur public pour accompagner la croissance des entreprises, sur la manière d'améliorer leur efficacité. Alors que cet apport est très important, et pourrait être largement amélioré. La maitrise des coûts est importante, mais ce qui compte le plus c'est la valeur ajoutée - c'est-à-dire la valeur perçue par les usagers ou les entreprises, diminuée du coût.

-Quel serait l'apport d'une telle évaluation ?
Elle permettrait de mettre en exergue les écarts de performance, et de montrer ainsi quelles sont les meilleures pratiques. Dans une certaine mesure, les entreprises veulent bien payer, sous forme d'impôt, l'ensemble de ces services, mais à condition qu'ils soient adaptés à leurs besoins et à la hauteur du prix payé. Si cette adéquation était meilleure, ce serait profitable à tout le monde. Par exemple, une étude récente a montré que la France va être confrontée à une pénurie de 2,2 millions de salariés hautement qualifiés, en raison d'une formation insuffisante de cadres et ingénieurs. Le coût économique et social de la mauvaise adaptation de l'appareil de formation et d'orientation est, on le voit, énorme. D'autant qu'un recrutement de cadre est souvent associé à celui d'une équipe. S'il ne peut avoir lieu, on ne perd pas un emploi mais plusieurs, car ce sont tous les emplois de son équipe qui ne sont pas créés...